Le coup d’Etat en cours au Brésil
Brésil - Rédaction France
La Nouvelle Campagne de la Légalité, impulsée par plus de huit mille juristes de tous les états du Brésil vient de commencer aujourd’hui. Elle cherche à transmettre au monde le manifeste qui dénonce le coup d’Etat en cours au Brésil.
Contexte
La Présidente Dilma Roussef a été la cible d’attaques systématiques provenant de l’opposition politique, des grands médias et des secteurs conservateurs de la société, depuis l’annonce officielle de sa victoire au second tour des élections de 2014. Dans un premier temps, avant même que la Présidente ne soit investie de ses fonctions, l’opposition a initié une campagne destinée à répandre le doute quant à la confiance sur le dépouillement des votes et sur la régularité du système informatique électoral.
Par un acte inédit depuis l’implantation du vote électronique (1996), le Tribunal Suprême Électoral a autorisé un audit à la demande du candidat vaincu, en l’absence de tout indice de fraude. Bien que cette première tentative de déstabilisation du gouvernement se soit soldée par un échec, le candidat de l’opposition, insatisfait de ce résultat, a appelé la population brésilienne à sortir dans les rues et à demander la démission de la Présidente, accusée d’avoir abusé des finances publiques afin de remporter les élections. Les principaux mouvements organisateurs des protestations, auto-intitulés “sans-partis et spontanés”, d’orientation politique conservatrice et financés par de grandes entreprises brésiliennes et étrangères défenseurs du libre marché, veulent l’impeachment.
Au début de l’année 2015, la coalition du candidat vaincu a demandé à la Justice Électorale de statuer sur la régularité des mandats de la Présidente et du Vice-Président, alléguant un abus de pouvoir politique et économique durant la campagne (à la fin de l’année 2015, cette action fut déclarée recevable par le Tribunal et n’a pas encore été jugée). Au cours de l’année 2015, les attaques de l’opposition se sont intensifiées. Et c’est à ce moment que la société Petrobras se trouve être la cible de la plus grande opération anti corruption jamais réalisée dans le pays – ce qui a justement été rendu possible en raison des mesures d’inspection et de transparence approuvées tout au long des années de gouvernement du Parti des Travailleurs. Les grands médias privés promeuvent les actions du juge Sérgio Moro – chargé des procès instaurés à partir des investigations policières – comme un spectacle de masses. Tout ceci se traduit par une couverture médiatique systématique et partiale des faits, renforcée par des commentaires dépréciatifs quant au gouvernement et stigmatisant quant à ses soutiens. Les grands groupes de communication s’évertuent clairement à déconstruire l’un des camps de la dispute politique et à renforcer l’autre, fomentant l’idée que le Parti des Travailleurs est responsable de la corruption structurelle du Brésil. Ils réduisent la dimension des manifestations populaires en faveur du gouvernement et occultent les nuances et les complexités du moment politique, en s’associant aux protagonistes de la campagne “Dehors Dilma !”.
Déjà en 2015, le Président de la Chambre des Députés, Eduardo Cunha, qui fait l’objet d’investigations pour son implication dans les affaires de corruption de la Petrobras et mis en cause pénalement pour avoir reçu des pots de vin sur un compte bancaire suisse, a reçu la demande d’impeachment fondée sur 1) les “pédalages fiscaux” (2015), présentés comme des opérations de crédit entre la Fédération Brésilienne et des banques publiques (Banco do Brasil, Caixa Econômica Federal e BNDES- Banque Nationale pour le Développement Économique et Social) et 2) l’édiction de six décrets non énumérés responsables de l’ouverture de crédits supplémentaires, sans autorisation législative. Aucune de ces deux actions pourtant ne répond à l’exigence constitutionnelle d’offense à la Loi de Finances et ne constitue ainsi un crime de responsabilité, qui serait la seule et unique raison pour laquelle l’ordre juridique brésilien autorise le procès d’impeachment. Eduardo Cunha, encore non suspendu par la Commission d’Éthique de la Chambre des Députés, exerce en toute impunité ses fonctions de Président de la Chambre. Dans ces circonstances, et avec l’appui de l’opposition vaincue par les urnes en 2014, il s’apprête à conduire la première et plus importante phase du procès d’impeachment. Par ailleurs, avec le risque de perdre son mandat, sans preuves, investigation ou accusation de fraude fiscale ou de dissimulation d’informations sur ses biens et son patrimoine, la Présidente Dilma Roussef, qui n’a pas de compte bancaire à l’étranger, et dont le nom ne figure sur aucune liste de politiciens impliqués dans des affaires de corruption, n’apparaît sur aucune opération de repentance pour avoir reçu ou offert des pots de vin, et ne figure pas comme accusée ou mise en cause dans des investigations policières ou criminelles.
