Le terrorisme comme outil de l’État profond - La politique intérieure [2/3]

Le terrorisme spectaculaire étatique
Avec l’emballement médiatique sensationnel, le terrorisme spectaculaire mobilise voire traumatise massivement les esprits à un moment donné. Nous allons analyser ce terrorisme précis, qui ne se caractérise pas par une simple poussée de folie meurtrière, mais plutôt par l'instrumentalisation de réseaux profonds agissants. L’étude consiste à dégonfler cette baudruche qu’est le terrorisme islamiste spectaculaire étatique.
Il est possible, au vu des éléments rassemblés précédemment, que de nombreux acteurs responsables d’attentats en France et en Belgique aient pu bénéficier de protections insoupçonnées (les frères Kouachi par exemple) d’une poignée d’acteurs au sein de différentes agences de renseignement et de l’administration politique. Quand de tels soutiens sont effectifs, nous y reviendrons, ils s’opèrent au sein de l’État profond. Ce concept d’État profond (Peter Dale Scott, 2010) ne relève pas d’une structure organisée et figée, mais plutôt d'un milieu hétérogène en mouvement. Il regroupe différents réseaux de hauts cadres de l’administration politique, de l’armée, du renseignement, des milieux financiers et entrepreneuriaux, qui s’allient et se concurrencent au gré des circonstances et des intérêts. L’État profond n’est que la branche nationale de l’élite capitaliste cosmopolite mondiale, qui donne le ton en ce qui concerne les décisions majeures des politiques internationales. Point de complot mondial organisé ici ; tous ces groupes sont hétéroclites, mais ont en commun d’avoir de l’influence à grande échelle et donc de forts pouvoirs décisionnels. En effet, selon la théorie du système-monde (Immanuel Wallestein, 1974), le capitalisme est transnational par essence depuis ses origines, de même que la classe bourgeoise qui a toujours tendu vers une intégration en une unique entité bourgeoise internationale. Cette dernière forme l’État profond mondial et est extrêmement diverse ; elle peut être composée d’industriels européens, de bailleurs de fonds étasuniens, d’oligarques russes, d'émirs du pétrole des pays du Golfe, des nouveaux riches des pays émergents, etc. Les décisions prises au sein de l’État profond servent donc forcément des intérêts élevés.
Nous avons montré précédemment que les terroristes au cœur des récents attentats ne sont pas des inconnus sortis de nulle part et l’histoire a déjà mis en lumière des cas similaires. Le concept de loup solitaire terroriste, créé ex nihilo, encore utilisé il y a quelques années (Stay-Behind, Mohammed Merah, etc.), a toujours relevé de la fable et a d’ailleurs été abandonné. Le terrorisme spectaculaire autonome demeure marginal en Occident ; il semble plutôt souvent piloté par un État profond intérieur et/ou extérieur à un territoire donné, qui l’influence, l’encadre, le finance. Il ne s’agit pas forcément de l’œuvre d’un ou plusieurs services secrets coordonnés qui organiseraient des attentats sous faux drapeau de but en blanc. L’explication est multifactorielle ; une origine unique ne semble pas suffisante pour expliquer ces phénomènes complexes. Quand des cadres étatiques et paraétatiques sont impliqués dans ce genre d’évènements profonds, il s’agit plutôt de personnes isolées en contact au sein de différentes agences et administrations, qui dissimulent des preuves, « oublient » de transmettre des informations cruciales, minimisent la dangerosité d’un individu précis, changent la priorité de tel ou tel dossier, etc., dans l’objectif d'encourager les circonstances susceptibles de faire avancer un agenda politique ou économique. Il peut s’agir de différentes factions, pouvant être en concurrence, opérant dans une vaste et complexe bureaucratie. En effet, des entités politiques de haut rang et appartenant à une même nation peuvent tout à fait prendre des décisions contradictoires. Par exemple, le Pentagone et le Département d’État étasuniens sont en concurrence sur de nombreux dossiers ce qui peut amener à deux politiques étrangères différentes dans un même pays donné. Durant la guerre de Bosnie (1992-1995), une faction de la CIA a enlevé des membres d’Al-Qaïda, tandis qu’une autre faction du Pentagone armait cette même organisation dans ce pays [4]. Plus récemment encore en Syrie, la milice Fursans Al-Haqq armée par la CIA, s’est faite massacrée par la coalition des Forces Démocratiques Syriennes… soutenue par le Pentagone. Des intérêts multiples divergent et se conjuguent selon les conjonctures.
