Le réveil de la rue arabe : une époque de changements ou un changement d’époque
Sans doute il est très tôt pour prévoir la destination finale de la vague de changements politiques qui s’opère actuellement dans le monde arabe. Mais il est tout à fait légitime de s’interroger sur le destin de ce qu’on a toujours du mal à appeler révolution. D’autant plus que l’histoire moderne des pays arabes nous montre que cette vague de changements est loin d’être la première. En effet, des changements de grandes envergures ont déjà été opérés sans jamais satisfaire les peuples de ces pays.
Le monde arabe connait sa première vague de changements, au début du dix-neuvième siècle. La majorité des Arabes est analphabète et vit dans des situations économiques précaires. Les élites et les lettrés arabes exigent alors de l’empire ottoman qui contrôle le monde arabe, d’opérer des réformes à tous les niveaux. La réponse apportée n’est visiblement pas à la hauteur, les revendications se durcirent, et passent d’une volonté de réformer l’empire à une volonté de s’en s’éparer. Les élites arabes se mobilisent dans toute la région en commençant par le Maghreb, jusqu’aux pays du golfe en passant par la grande Syrie. Paris se transforme en la Mecque des réformistes arabes, parmi dont Nagib Azuri, un penseur libanais qui écrit un ouvrage en 1905, intitulé « le Réveil du monde arabe », dans lequel il réclame l’indépendance du monde arabe. Toutes les revendications de l’époque demandent l’indépendance de l’empire ottoman en faveur d’une union des pays arabes. Cette époque est baptisée l’époque de la renaissance (al-Nahda), elle se termine ainsi, le monde arabe se sépare de l’empire ottoman, mais il se voit divisé et partagé entre les grandes puissances coloniales de l’époque que sont la France et l’Angleterre. En d’autres termes, il passe de l’époque ottomane à l’époque coloniale, juste un changement d’époque.
La deuxième vague de changements politiques, commence après la fin de la deuxième guerre mondiale. La mainmise des forces coloniales sur les richesses des pays arabes, la pauvreté des populations, et surtout les divergences d’intérêts entre les forces coloniales d’un côté et les deux grandes nouvelles puissances mondiales que sont les Etats-Unis et l’Union soviétiques, alimentent la grogne des peuples arabes contre la France et l’Angleterre. Partout, les voix des élites arabes s’élèvent demandant l’indépendance qui devient le mot d’ordre. Cette époque se termine ainsi, tous les pays arabes auront leurs indépendances, mais ils se voient pris sous l’influence de l’une des deux grandes nouvelles puissances (l’union Soviétique et les Etats-Unis), pendant ce temps-là, la masse populaire arabe continue de s’appauvrir. Les pays arabes, changent encore une fois de tuteur, ils passent de l’époque coloniale à l’époque américano-soviétique.
La troisième vague de changements politiques sera tout à fait subit et non pas voulu. Car, avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union-soviétique, les pays arabes rentrent sous le contrôle américain. Les peuples arabes quant à eux voient leur situation stagner. Les régimes arabes subissent le contrôle unilatéral des Etats-Unis. En d’autres termes, ils passent de l’époque américano-soviétique à l’époque Américaine.
Actuellement, nous assistons à la quatrième vague de changements. Elle a commencé en Tunisie, s’est poursuivie en Egypte et se propage à très grande vitesse à des proportions différentes dans tous les pays arabes. La question qui se pose maintenant est comment va-t-elle se terminer ? Est-ce que les Arabes vont opérer un réel changement qui se couronne par des systèmes politiques reflétant la vraie volonté des peuples ? Est-ce que ces pays vont être indépendants dans le vrai sens du terme ? Ou est qu’ils vont simplement changer de tuteur, comme ce fut le cas jusqu’alors ? Pour répondre à ces interrogations, il faut dire qu’il y a deux points essentiels qui différencient cette nouvelle vague de changements. Le premier, c’est que cette vague est pensée, faite et orchestrée par les peuples. C’est-à-dire, que les élites et les partis politiques opposants et pour la première fois ne sont pas en première ligne. Actuellement c’est la masse populaire qui est en train de prendre son destin en main, ce qui explique en grande partie la difficulté des régimes arabes à contrôler les manifestants. Le deuxième point c’est l’incapacité des grands pays Occidentaux d’intervenir dans ce pays comme ce fut le cas auparavant. Et ceci est dû entre autres, à la crise économique qui persiste, et qui rend chaque intervention très couteuse.
Pour cela, j’ose espérer que les pays arabes vont opérer et pour la première fois dans leur histoire moderne un vrai changement. J’ose espérer, également, que les peuples arabes ne vont pas se contenter de changer une énième fois de tuteur et qu’ils vont accéder à un vrai revirement qui transforme l’image de leurs pays. En d’autres termes, j’ose espérer qu’ils vont opérer une époque de changements et non pas un changement d’époque.
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