D’un côté, le principe de présomption d’innocence, de l’autre, la présomption de faute comme règle politique du moment. La Commission Spéciale du procès d’impeachment de la Chambre des Députés est composée majoritairement d’hommes politiques qui ont notoirement reçu des donations de campagne électorale de la part d’entreprises soumises à enquête dans les détournements de la Petrobras. Les membres de cette Commission sont des députés également soumis à enquête par cette même opération policière. Le Brésil vit un moment particulier de grande appréhension et de souffrance. La rue et les réseaux sociaux distillent la haine contre ceux qui appellent à la défense de la Démocratie ou du Droit. Les citoyens de base ainsi que des personnalités publiques qui ne participent pas du “faux consensus” produit par l’opposition, deviennent la cible d’attaques personnelles stimulées par les médias conservateurs et dominants, clairement intéressés par l’inversion du résultat électoral produit par les urnes. La Présidente Dilma est offensée, tout particulièrement dans sa condition de femme, par des insultes machistes et des plaisanteries misogynes. Les politiciens alliés, en raison d’intérêts personnels ou électoraux, s’éloignent de la majorité présidentielle. Depuis les élections, la propre gouvernance se trouve menacée, de nombreuses actions sont bloquées par le parlement, afin de fomenter la crise économique et sociale qui permet d’asseoir le discours du coup d’état. Le Droit, a été, pour de nombreux juristes ou agents du système judiciaire, utilisé comme un instrument politique d’inversion du résultat des urnes, en flagrant délit d’abandon des principes élémentaires défendus par les diverses instances judiciaires.
Ce scénario rend hautement préoccupant la perspective d’une rupture de l’ordre démocratique et d’une violation de la souveraineté populaire au moyen d’abus de pouvoir. En d’autres mots, par l’exercice d’un pouvoir qui ne se soumet pas au Droit. L’absence de fondement factuel valide quant à la motivation de l’impeachment, l’utilisation de jugements politiques vagues et imprécis, et le non respect du principe constitutionnel de légalité sont des instruments qui caractérisent ce qu’il peut convenir d’appeler un “coup d’état législatif”, un “coup d’état blanc”, ou un “coup d’état occulte” (la déposition de Fernando Lugo, Président du Paraguay, en 2012, bien que n’étant
pas un cas isolé en Amérique Latine, est la typique illustration et application de ce jugement politique qui conduit à la déposition du Chef du Pouvoir Exécutif dans un système présidentiel : “mauvais bilan politique”). Pourtant, dans le régime présidentiel, le jugement sur le bilan politique du mandataire est le citoyen, au moyen du vote issu d’un suffrage régulier et direct et en aucun cas par le Législatif, sous peine de rupture de l’État Démocratique de Droit.
NOUVELLE CAMPAGNE POUR LA LÉGALITÉ : MANIFESTE DES JURISTES EN DÉFENSE DE LA CONSTITUTION ET DE L’ETAT DE DROIT
À Mme la Présidente de la République, à Mmes et MM. les Sénateurs et Sénatrices, à Mmes et MM les Députés Fédéraux, à Mmes et MM les Membres de la Cour Suprême Fédérale, au Peuple Brésilien.
La Nouvelle Campagne pour la légalité : Manifeste des Juristes en Défense de la Constitution et de l’État de Droit.
Nous, soussignés, juristes, avocates et avocats, professeures et professeurs de Droit du pays tout entier, entendons par le présent manifeste :
1 – Affirmer l’État de Droit Démocratique et Constitutionnel, qui doit être soumis aux lois et se réaliser par la loi, qui ne peut admettre aucune violation de garanties fondamentales établies ainsi qu´aucune instauration d’un État d’exception par le truchement d’un procès d’impeachment sans fondement juridique.
