Le programme nucléaire iranien : un instrument de la politique étrangère de l’Iran ?
Depuis 2003, le programme nucléaire iranien a fait couler beaucoup d’encre et inquiète le monde. Les dirigeants iraniens ont agi avec opportunisme depuis 2003 et ont réussi à faire de l’Iran un partenaire quasi incontournable dans la région. En quoi le programme nucléaire iranien est-il un instrument de la politique étrangère de l’Iran ?
La semaine dernière l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la
République islamique d’Iran (RII) se sont accordés sur leur plan de travail
visant à résoudre les interrogations sur le programme nucléaire iranien.
Mohammed El-Baradei a déclaré, en marge d’une réunion du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, que c’était la première fois que l’Iran avait donné son
accord à un plan de travail visant à résoudre les sujets en suspens ; ce qui
était "un pas important dans la bonne
direction"[1]. Il a également renouvelé son
appel à un double-arrêt, celui des sanctions et des activités
d’enrichissement, afin de laisser la place à la négociation. Plusieurs pays
ont salué ces accords : le Brésil, la Chine et d’autres pays du Mouvement des non-alignés ont exprimé leur satisfaction à voir privilégiée la
négociation[2]. Ces félicitations sont de petites victoires diplomatiques pour l’Iran, qui sort ainsi peu à peu de son isolement sur la scène internationale. Comment l’Iran a-t-il réussi à faire de son programme nucléaire une des composantes de sa politique étrangère ?
Le rôle du programme nucléaire en diplomatie
Selon Nader Barzin, la divulgation en 2003 de la capacité d’enrichissement de
l’Iran sert ses propres intérêts. En rendant public son programme nucléaire
- après des fuites sur celui-ci dans la presse - l’Iran profite d’un
environnement diplomatique international favorable pour servir son dessein.
Les Etats-Unis, en position difficile dans la région et vis-à-vis de ses
partenaires, se voient obligés d’admettre les développements iraniens. Ce
programme nucléaire sert également de "capacité de dissuasion virtuelle"
contre les menaces extérieures que ressent l’Iran. Il permet aussi à la RII de montrer "sa
bonne citoyenneté internationale"[3]. L’Iran,
agissant dans le cadre du TNP, se place dans le cadre du droit international.
En acceptant récemment de signer un protocole visant à clarifier les buts
poursuivis par son programme nucléaire, la RII montre sa bonne volonté pour
aller plus loin dans ce sens. Parallèlement, certains dirigeants iraniens
fustigent toujours l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis du droit international.
Dans son dernier sermon du vendredi, le guide suprême, Ali Khamenei, a même
souhaité voir les Etats-Unis traduits devant un tribunal international pour
leur conduite en Irak[4]. Pour Tariq Ali,
c’est l’Iran qui est le principal bénéficiaire des actions américaines en
Irak. L’écrivain pakistanais pense en effet que l’Iran est le principal
bénéficiaire de la guerre contre le terrorisme. En ne participant pas aux
actions américaines en Afghanistan et en Irak, ils ont laissé les Etats-Unis
s’occuper des Talibans et de Saddam Hussein, ennemis de Téhéran. Les Iraniens,
opportunistes, cherchent maintenant à profiter de la situation de faiblesse de
Washington, qui s’est empétrée en Irak et en Afghanistan. Et la tension monte entre les deux
puissances[5].
L’Iran n’a de cesse aujourd’hui de faire reconnaître à la communauté
internationale son droit à développer une technologie nucléaire civile. Et ce
malgré l’opposition virulente des Etats-Unis, et maintenant de la France.
Bernard Kouchner le dimanche 16 septembre, s’est tourné vers la "rhétorique
martiale" selon la ministre autrichienne des Affaires étrangères, Ursula
Plassnik[7]. Le lundi 17 septembre, Reza
Aghazadeh, rappelait dans une déclaration à la 51e conférence générale de
l’AIEA les justifications de l’attitude iranienne sur le sujet du nucléaire. Le
programme nucléaire a démarré à l’époque du Shah, suite à la préoccupation de
trouver une source d’énergie alternative au pétrole. Aghazadeh a également
évoqué le contentieux Eurodif. Selon l’accord initial, cette participation de
l’Iran, à partir de 1975, dans l’usine européenne d’enrichissement de
l’uranium lui donnait droit à une partie de la production d’uranium enrichi à Tricastin. Cet accord ne sera jamais respecté, et donnera lieu à des tensions diplomatiques et à des attentats en 1985-1986. Le discours d’Aghazadeh souligne ensuite la fierté
iranienne de devenir une nation développée malgré les obstacles qui lui ont
été opposés depuis cinquante ans[6].