Mais revenons sur le plan intérieur. Dans le secteur du renseignement, de hautes protections peuvent être données à des agents ou « indics » dans un objectif donné (obtenir des informations, favoriser des évènements, etc.). Ces situations sont instables par essence, car les allégeances de l’agent double ou triple ne sont jamais sûres et peuvent donc échapper aux services qui les instrumentalisent. Les trois derniers livres de Peter Dale Scott décrivent ces processus de manière minutieuse et implacable à l’intérieur même du système politico-économique étasunien. Il faut noter, au sujet des documents des services secrets déclassifiés ou ayant fuités, que ces informations clés que nous utilisons pour appréhender des évènements peuvent tout à fait être transmises par souci de transparence ou sentiment de justice. Mais elles peuvent également être transmises pour tromper les journalistes, l’opinion publique et même ses propres agents spéciaux (avec de faux mémos par exemple), pour garder certaines données sensibles secrètes, brouiller les pistes, court-circuiter la transmission d’une information sensible, importuner une autre administration concurrente, etc. Ces pratiques existent donc gardons l’esprit ouvert.
De nombreux services de sécurité et de renseignement démantèlent chaque semaine des cellules et des projets terroristes en effervescence partout dans le monde. Il est indéniable que ces services font leur possible pour enrayer les menaces. Mais malgré la tendance d’autonomisation du terrorisme spectaculaire étatique, nous devons garder à l’esprit que son entretien par l’État profond a été constant dans l’histoire. Les terroristes agissant en France et en Belgique avaient presque tous déjà sévi auparavant et le danger qu’ils représentaient n’était pas méconnu. Il est notamment étonnant de constater que de nombreux terroristes récents sont passés par la Turquie, ont été repéré par ses services de renseignement et que certains d’entre eux ont été expulsés par ce même pays en Europe. À ce sujet, le roi jordanien Abdallah II a révélé aux parlementaires étasuniens que l'infiltration des terroristes en Europe « faisait partie de la politique turque », qui vient d’ailleurs de retirer Al-Nosra (branche syrienne modérée d’Al-Qaïda et anciennement alliée à l’EI) de sa liste des organisations terroristes. L’État crée toujours les conditions d’émergence du terrorisme contemporain de façon directe ou indirecte ; les 9,2 millions d’euros récemment confisqués en Belgique à des terroristes venaient du Qatar et du Koweït, deux pays qui ne modifient pas leur posture vis-à-vis du terrorisme. Le premier est caractérisé par un environnement permissif pour son financement (notamment les organisations liées aux Frères Musulmans) tandis que le second est un des hubs de redistribution de fonds les plus importants à destination du « jihad » (grâce à une législation financière souple). La libre circulation des capitaux ne va pas être remise en question pour si peu. Face à ces faits, que font la France, la Belgique, la Zérope ? Pas grand-chose à part accélérer la surveillance de masse, la centraliser à l’échelle européenne en coordination avec les États-Unis (encore plus d’Interpol, d’Europol, de Club de Berne, etc.), remettre des légions d’honneur aux pères historiques du terrorisme actuel ou encore signer des contrats à ses sponsors. Le chaos mondial créé par le terrorisme spectaculaire est le fruit de décisions politiques.
Le problème réside aussi dans la conception même du terrorisme, qui recourt à l’action violente (définition objective), mais est considéré comme un acte de résistance dans un cas et comme du terrorisme dans un autre (définition politique). Durant la Seconde Guerre mondiale, les attentats fomentés par des français contre les occupants allemands sont considérés comme de la résistance héroïque pour les habitants du pays occupé et comme du terrorisme pour les occupants. Il en est de même actuellement dans les pays où des armées occidentales s’ingèrent ; en Afghanistan, en Irak, en Syrie, … Mieux encore, la catégorie « terroriste » est profondément subjective : l’alliance avec des groupes violents dans le cadre de la politique étrangère d’un état est largement employée et peut se retourner du jour au lendemain lorsqu’elle n’est plus avantageuse. Le terrorisme est encadré, financé, instrumentalisé à plus ou moins long terme et au gré des circonstances par les états, dans des objectifs opérationnels précis. Ceci implique obligatoirement un développement de son activité. « Le Front Al-Nosra [Al-Qaïda] fait du bon boulot contre Assad en Syrie » selon le piètre ancien Ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius. Et chez nous, ils font du bon boulot ? La pseudo guerre contre le terrorisme a bon dos. En définitive, « un organisme d’État censé lutter contre le terrorisme n’est en fait là que pour étudier dans quelle mesure ce terrorisme peut être ou non bénéfique » [5]. À la question « qu’est-ce qu’un terroriste ? », nous répondons simplement : c’est l’État qui décide qui le sera ou non, en fonction de ses intérêts. Nous avons maintenant suffisamment de pistes pour comprendre pourquoi nous sommes alliés avec ceux qui financent le phénomène jihadiste depuis 30 ans, comme l’a dit l’ancien directeur de la DGSE Alain Chouet.
