Le crash d’un B-2 Spirit offre un répit à l’Iran
Des avions qui s’écrasent, c’est monnaie courante dans le monde. Les magazines spécialisés égrènent les listes mensuelles des accidents. Le 21 février c’est un ATR 42 qui s’est crashé au Venezuela*. Mais aujourd’hui, ce que l’on apprend est différent. L’avion qui s’est écrasé le 22 février au décollage en plein milieu du Pacifique, sur l’île de Guam, n’est pas n’importe lequel, car il n’existe qu’à 21 exemplaires et coûte à lui tout seul 1,2 milliard de dollars l’exemplaire. C’est l’aile volante B-2, le joyau de la flotte de bombardiers américains. Plus que 20 exemplaires restant, donc, tous obligatoirement consignés au sol le temps de l’enquête obligatoire après ce genre d’accident. La perte de cet engin représente bien plus d’importance qu’une simple croix sur un registre d’effectifs : il était vital pour une stratégie qui finissait juste de se mettre en place.
Pour l’administration Bush c’est en effet un énorme coup dur, car l’engin était en pleins préparatifs de la stratégie d’attaque de l’Iran, pas moins. Il venait juste d’être modifié pour des opérations spéciales de bombardement que nous allons vous décrire un peu plus loin. L’appareil était sur le chemin du retour vers les Etats-Unis au milieu de trois de ses collègues, après quatre mois d’essais en vol passés en plein Pacifique. Hier, il était le second à décoller, le premier ayant quitté la base ayant été rappelé immédiatement à Guam, les deux derniers n’ayant pas décollé après l’accident pour des raisons évidentes de sécurité. Ce crash est une véritable catastrophe, car c’est le tout premier de cet appareil réputé fragile, qui avait déjà été écarté des premières attaques de l’Irak en faveur du B-1 de conception bien plus classique. Or, en prévision de l’attaque de l’Iran, que tous les observateurs jugent imminente et inéluctable (voir les papiers précédents écrits ici), l’administration Bush avait fort misé sur le B-2 comme vecteur essentiel d’une arme nouvelle extrêmement spécialisée, destinée à pénétrer des bunkers enterrés très profondément. Au point d’avoir à le modifier dans le détail pour emporter la nouvelle arme. Des bunkers où est censée se fabriquer la bombe nucléaire iranienne, comme Ben Laden était caché au fond de ses bunkers de Tora Bora, construits, on l’a vu, par... les Américains de la CIA.
Revenons tout d’abord sur le B-2 et les modifications importantes qu’il a subi ces derniers mois. L’engin est assez extraordinaire, on y revient pas. Furtif, capable de vols de 30 heures d’affilée (il y a des toilettes à bord !), et possédant également quelques difficultés de conception, dont notamment un revêtement extérieur très fragile (on ne marche dessus qu’en chaussons !) car recouvert d’une peinture qui a la fâcheuse habitude de partir sous la pluie... d’où la nécessité de l’enfermer dans un hangar climatisé et redéployable, à 19 millions de dollars l’unité. Une bonne partie de cette furtivité, en dehors de la forme de l’avion, provient en effet de cette peinture spéciale. La même que celle apposées sur les F-117 de génération précédente, et dont un crash en 1999 à la suite d’un tir de missile en ex-Yougoslavie, avait permis aux Russes de trouver la formule magique. Une formule qu’ils se sont empressés d’étaler sur leur vieux Mig-29, devenu par la magie de coups de pinceaux et de réacteurs à tuyères orientables le "nouveau" Mig-35. Un radar nouvelle génération non émissif permettant une meilleure invisibilité également pour un vieux coucou ayant retrouvé une nouvelle jeunesse, car les recettes se copient d’adversaire à adversaire. Le B-2 lui aussi a déjà été remis à neuf question radar, mais surtout a bénéficié depuis quelques mois d’un programme express de modifications pour accueillir en soute une bombe de dimension impressionnante, la Massive Ordnance Penetrator ou MOP.
