Le mythe de « la menace iranienne », par Yakov Rabkin
Yakov Rabkin est Professeur d'Histoire à l'Université de Montréal. Il est l'auteur du livre « Au nom de la Torah : Une histoire de l'opposition juive au sionisme », sorti en 2004. Il également l'auteur d'un article publié en 2008 dans la Revue Internationale et Stratégique, dans lequel il analyse le rôle moteur de certains lobbys sionistes dans la diabolisation du président Iranien, Mahmoud Ahmadinejad.
Dans le contexte des élections présidentielles françaises de 2012, certains candidats (Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon, ...) reprennent à leur compte le mensonge selon lequel le président iranien aurait déclaré qu'il souhaitait rayer Israël de la carte.
L'Audible : De nombreux analystes estiment une attaque de pays occidentaux contre l'Iran « imminente », beaucoup parlent du dernier trimestre 2012 comme probable fenêtre temporelle de lancement de ce conflit. Estimez-vous ce conflit inéluctable ? Craignez-vous qu'il se transforme en guerre mondiale ?
Yakov Rabkin : Le consensus en matière de politique étrangère semble très solide en France. Ce consensus concerne avant tout les actions occidentales dans les pays non occidentaux : la Lybie, la Syrie, l’Iran. Les élites politiques gardent toujours en mémoire la « mission civilisatrice de la France » en Afrique et en Asie. Elles ont accepté que le principe d’égalité s’applique aux peuples moins blancs seulement après le retrait de l’Algérie. Cette acceptation faisait partie de la vague de décolonisation, créée et soutenue largement par l’URSS dans le contexte de la Guerre froide. Depuis une vingtaine d’années, la légitimité grandissante du racisme facilite le retour à la discrimination raciale à l’intérieur (d’où l’essor de l’extrême droite) et à des interventions militaires du type néocolonial à l’extérieur.
L’État d’Israël en donne l’exemple en agissant d’une façon résolue et avec impunité comme « le rempart de la civilisation occidentale » au Moyen Orient. Beaucoup de Français s’inspirent de cet exemple, acceptent le mythe de « la menace iranienne » fabriqué par les élites sionistes afin de non seulement consolider la société autour de la droite nationaliste mais également faire disparaître la tragédie palestinienne de l’opinion publique. Cette politique met en relief le refus d’appliquer le principe d’égalité à la République islamique. Ce qui est permis à Israël, notamment de disposer d'armes nucléaires sans aucun contrôle international, ne pourrait, dans cette logique coloniale, s’appliquer à un autre pays de la région. C’est ce mélange d’impunité et d’arrogance qu’admirent les élites politiques en France.
Je suis historien plutôt que prophète. Je sais qu’aucun conflit n’est inéluctable : il est du ressort de la volonté humaine. Une attaque contre l’Iran risque d’étendre considérablement la zone du conflit. Pourtant je n’y vois pas le spectre d’une guerre mondiale car les armes nucléaires que possèdent les adversaires potentiels (les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan) tendent à restreindre leur comportement.
Propos recueillis le 20 mars 2012 par Raphaël Berland
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