Réflexions sociologiques
Au fait, est-ce que les terroristes que nous avons étudiés sont musulmans ? Ils se réclament de l’islam en tout cas, mais lequel ? Si l’on considère que les pratiquants de l’islam forment une communauté avec des valeurs communes, il est bon de rappeler que tout groupe sociologique est hétérogène et qu’il existe en effet des visions très différentes de l’islam notamment selon les zones géographiques et selon le substrat anthropologique des populations. Les courants de l’islam ne sont pas forcément en concurrence, mais il peut exister des lignes de fracture interne au sein de l’islam global dirons-nous, tout comme au sein même de courant plus précis. Ici, nous traiterons d’un islam particulier que nous appellerons le wahhabo-takfirisme.
Le wahhabisme est une idéologie politico-religieuse principalement basée en Arabie Saoudite et au Qatar. Ce courant né au XVIIIe siècle s’est affirmé comme le seul islam authentique et a considéré comme hérétique l’islam traditionnel (chiisme compris), tel qu’il a existé durant les onze siècles précédents. Est mécréant celui qui ne lit pas le Coran de façon rigoureusement littérale, c’est-à-dire tout le monde sauf eux-mêmes. Le takfirisme n’est que le prolongement de cette pensée. Il est né en Égypte dans les années 1970 et prône l’excommunication des supposés mauvais musulmans et le recours à la violence pour les combattre. Il est à noter qu’à l’époque de la naissance du wahhabisme, il y a eu un consensus entre les grands savants des quatre écoles juridiques sunnites pour désavouer Ibn Abd al-Wahhab et le courant wahhabo-takfiriste qu’il a enfanté. Les autorités juridiques islamiques ont réfuté une à une ses thèses et l’ont considéré comme hérétique et inculte quant aux fondements mêmes de la théologie islamique. Ceci n’a pas empêché à cette mouvance de s’étatiser durablement à travers l’Arabie Saoudite, avec l’aide de l’empire britannique pendant la Première Guerre mondiale et de s’exporter ensuite dans de nombreuses zones géographiques après la Seconde Guerre mondiale avec l’appui de l’empire étasunien. En effet, des milliers de Corans à la sauce wahhabite ont été distribués dans les pays satellites de l’Union soviétique notamment par les services secrets étasuniens (CIA), pakistanais (ISI) et par l’organisation caritative saoudienne International Islamic Relief Organization, en suivant une stratégie de déstabilisation de l’URSS imaginée dès 1978 par le Conseiller à la Sécurité nationale étasunienne de l’époque, Zbigniew Bzezinski [6]. En caricaturant à peine, les idiots utiles agissant partout dans le monde ne connaissent cet islam que depuis quelques mois ou quelques années à peine avant de s’engager pleinement dans une cause dont les conséquences stratégiques leur sont peu perceptibles. Ceci témoigne du caractère opérationnel de l’idéologie wahhabo-takfirisme, qui ne nécessite pas le recul de l’apprentissage et de la réflexion. Il semble essentiel et justifié de considérer ce courant spécifique dans sa double dimension actuelle d’appartenance et de dérive de l’islam.
Approfondissons sur le cas français. Selon une étude faite sur 160 familles en France par le Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI), le « jihadiste » serait majoritairement issu de classe moyenne ou supérieure et de famille athée ou peu pratiquante. 17% à 20% des jeunes personnes arrêtées récemment à la frontière syrienne auraient grandi dans une famille de culture musulmane, au sein desquelles quelques rares ont reçu une éducation religieuse rigoureuse et régulière. Les 80% restants viennent de familles totalement athées ou de cultures chrétiennes non pratiquantes. Le psychiatre Marc Sageman a également confirmé cette thèse en passant 400 entretiens avec des terroristes d’Al-Qaïda. Il constate qu’ils sont souvent issus de la classe moyenne ou supérieure et qu’ils ont fait des études en Occident où ils se sont retrouvés isolés socialement. Ils se sont resocialisés dans les mosquées, massivement financées par des pays étrangers notamment les monarchies du Golfe.