La bombe nouvelle est du type impressionnant : elle pèse 13,6 tonnes, et fait bien ses 6 m de long. Impossible au départ de la placer dans les deux soutes à bombes du B-2, qui contenaient par défaut un système rotatif de lancement de bombes ou de missiles. Pour y caser l’engin, il a donc fallu modifier une seule des soutes à bombes des B-2, l’avion ne pouvant en transporter qu’une seule à la fois, les deux dépassant son quota de 40 000 livres. La transformation a eu lieu précipitamment depuis juin 2007, à la suite d’ordres express venus directement de la Maison-Blanche, dont on connaît l’extrême focalisation sur une attaque de l’Iran, les propos du président à plusieurs reprises n’ayant pas fait l’ombre d’un doute sur la question. Modifier l’entièreté de la flotte de B-2 signifie donc qu’un choix décisif a déjà été fait dès le mois de juin dernier, et que l’appareil, en l’état actuel des lieux, n’a plus d’autre mission que celle d’attaquer des installations souterraines à plus de 60 m de profondeur. L’ensemble des appareils modifiés devait l’être pour cette fin févier, les travaux ayant débuté début juin 2007.
C’est presque définitif, car on ne peut réinstaller à bord le panier rotatif précédent à moins à nouveau de longs travaux de dépose : jusqu’ici il était facile de modifier l’ordonnancement interne des bombes, mais avec un engin de 6 m qui emplit toute la longueur, cela devient nettement plus délicat. Larguer d’aussi grosses bombes, un rôle pour lequel le B-2 n’a pas été destiné au départ. La modification de toute la flotte de B-2 pour la délivrance d’un seul type de bombe ayant un usage extrêmement précis est pour certains observateurs bien la preuve que le bombardement de l’Iran est déjà jugé irréversible : on ne modifie pas la meilleure arme de son aviation comme ça sur un simple coup de tête ! Et le seul objectif enfoui susceptible d’être attaqué se trouve en Iran et non ailleurs dans le monde.
Des médias, en 2005, avaient déjà clairement vendu la mèche : "Some nuclear facilities in both countries are believed to be buried deep, so U.S. designers - including some from Boeing - are developing a new class of bombs for plowing through hundreds of feet of earth and concrete before detonating", dit candidement le SeattleTimes.
Un article roboratif sur le sujet donne toutes les clés de ce choix dramatique, fait à l’insu du grand public américain. L’article met en évidence le rôle extrêmement néfaste d’un conseiller néo-con de la Maison-Blanche désireux d’en arriver à tout prix à cette fin catastrophique, c’est Norman Podhoretz, une homme fort controversé qui a déclaré à maintes reprises "As an American and as a Jew,I pray with all my heart that he will (bomb)." En à peine 6 jours, durée quasi biblique, ce serait fait, selon l’auteur de l’article, et l’Iran pourrait alors être définitivement neutralisé.
D’autres voix s’ajoutent à ce faiseur malsain de guerre, dont l’ineffable Richard Perle, l’âme damnée du régime (avec Karl Rove) qui, en 2005 déjà, souhaitait venger l’affront d’un retrait irakien devenu inévitable : en parlant du "the Bush ignominious retreat”, par exemple. Pour lui, attaquer l’Iran, c’est reprendre une initiative déjà perdue en Afghanistan et en Irak, comme beaucoup s’accordent à le dire aujourd’hui. Une façon de voir les choses typiquement néo-con, ces hommes étant incapables d’analyser leurs propres échecs et cherchant constamment à rebondir plus loin, quels que soient les dégâts futurs ou les désastres antérieurs. Les néo-cons se soucient comme d’une guigne des populations, seul compte leur intérêt propre et le sentiment de puissance absolue auquel ils tiennent tant.