Aghazadeh rappelle encore le droit international, selon lequel l’Iran a le
droit de développer sa propre technologie nucléaire à usage civil, et invite
les Occidentaux à ne pas choisir la confrontation, mais la coopération et la
négociation.
L’Iran profite de toutes les opportunités pour gagner du terrain
Les Iraniens multiplient le recours à la patience en alternant la bonne volonté et la fermeté dans leur position face à la communauté internationale. Alors que le temps continue à s’écouler, l’Iran continue à
poser les jalons de sa course au statut de puissance internationale. Sur
le plan économique, son marché intérieur intéresse les Chinois et les
Européens. Renault a par exemple lancé avec succès la Tondar-90, une Logan
fabriquée en Iran en juin 2007 [8]. Les
produits iraniens ont acquis une place prépondérante en Irak. Les ressources
gazières iraniennes intéressent l’Arménie, la Géorgie, l’Inde ou la Chine. Les
ressources pétrolières, et la position de l’Iran au sein de
l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) lui permettent
d’essayer d’influer sur les prix du baril de pétrole. L’Iran, sous le coup de
sanctions économiques depuis l’adoption des résolutions 1737 et 1747 du
Conseil de sécurité, applique en retour des sanctions économiques. Le
ministère iranien du pétrole a récemment décidé que la participation de Total
au projet gazier South Pars devait être reconsidérée, et ce quelques temps
après le retrait de plusieurs grandes banques françaises en Iran.
Selon un document de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Iran
planifierait même de porter sa candidature à un siège de membre temporaire du
Conseil de sécurité en 2009. Selon certains diplomates, cette candidature
semble être une provocation alors que des résolutions de ce même Conseil de sécurité visent la RII[9].
L’Iran, comme l’Occident, manient la carotte et le bâton depuis presque cinq ans
au sujet du nucléaire iranien. Deux idées se partagent la scène, à tour
de rôle. L’une est celle de la confrontation ; l’autre celle de la coopération
internationale. La confrontation, au vu des déclarations récentes en
provenance des Etats-Unis, de la France ou de leurs partenaires, trouve de
plus en plus d’adeptes dans les gouvernements occidentaux.
Début septembre 2007, Ali Akbar Rafsandjani, ancien président de l’Iran et
ancien adversaire de Mahmoud Ahmadinejad à la course à la présidence, a été élu à la tête
de l’Assemblée des experts. Rafsandjani est un réformiste, et selon certains
analystes, sa victoire représente un tournant majeur dans la politique
iranienne. L’Assemblée des experts, une institution-clé du régime iranien, est
désormais divisée en deux factions[10]. Celle de Rafsandjani et des
réformistes, partisans de la négociation et de l’ouverture, et ceux de Ahmad
Jannati, le mentor de l’actuel président Ahmadinejad, partisans d’une ligne
dure. Rafsandjani pourrait mettre à profit sa nouvelle charge pour atténuer
les positions d’Ahmadinejad, particulièrement en politique étrangère.
L’Iran et les Etats-Unis, en adoptant un discours relevant d’une morale
guerrière, se poussent mutuellement dans un guerre à mort. N’étant pas en
capacité de s’exterminer l’un l’autre, les deux pays se livrent à une guerre
larvée, faites de déclarations fracassantes, d’enlèvements, de
déstabilisation. Et quand d’autres pays se joignent à cette vendetta, cette guerre pourrait devenir interminable.
Notes :
[1] : IAEA Staff Report, Board of Governors Considers Safeguards Implementation in Iran. IAEA Chief Talked to the presse on latest developments, 12/09/07
[2] : Dépêche IRNA : Brazil backs Iran-AIEA agreement, 16/09/07. Voir aussi Daily Times, « China welcomes Iran-AIEA deal », 14/09/07
[3] :
L’économie
politique de développement nucléaire en Iran, Nader Barzin, thèse en socioéconomie de développement de l’EHESS, 2004
[4] : Dépêche IRNA, Supreme Leader : US should be tried at an international court, 14/09/2007
[5] : Interview avec Tariq Ali, Inter Press Service, 16/09/07
[6] : Aghazadeh remonte implicitement à la crise survenue suite à la
nationalisation du pétrole par Mossadegh en 1953, évènement qui a marqué
l’histoire iranienne sur la scène internationale. Voir son discours complet sur le site de l’IRNA
[7] : « Iran : le chef de l’AIEA appelle au calme », Le Figaro, 17/09/2007
[8] : « First
Iranian-made Renault Logans hit the road », Middle East Times,
13 juin 2007
[9] : MP terms negotiation Iran’s main strategy to solve nuclear issue, Dépêche Fars News Agency, 17/09/2007
[10] : Kimia Sanati, Rafsandjani, the man to watch, Inter Press Service, 14/09/2007
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