2 – Défendre l’impartialité de la Justice, qui doit pouvoir fonctionner selon les règles de la Constitution et de l’ordre juridique, refusant son fonctionnement sélectif ainsi que les persécutions politiques de quelque nature.
3 – Défendre la répression de la corruption, qui doit être réalisée de manière éthique, républicaine et transparente, sans que cela ne conduise à quelque restriction ou infléchissement des droits des citoyens ou l’utilisation irresponsable de moyens de communication quant à l’établissement artificiel et impropre d’actes judiciaires. La lutte contre la corruption ne peut s’exercer à l’encontre des droits et garanties du citoyen.
4 – Affirmer que nous lutterons pour la préservation de la stabilité et du respect des institutions politiques, ce qui en ce moment de crise se révèle être une position prudente, afin d’assurer le respect de la volonté populaire, qui doit se manifester par les règles définies dans la Constitution, au moyen d’élections directes régulières et périodiques.
Le Brésil traverse actuellement une grave crise au cours de sa récente démocratie. Pendant les années de dictatures, nombre de citoyens ont souffert et se sont sacrifiés pour que nous puissions aujourd’hui exercer pleinement nos droits.
La corruption n’est pas un fait nouveau, elle demeure présente depuis trop longtemps et doit être fortement combattue. Mais afin d’éliminer la corruption nous ne pouvons pas, au risque de faire régresser la protection des droits du citoyen brésilien – comme ce fut le cas pendant la dictature militaire instaurée après le Coup d’État de 1964 –, permettre de relativiser la présomption d’innocence ou d’établir l’existence d’actes arbitraires comme les mandats d’amener coercitifs de simples témoins ou mis en cause, de détentions provisoires, sans base juridique légale afin d’obtenir des accords de réduction de peine pour repentance ou d’écoutes téléphoniques illégales qui violent les prérogatives des avocats et jusqu’à ceux de la Présidence de la République.
En outre, nous ne pouvons pas admettre la compromission des principes démocratiques qui régissent le procès pénal, ainsi que les opérations médiatiques et les fuites sélectives, qui visent à détruire les réputations et à interférer dans le débat politique, en plus de provoquer des tensions au sein de l’opinion publique afin de légitimer ces opérations. Nous ne pouvons pas accepter l’infléchissement du principe démocratique au moyen d’un impeachment sans fondement juridique. La constitution exige, en effet, la commission d’un crime de responsabilité qui doit être préalablement défini par la loi. Il n’en va pas ainsi de quelque décision politique liée à la satisfaction ou à l’insatisfaction de la gestion de l’exécutif. Le vote populaire choisit le Président pour un mandat de quatre ans, au terme duquel il sera évalué. Même si l’on suppose que l’impeachment est une décision politique, cela ne lui retire point sa juridicité, c’est-à-dire son caractère de décision juridique conforme à la Constitution.
L’approbation des lois ou l’édiction de décrets sont aussi des décisions politiques et ne peuvent, ainsi, aller dans un sens contraire à la Constitution. Affirmer que le jugement est politique ne peut pas signifier que la Constitution puisse être violée. La preuve de l’existence d’un crime est une condition de constitutionnalité de l’impeachment. Ainsi même à partir d’une analyse très légaliste du procès, la conclusion est que le crime de responsabilité ne s’impose pas. La démocratie permet la divergence de point de vue sur le caractère des décisions politiques, mais l’ultime décision quant aux erreurs et succès, au sein d’un régime démocratique, repose sur le vote populaire. Même aux parlementaires élus par le peuple il n’est pas donné de pouvoir par la Constitution d’exclure le chef de l’exécutif, aussi élu par le suffrage, sur la base de dissensions politiques, mais à peine dans la stricte et exceptionnelle hypothèse de crime de responsabilité. Dans ce sens, nous voulons affirmer que la lutte pour la préservation de la stabilité et le respect des institutions politiques passe par le respect du mandat populaire acquis au moyen du vote issu d’élections régulières.
L'article originale sur Pressenza.
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