Le territoire de l’UE peut-il accueillir des missiles américains ?
Alors que l’intervention russe en Géorgie s’éternise, les Etats-Unis et la Pologne ont signé la semaine dernière un accord préliminaire sur l’installation de dix rampes de lancement de missiles en territoire polonais et par conséquent sur le territoire de l’Union européenne (UE). Plus qu’un symbole, ce choix des Polonais de se choisir avec les Etats-Unis un protecteur à la dimension de l’encombrant voisin russe atteste des divergences de vues des différentes capitales européennes.
La claque est sévère. L’Europe diplomatique n’existe pas et l’on peut même se demander si elle existera un jour. Le schisme semble bien réel entre « nouvelle Europe » et « ancienne Europe ». Dans le premier groupe, constitué des nouveaux entrants et anciens pays satellites de l’Union soviétique, la visite de Nicolas Sarkozy à Moscou a été ressentie comme un nouveau Munich.
En rejoignant l’UE et l’Otan, la Pologne et des Etats baltes notamment, pensaient en avoir fini avec l’influence russe. Le choix paraissait simple. Un décollage économique et un enrichissement grâce à l’UE, mais sous la protection militaire bienveillante des Etats-Unis et de l’Otan car, à l’évidence, l’Union européenne est incapable d’être ce puissant parrain.
C’est la compatibilité de ces choix qui est aujourd’hui posée. L’Otan, bras armé des Etats-Unis, est devenue une organisation extensive qui répond à la volonté des Etats-Unis de faire main basse sur l’Asie mineure, zone hautement géostratégique, en intégrant autant que possible un maximum d’Etats de la région, à l’exemple de la Géorgie.
Jouant sur les peurs, les Etats-Unis ont demandé dimanche dernier à la République tchèque et à la Pologne de servir de bases européennes à un projet de bouclier antimissile américain. Aux termes de l’accord, les Etats-Unis pourront installer sur le sol polonais à l’horizon 2012 dix intercepteurs capables de détruire en vol d’éventuels missiles balistiques à longue portée. Ce système sera lié à un puissant radar qui sera installé en République tchèque. L’accord avec Prague a déjà été signé le 8 juillet. Ces éléments font partie d’un vaste projet destiné à protéger le territoire américain d’éventuelles menaces de pays imprévisibles.
Le courroux russe est légitime. Selon Le Figaro, « certains experts européens font remarquer que l’extension du projet antimissile risque de braquer la Russie sans améliorer sensiblement la capacité américaine d’interception ». Les autorités russes ont par la voix de Sergueï Ivanov, ministre de la Défense, posé la bonne question : « Quelle sera la cible de ce système antimissile ? »
Officiellement pointé contre l’Iran, il pourra de fait être retourné vers la Russie. Le mécontentement de Moscou est d’autant plus grand que la Pologne a obtenu des Américains l’installation d’une batterie antiaérienne de dernière génération, Patriot, comportant 96 missiles. Varsovie aurait également obtenu un renforcement de l’article 5 de la charte de l’Otan qui prévoit qu’une attaque armée contre l’une des parties du Traité sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. En représailles, Moscou a d’ores et déjà menacé de diriger ses propres lanceurs vers la Pologne et la République tchèque et donc le territoire de l’UE.
En encourageant systématiquement l’élargissement de l’UE, l’Oncle Sam s’est assuré de la présence des ferments de la division dans la cité européenne. La « vieille Europe », celle qui aurait pu aspirer à jouer un rôle international autre que celui de simple banque humanitaire mondiale, a en peu de temps perdu toute velléité d’indépendance, prise en tenaille entre le Royaume-Uni à l’Ouest et les anciens pays du bloc soviétique à l’Est très favorables aux Etats-Unis alors que la France de Nicolas Sarkozy a abandonné la ligne gaulliste de non-alignement.
Reste donc la question de l’avenir de l’Union européenne. Doit-elle se contenter d’être un seul espace d’échanges commerciaux, géant économique, mais nain politique et militaire ? Alors que Paris a esquissé de grands desseins l’Union pour la Méditerranée, que des négociations approfondies ont été menées avec la Turquie pour son adhésion à l’UE, ne peut-on s’interroger sur la fameuse Europe de l’Atlantique à l’Oural ?
C’est au fond de la place que nous entendons faire à la Russie dans les années à venir qu’il s’agit. L’ancien empire des tsars (145 millions d’habitants) ne saurait avoir moins de légitimité à intégrer l’UE ou à jouir d’un partenariat privilégié que la Turquie (100 millions d’habitants). N’en déplaise aux Etats-Unis.
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