Le supplice d’Alexandre
A Piedade, centre de Vitoria, lorsqu’on est jeune, pauvre et noir et que l’on touche au trafic de drogue, grandes sont les chances de finir entre quatre planches. Bien plus qu’une moyenne nationale, déjà très élevée.
Alexandre Estevão Ramos, était un de ceux-là. Son frère Thiago et lui-même ont été abandonnés par leur mère dès leur jeune âge et élevés par leur grand-mère Rutheia qui travailla sa vie durant pour nourrir enfants et petits-enfants.
Le bambin au regard d’adulte partira perdant. Faute d’alternative, la seule voie qu’il fréquentera alors sera de fait ou de justice.
Dès l’adolescence Alexandre sera arrêté pour trafic de drogue et détenu dans un centre qui n’a rien de socio-éducatif. Bien au contraire, il apprendra à se méfier d’une société qui n’offre aux jeunes noirs défavorisés que la répression ou la marge.
La marge, il y retournera aussitôt jusqu’à ce funeste 18 mars 2010. Date qui marque le début de sa lente agonie.
La police choisira ce jour pour faire une descente au « Mont de piété », quartier déshérité de Vitoria. Pris en flagrant délit de trafic de drogue, un ami du groupe d’Alexandre répliquera. Effrayé par les tirs, Alexandre se mettra à courir quelques mètres avant de s’effondrer atteint de deux balles dans la colonne vertébrale.
A terre, les policiers le roueront de coups avant de le laisser baigner dans son sang durant trois longues heures. Il ne devra son salut qu’aux voisins qui appelleront une équipe de reporters pour dénoncer les policiers qui empêchèrent les secours d’accéder au site.
Le chemin de croix débutera au Mont de piété.
Alexandre sera transféré d’un hôpital à l’autre durant quatre mois avant d’être envoyé en mauvais état dans une prison de haute sécurité de triste réputation.
Il arrivera dans le complexe pénitencier de Viana, paraplégique avec des plaies ouvertes.
L’infirmerie de la prison, qui ne dispose que de peu de moyens, lui dispensera des soins basiques. Le complexe PSMA-I de Viana n’est en réalité que le reflet d’une politique délibérée des autorités de l’Etat. Cette situation avait déjà fait l’objet d’un article intitulé Espirito-Santo : Les geôles de l’enfer.
De nombreux détenus malades verront leur état empirer en raison du manque de structures adéquates.
En dépit de la gravité de ses blessures, Alexandre sera tout de même détenu dans une infirmerie insalubre où l’on changera une fois sur deux ses couches gériatriques.
Maria das Graças Nacort, une inlassable militante qui avait déjà perdu un fils dans cet enfer carcéral, essayera d’alerter les médias et les autorités pour éviter qu’il ne connaisse le même sort. En vain.
Les conditions d’hygiènes déplorables et le manque de soin faciliteront la prolifération de germes.
Une bactérie rongera le corps d’Alexandre jusqu’à l’amputation.
Pour éviter que l’infection ne se généralise les médecins lui amputeront les deux jambes. Le beau jeune homme d’1m 80 sera réduit à un homme-tronc.
L’Etat, au travers de son secrétaire à la Justice, Ângelo Roncali, décidera de le renvoyer à la maison pour éviter que le malade encombrant ne ternisse un peu plus l’image déplorable des prisons d’Espirito Santo.
La grand-mère Rutheia, qui en avait la charge, déménagera à la périphérie de Vitoria et reprendra des ménages pour subvenir aux besoins du grand malade.
Elle ne recevra aucune assistance, ni aide financière.
Son petit-fils s’éteindra à petit feu sans que le gouvernement de l’Etat ne réagisse.
Alexandre, 20 ans, est mort d’une infection généralisée le 3 janvier 2012 à 3h50 à l’hôpital universitaire (Hucam) de Vitoria.
Les services sociaux de la mairie de Vitoria ont laissé entendre aux proches du défunt que son enterrement serait payé par le contribuable. L’Etat défaillant aura donc voulu faire preuve de générosité envers sa victime.
Le bourreau a payé les funérailles du supplicié. L'ignominie se drape souvent de bienveillance.
Les médias locaux inféodés au pouvoir ont une nouvelle fois passé sous silence cette tragédie.
Seul un journal en ligne, Século Diário, qui avait accompagné le calvaire d’Alexandre jusqu’au bout, relatera cette triste fin.
Francis et moi-même, qui vivons dans l’Etat d’Espirito Santo, avons pensé qu’il était de notre devoir de répercuter cette affaire au-delà des frontières du Brésil. Nous publions donc simultanément un article sur le supplice d’Alexandre.
Source : Século Diário
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