Le choix des mots justes : Pour atténuer 132 ans de maux douloureux
« Les mots sont aujourd'hui des batailles : les mots justes sont des batailles gagnées, les mots faux sont des batailles perdues. »
Ludendorff, général allemand
Lors de sa visite d'Etat en Algérie D et durant deux jours, le président Hollande a cherché à effacer les difficultés, incompréhensions, fâcheries qui ont jalonné les cinquante ans de relation entre la France et l'Algérie. Dans son discours, le président français a notamment reconnu " les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien ". " Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l'oubli et encore moins dans le déni, François Hollande a ainsi cité explicitement les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata. " Ils demeurent ancrés dans la mémoire des Algériens, mais aussi des Français ", a-t-il souligné, particulièrement le premier massacre, qui a fait entre 8000 et 15.000 morts, selon les historiens," le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie ". Il a par ailleurs voulu dire la vérité sur " les circonstances dans lesquelles l'Algérie s'est délivrée du système colonial. Sur cette guerre qui longtemps n'a pas dit son nom en France : la Guerre d'Algérie ". " Nous avons le respect de la mémoire. De toutes les mémoires " a-t-il insisté, en référence à celle des millions de Français forcés de quitter l'Algérie en 1962, " Nous avons ce devoir de vérité sur la violence, sur les injustices, sur les massacres, sur la torture ".
François Hollande n'a pas voulu aller plus loin. Il avait indiqué qu'il ne s'était pas rendu en Algérie pour " faire repentance " ou présenter les " excuses " de la France. " Ce n'est ni ce qui m'est demandé, ni ce que je veux faire " avait-il relevé. Le président français a rappelé qu'au-delà des oppositions et des fractures, l'histoire de l'Algérie et de la France était une " histoire humaine ". Il a notamment rappelé que Messali Hadj avait évoqué dans ses Mémoires des Français avec qui ses rapports étaient caractérisés par " une réelle amitié et une véritable confiance ". Et de citer le nom de " grandes consciences françaises " qui " ont su s'élever contre l'injustice de l'ordre colonial " : Georges Clemenceau, le résistant et universitaire André Mandouze, la résistante et ethnologue Germaine Tillion. Selon lui, cette reconnaissance doit permettre d'ouvrir un " nouvel âge " dans les relations franco-algériennes, basées sur un " partenariat stratégique d'égal à égal ".(1)
François Hollande a déclaré aussi devant le Parlement algérien que le pays avait été soumis "pendant 132 ans" avait été "un système profondément injuste et brutal". "Ce système a un nom : il s'appelle la colonisation.""Rien ne se construit dans la dissimulation, l'oubli ou le déni (..) La vérité ne divise pas, elle rassemble", assurait-il. "La vérité doit être dite et je vais la dire ici devant vous." François Hollande a ainsi reconnu "la souffrance que cette colonisation a infligé au peuple algérien" évoquant notamment "les massacres de Setif, Guelma et Kherrata" qui "demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens ". Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien", "(...) Nous pouvons partager notre savoir-faire, nos expériences, nos ressources." Il a aussi insisté sur l'importance des accords de formation entre la France et l'Algérie. La jeunesse "est une ressource que nous devons accompagner et valoriser (...) Je pense à ces 25.000 Algériens qui étudient en France. Je veux que l'on accueille mieux et davantage les étudiants algériens. Je veux une maison à la cité internationale universitaire de Paris pour accueillir ces étudiants". "(...) Je suis venu ici comme chef de la République pour vous dire combien je crois en l'amitié de nos deux pays", a-t-il conclu, sous les applaudissements des parlementaires, debout.