L’association B-2 et MOP est intitulée par l’Air Force, pour justifier ses choix comme un "lethal combo", une association contre nature, mais terriblement redoutable. Vingt modèles à une seule bombe, signifie aussi que les Etats-Unis s’apprêtaient à déverser l’équivalent de 13,60 tonnes multiplié par 20 sur les constructions enterrées d’installations nucléaires iraniennes de Natanz. Soit plus de 272 tonnes d’explosif !!! En fait beaucoup moins, car les vingt modèles sont incapables de voler tous en même temps ! Militairement, la MOP est une réminiscence directe des T-12, Tall Boy et Grand Slam anglaise lâchées sur les bunkers du nord de la France, dont celui d’Eperlecques qui en garde encore les stigmates extérieurs évidents. Des bombes lâchées de 5 400 m d’altitude par des Lancasters et qui étaient surnommées les"bombes-tremblement de terre". A Eperlecques, elles ont aussi provoqué un massacre, les Allemands ayant ostensiblement laissé leurs prisonniers polonais ou... allemands (des prisonniers politiques, dont beaucoup remontaient du camp de Gurs !) chargés de la construction du bunker à l’extérieur pendant les bombardements. Ce sont aussi des Tall Boy qui ont précipité la fin du Tirpitz.
Le B-2 originaire de la base de Whiteman, aux Etats-Unis, revenait en fait d’une campagne d’exercices de bombardement... et de vols d’essais incluant Hawaï et l’île de Diego Garcia, le dernier relais avant l’Iran. A Hawaï, un groupe d’activistes a noté depuis quelques mois seulement un fort regain de tests de bombardement incluant les B-2. Il n’y a en effet pas que Pearl Harbor comme base à cet endroit de l’île. Plusieurs bases, dont l’île de Kaho, aujourd’hui un site abandonné, servent ou ont servi de polygones de tirs dans l’île, au grand dam des pacifistes et des écologistes, qui dénoncent l’usage de bombes et d’obus à l’uranium enrichi sur leur territoire. Des images satellites montrent que de gigantesques cratères sont été artificiellement créés par les bombardements. Le 31 octobre 2007, des B-2 Spirit en provenance de Guam ont bel et bien testé des bombes d’au moins une tonne, selon un journal local, sur le polygone du Pohakuloa Training Area.
L’exercice consistait à bombarder avec des B-2 et non des B-1 ou des chasseurs-bombardiers Hornet, habituellement les seuls à s’exercer à cet endroit, ce qui a mis la puce à l’oreille des habitants, qui savent depuis toujours reconnaître rien qu’au son les bombardiers. Un bombardement sans bombes guidées au laser, uniquement en chute libre... or le monstre de 13 tonnes ne possède pas de système de guidage laser, mais simplement un positionnement par GPS. Nul besoin d’avion pointeur ou de troupes au sol pour illuminer la trajectoire. Tout cela sent le préparatif iranien : Guam est à 2 100 miles de Bejing et à 2 500 de Pyongyang, mais oriente les vols vers l’océan Indien et le relais suivant de Diego Garcia, quand on vient d’Hawaï... Le point à noter étant ici le point de départ, qui était bien Guam, où il semble bien qu’on a donc déjà commencé à stocker ces fameuses MOP. Un article daté mais hyper-précis expliquait clairement tout le dispositif, qui devrait éviter Diego Garcia pour des contraintes d’ordre diplomatiques :
"B-52 or B-2 bombers could deliver the MOP from bases in the US or Guam, or Diego Garcia. Since Britain has been following the European Union policy of engagement and negotiation with Iran, it may not permit the US to run bombing missions from Diego Garcia in the middle of the Indian Ocean. The aircraft would probably have to be employed and recovered to the US Pacific base on Guam, as B-52’s were during the unilateral US strike on Iraq in September 1996, codenamed Operation Desert Strike. The B-52 would be relatively vulnerable. Hence, any initial strikes with the MOP would be done with B-2 bombers, which have a much smaller radar profile, are faster, smaller, and much more maneuverable".
A noter que par une ultime dérision, l’un des 21 B-2 construits porte le nom de "Spirit Of Hawaï", et on ignore si ce n’est pas celui-là qui s’est écrasé, car on ne sait toujours pas le nom de celui qui a été rayé des listes ("written off") !!! Comme le disent les autochtones, c’est un peu ridicule de venir bombarder Hawaï quand il y a la place pour le faire aux Etats-Unis (dans le désert du Nevada, notamment, dont une bonne partie a été vitrifiée par les explosions nucléaires des années 50 et 60).