Les réactions en France
Les réactions partisanes en France sont pour la plupart basées sur une méconnaissance de l'histoire et un enfumage par ceux et celles qui ne veulent pas d'une réconciliation. Ces prises de position sont toutes focalisées sur les évènements durant la guerre de libération, dernier maillon de l'intégrale de l'horreur résumé magistralement par le lieutenant-colonel Montagnac : " Toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d'âge ni de sexe : l'herbe ne doit plus pousser où l'armée française a mis le pied [...]. Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu'à l'âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens ". (Lettres d'un soldat, 15 mars 1843)
Montagnac s'exprimait une cinquantaine d'années après la déclaration des droits de l'homme. Est-ce que le peuple de France, en toute conscience ne peut pas parler de faute et de manquement aux droits de l'homme ?
On sent justement comme une prise de conscience : le fonds de commerce partisan d'instrumentalisastion de la douleur réelle de ceux et celles qui ont été forcés par l'OAS à quitter l'Algérie commence à faire long feu. Il ne restera de part et d'autre que des blessures mémorielles que le temps guérira à n'en point douter.
Dans l'ensemble, pour paraphraser Georges Marchais, le bilan de la visite est globalement positif. Faut il rappeler - bien que la presse française en fasse l'impasse - que les autorités algériennes n'ont pas parlé de repentance. L'ancien Premier ministre, a qualifié cette demande de repentance, comme une surenchère médiatique et un fonds de commerce " le mot repentance a une connotation chrétienne qui ne s'applique pas ici. Ceci dit, le problème de l'invasion de " l'armée d'Afrique " les horreurs de la colonisation, les atrocités durant la guerre de libération font que l'histoire est à écrire objectivement et que justice devra être rendue. De ce point de vue la reconnaissance du passé colonial et des crimes de la colonisation apaisera les mémoires encore douloureuses, rendra justice aux victimes et mettra finalement fin aux instrumentalisations et calculs politiciens entretenus de part et d'autre. Aux yeux du journal communiste L'Humanité, cette visite est surtout une tentative de "relancer un partenariat malmené", mais, remarque-t-il, il est "difficile de faire l'impasse sur les questions mémorielles" en cette année du Cinquantenaire de l'Indépendance algérienne. "Pour autant, il s'agit d'avoir une relation tournée vers l'avenir", signale le journal qui publie en bonne place le communiqué du Parti communiste français, exhortant le président français à "reconnaître enfin la réalité du colonialisme et des crimes d'État ".
« Il faut en finir, écrit Hervé Gattegno du " Point " avec ce débat à rallonge sur la mémoire et les regrets, qui fait de notre histoire une série d'ignominies dont il faudrait toujours s'excuser. François Hollande a évité le piège et c'est tant mieux. Attention : il a raison d'admettre que la colonisation fut une injustice, une oppression même, mais il a raison aussi de ne pas céder à la bien-pensance en exprimant une "repentance" de la France - sans quoi on pourrait le faire aussi en Égypte pour Napoléon !(...) Donc, s'incliner, oui, mais uniquement devant les faits. (...) François Hollande ne va pas seulement honorer la mémoire du mathématicien communiste Maurice Audin, il a donné l'ordre qu'on remette à sa veuve tous les documents militaires qui le concernent. C'est un geste important, vu d'Alger comme vu de Paris. (...) Il y a des jusqu'au-boutistes sur les deux rives de la Méditerranée. En France, le traumatisme de la guerre et l'influence des pieds-noirs pèsent encore trop sur le traitement de la question algérienne. En Algérie, la vieille garde du FLN ne veut pas d'une réconciliation : elle vit dans un esprit de revanche...Officiellement, les autorités algériennes ne demandent pas de repentance. Bouteflika n'a parlé que de "tirer les enseignements de l'expérience passée" et d'"un partenariat toujours perfectible". (...) Bien sûr. L'Algérie est riche grâce au gaz et au pétrole, mais c'est un pays qui manque cruellement d'équipements, d'infrastructures, donc, un marché fécond pour nos entreprises. (...) »(2)
Petit détail qui a certainement échappé à monsieur Hervé Gattegno, l'expédition d'Egypte citée à duré quelques mois, peut-être 132 jours, nous parlons de 132 ans de colonisation de tortures, d'expropriation, de code infamant de l'indigénat, de déni de dignité. Ceci dit, Maurice Audin est l'un des milliers d'Algériens de torturés comme l'a rappelé courageusement la veuve de Maurice Audin, l'hommage aurait été plus élégant s'il était plus global. Par ailleurs, le partenariat profitera certainement aussi à l économie française qui peine à redécoller.