La décision de déployer le B-2 ailleurs que sur les trois bases d’origine (Fairford, en Angleterre et Diego Garcia en plus de Whiteman) est récente, elle remonte au 17 novembre 2007, l’île de Guam ayant été choisie pour sa position de relais dans la zone Pacifique en cas de conflit. Le premier exercice passant par Guam, "Koa Lightning", se résumait ainsi comme trajet : "The Koa Lightning operations demonstrate the Air Force’s unique capability to strike an adversary anywhere on the globe. The B-2s will take off from Guam, refuel with a tanker deployed from the Ohio Air National Guard, engage their targets over the bombing range in Hawaii, and then return to Andersen AFB". Une mission qui aura pris 20 heures au total et qui démontrait qu’on pouvait faire de même direction l’Iran, les KC-135 partant de Guam ou de Whiteman, pour doubler ceux passant par l’Europe via Fairffield. Chaque base (dont Diego Garcia) proposant 4 abris pour B-2 (à Guam ce sont abris en dur), la base américaine d’origine s’en réservant huit, on est aux 20 exemplaires total restant.
L’annonce du crash du B-2 est donc une bonne nouvelle pour la paix dans le monde, les deux pilotes s’en étant sortis intacts ou presque (l’un est encore à l’hôpital). Mais il y a fort à penser que ce ne soit qu’un simple répit. Des avions s’écrasent tous les jours sur terre, ce n’est pas ce qui empêche les gens de voler ou les mêmes modèles de revoler. Il a fort à parier que l’enquête sera rondement menée, et qu’on découvrira que ce sont les réacteurs qui sont en cause, comme tout le monde s’en doute déjà (quatre en même temps ce serait étonnant, deux de fichus et la poussée s’avère déjà trop faible au décollage). Le tout est de savoir s’il s’agit d’un cas classique d’ingestion d’oiseaux, d’un simple problème de maintenance ou d’un défaut structurel, voire d’une défectuosité en provenance du kérosène ou des pompes d’alimentation, l’erreur humaine semblant d’emblée exclue.
Dans les deux premiers cas, l’attaque iranienne ne serait que reportée de quelques semaines, dans les cas suivants ce sont les B-52 qui s’en chargeront (les B-52 pouvant eux aussi emporter l’engin) : et là cela devient nettement plus risqué pour les Américains, les Iraniens possédant des radars et des missiles (russes) capables de les neutraliser, même à très haute altitude. Les menaces bushiennes viennent d’obtenir un coup d’arrêt momentané. D’autant plus que le taux d’attrition de l’avion préféré est élevé : seuls 40 % de la flotte est constamment utilisable, entre entretien, maintenance et mise à jour d’équipements ("blocks 10, 20 et 30" ), ce qui réduit le nombre à un très faible... 8 appareils (et donc 8 bombes MOP seulement, l’opération doit être préparée avec minutie) ! L’histoire nous apprendra bientôt pour combien de semaines, seulement cette partie du monde hérite d’un répit momentané. Un répit seulement, tant la décision en haut lieu ne fait aujourd’hui plus aucune doute avec ces B-2 spécialement modifiés pour un seul type d’opération et une lourde infrastructure de guerre en place depuis une année, capable de se mettre à réagir dès qu’elle obtiendra le feu vert présidentiel. Un ordre qui devrait suivre une attaque adverse en forme de coup du golfe du Tonkin. A savoir une fausse provocation rondement menée.
L’annonce avant-hier de la divulgation du rapport de Baradeï laissant des zones d’ombre sur le programme nucléaire iranien permet désormais à W. Bush de faire mieux passer ses vues auprès de l’opinion, et il ne va sans doute pas s’en priver. Bientôt, il ne sera même plus possible de savoir s’il y avait réellement un programme nucléaire militaire ou non en Iran. Tous les sites iraniens étant promptement rasés et anéantis. Par une première attaque de B-2, et des vagues suivantes de B-52 et de B-1. Un scénario moult fois répété, un scénario qui n’attend plus que résonne le mot "moteur". Aujourd’hui, le principal acteur du film est à l’hôpital. Dès sa sortie de soins intensifs, on reprend la scène. A quand le clap de début de tournage ?
* pour l’ATR c’est ici.
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