Pour Dominique Quinio (La Croix), il ne faut "certes pas faire l'impasse sur ce que représenta la colonisation, sur les erreurs et les crimes commis par la France, mais l'Algérie ne peut s'exonérer d'un même "regard lucide" sur sa propre histoire. Plusieurs quotidiens ont fait le parallèle avec la réconciliation franco-allemande qui pousse Patrice Chabanet à se demander dans Le Journal de la Haute-Marne "comment ce qui a été possible entre l'Allemagne et la France ne l'est-il toujours pas entre l'Algérie et la France un demi-siècle après la guerre d'indépendance ?" Même interrogation du Midi libre, dans lequel Jean-Michel Servant remarque que "malgré les horreurs, la France et l'Allemagne ont mis 40 ans pour se réconcilier. Combien en faudra-t-il aux deux voisins méditerranéens ?""l'Algérie de 2012 est un pays jeune qui ne peut pas indéfiniment se mirer dans le rétroviseur".
Pour Sylvain Courage du NouvelObs : Après Guy Mollet l'incompris, de Gaulle l'ambigu et les visites d'Etat de Chirac l'arabophile et Sarkozy le virulent, c'est au tour de Hollande le pacificateur de tenter de suturer les plaies purulentes d'un ex-département devenu reproche vivant. Le Corrézien flegmatique, qui n'a pas trempé dans le sang de la guerre comme Mitterrand son aîné, s'est muni d'une bombonne de cicatrisant. Né en 1954, énarque stagiaire à l'ambassade d'Alger en 1978, il peut réconcilier la gauche avec un passé glauque et surmonter, en président posant pour l'Histoire, un trauma binational. Hollande se sait taillé pour le job.(...)"Croyez-vous que l'Algérie soit imperméable au printemps arabe ?", demande une journaliste algérienne. "En Algérie ça ne s'est pas passé de la même manière. Chaque pays a ses spécificités. Moi, je veux saluer le courage des Algériens qui ont su rester unis...", répond le nouveau démineur d'Alger. "Les Algériens l'ont vécu, il y a longtemps, le printemps arabe.""(...) Mais je ne viens pas faire la leçon.""Voilà la synthèse ! " (3)
La nécessité de regarder vers l'avenir
La France propose "un nouvel âge" dans les relations complexes qu'entretiennent les deux pays, a déclaré le président Hollande : "Ce que je veux définir avec l'Algérie, c'est un partenariat stratégique d'égal à égal et qui permette d'entrer dans un nouvel âge", a annoncé le président français. L' accord de partenariat prévoit une feuille de route sur cinq ans. La France et l'Algérie promettent ainsi de "favoriser le plus largement possible la mobilité des ressortissants entre les deux pays", notamment en accélérant la délivrance des visas, ainsi que de renforcer leurs liens culturels et économiques. Un comité intergouvernemental de haut niveau présidé par les Premiers ministres des deux pays est mis en place. Il tiendra sa première réunion en 2013. Voilà pour l'avenir. Pour le passé, il faut attendre... demain.
Rappelant que la France est le premier investisseur, le premier fournisseur et le troisième client de l'Algérie, le président Hollande a indiqué vouloir que l'économie soit " au coeur " des relations entre les deux pays. Une demi-douzaine d'accords interentreprises ont été signés. Le président Hollande a par ailleurs annoncé l'appui de la France à l'Algérie en matière de formation, et notamment pour la création de quatre instituts universitaires de technologie (IUT). Il a par ailleurs, appelé de ses voeux la mise en place, dans le pourtour méditerranéen, d'un système d'échanges à l'image d'Erasmus. Il a enfin souhaité construire une maison de l'Algérie à la Cité internationale universitaire de Paris.
Il a par ailleurs, promis d'" accueillir mieux " les Algériens demandant un visa, afin que ce ne soit pas un" parcours d'obstacles ou, pire encore, une humiliation ". Il a aussi souhaité que l'Algérie " ouvre plus largement sa porte aux Français (...) qui y ont des souvenirs, des attaches familiales ou affectives ", une allusion aux pieds-noirs et aux harkis notamment.
François Hollande aura donc été le président français à aller le plus loin dans la reconnaissance des violences en Algérie. François Hollande a fait parler les mots et à sa façon atténuer une douleur qui est toujours là, c'est celle d'Algériens meurtris par l'histoire dune aventure coloniale qui débuta à cause d'un coup d'éventail. Il a objectivement fait avancer les choses, en face d'une opinion qui le surveille en y ajoutant ses difficultés intérieures, jointe, à sa baisse dans les sondages.
Par contres un aspect positif de cette visite est la réaction mesurée du président des rapatriés. En fait, leur parole a beaucoup plus de poids pour nous. C'était quelque part aussi nos partenaires dans la douleur. De plus, quand monsieur Juppé trouve quelques grâces au discours de Hollande, tout n'est pas perdu et le fond rocheux de l'âme française, bien que brouillé par des considérations purement politiciennes à l'instar des éructations des Mariani et Le Pen, est capable de sensibilité à la réalité du pouvoir colonial, si les choses étaient bien expliquées. D'où la responsabilité des historiens des deux bords qui pourraient réécrire cette Histoire commune, à deux mains. L'histoire est là. Nous devons nous aussi reconnaitre notre part d'ombre, mais elle n'est pas du même ordre que l'horreur coloniale.
Comment donner un contenu à ce partenariat d'exception ? Il me semble qu'au lieu d'intitiatives cosmétiques, il serait bien que de part et d'autre on mette en place une stratégie commune pour des objectifs similaires. Imaginons à titre d'exemple, que nous ayons à définir une stratégie énergétique où l'expérience de l'un est mise à profit pour développer l'autre. En clair, si l'Algérie adosse son futur énergétique, à un bouquet énergétique elle pourrait le mettre en oeuvre avec l'aide multidimensionnelle de la France qui, elle aussi, devra revisiter sa stratégie énergétique (part du nucléaire, des gaz de schiste, du renouvelable..) C'est aussi un grand chantier que celui des énergies renouvelables, de l'éfficacité énergétique, de la construction des chauffe-eau solaires, de la mise en oeuvre de véhicule hybride fonctionnant au gaz naturel....
Nous avons de ce fait, besoin de revoir fondamentalement la formation technologique mise à mal actuellement. L'une des meilleures concrétisations de ce partenariat d'exception est la mise en place en commun d'une Université de Tous les Savoirs adossée à une grande bibliothèque numérique pour oublier l'incendie de celle d'Alger C'est peut-être cela aussi qui permettra à la jeunesse d'aller vers le futur et aux anciens des deux pays de faire enfin la paix. Il faut accompagner cette démarche de réconciliation et rendre ses acquis irréversibles C'est l'avenir des générations futures qui doit nous préoccuper.
1.http://fr.news.yahoo.com/sans-repentance-hollande-propose-un-nouvel-%C3%A2ge-avec-183637138.html
2.ww.lepoint.fr/politique/parti-pris/la-france-doit-s-incliner-devant-l-histoire-pas-devant-l-algerie-20-12-2012-1604114_222.php ?xtor=EPR-6 Le Point.fr - Publié le 20/12/2012 à 08:34
3.Sylvain Courage http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20121219.OBS3012/reportage-hollande-le-demineur-d-alger.html#xtor=EPR-1-20121220
Prof. Chems eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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