Le chercheur spécialiste de l’islam Olivier Roy a également travaillé sur le profil psychologique de ces milliers de Français partis rejoindre l’État Islamique : « Daech maîtrise parfaitement les codes de communication de la jeunesse. Cette violence a un grand pouvoir de fascination sur une jeunesse acculturée et mondialisée… Daech se distingue par une esthétique de la violence codifiée et scénarisée qui attire une jeunesse accro aux jeux vidéos et aux films américains » ; « La plupart de ces jeunes n’ont pas de culture familiale religieuse, ils n’ont jamais étudié l’islam, ils ne vont pas dans les mosquées. Ils ont des parcours classiques, l’alcool, la petite délinquance. En religion, ce sont des autodidactes formés sur internet. Aucun d’entre eux ne se réclame de l’islam de leurs parents. Ce sont des Born again : un mois avant de passer à l’action terroriste, ils commencent à prier, ils truffent leur discours de mots arabes fraîchement appris ». Le wahhabo-takfirisme n’est finalement qu’une nouvelle idéologie dissidente préfabriquée par le pouvoir étatique et adaptée principalement à ces jeunes issus de l’immigration des pays arabo-musulmans. Équivalent des punks ou des anarchistes à une autre époque, cette situation traduit plus d’une islamisation de la radicalité qu’une radicalisation de l’islam. Ainsi, le romantisme du jihad international supplante le fanatisme pur et dur. De plus, selon le journaliste David Thomson, le jihadisme en France ne serait pas la conséquence du communautarisme, mais exactement l’inverse : l’absence d’insertion dans une communauté. Avec l’Anti-France émasculée au pouvoir et son idéologie dans toutes les sphères de la société, le peuple, issu de l’immigration et même autochtone, ne peut s’approprier fièrement une culture française équilibrée, structurée et assumée. Des idéologies puissantes (wahhabisme, américanisme, etc.) ont eu, en l’absence d’une identité française forte, toutes les chances de s’implanter dans ce terreau fertile.
Au vu des cas que nous avons étudiés dans la 1ère partie, les protagonistes semblent loin (très loin) de la piété religieuse, ce qui ne les a pas empêchés d’agir pour punir les impurs. Au point I.2.4. du rapport du CPDSI, il est stipulé que « l’islam radical peut faire basculer des jeunes sans qu’ils n’aient participé à aucune prière. Certains sont partis ou voulaient partir en Syrie sans qu’aucune pratique religieuse ne soit décelée la veille ». Ainsi, « leur culture musulmane est sommaire, voire quasiment nulle » selon Peter Harling du groupe de réflexion International Crisis Group. L’islam radical, plus précisément le wahhabo-takfirisme, est le prétexte permettant d'extérioriser une révolte intime. Selon Marc Trévidic, juge d’instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris au pôle antiterroriste, la religion n’est même pas le moteur de ce jihad et les personnes touchées sont à la limite de la psychopathie : elles auraient été dangereuses avec ou sans le wahhabo-takfiriste. Ceux qui partent faire le jihad agiraient à 90% pour des motifs personnels (pour l’aventure, la vengeance, à cause de leur marginalisation dans la société, etc.) et à 10% pour des convictions religieuses. Le cas d’un Yassin Salhi est symptomatique : cet individu a décapité son patron en Isère en juin 2015 en invoquant l’État Islamique. Il se rétractera ensuite en disant ne pas avoir agi au nom de la religion, en évoquant des problèmes conjugaux en plus d’un différend professionnel avec son patron et finira par se suicider en prison (pas très islamique tout cela). Que dire de plus à part que cette personne avait de très sérieux problèmes mentaux …
Les profils socio-psychologiques des personnes partant faire le jihad à l’étranger sont extrêmement variés. Par contre, les acteurs opérationnels du terrorisme spectaculaire intérieur que nous avons étudiés sont tous des précaires socio-économiques : ils ont grandi et évolué dans les territoires les plus pauvres de leur agglomération et de leur commune. En France, ils viennent des « Zones Urbaines Sensibles » (ZUS), renommées en novlangue « Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville » (QPV). D’après Libération, Mohammed Merah venait des Izards (un QPV de Toulouse), Amedy Coulibaly de la Grande Borne (un QPV de Grigny dans l’Essonne), Ismaël Omar Mostefaï du quartier du Canal (le QPV de Courcouronnes également dans l’Essonne), Foued Mohamed-Aggad du quartier HLM de Wissembourg, en passant par la Meinau (QPV Canardière Est de Strasbourg). Et ceux qui ne viennent pas de QPV viennent de communes pauvres dans leur ensemble : à Drancy pour Samy Amimour et au 156 rue Aubervilliers qui jouxte le QPV Curial-Cambrai pour les frères Kouachi. Côté Belgique, les frères Abdeslam et leurs complices viennent de Molenbeek-St-Jean, une commune populaire de l’agglomération de Bruxelles.
En plus d’une origine socio-économique similaire, ils sont souvent âgés d’une vingtaine d’années pour la plupart (la trentaine maximum) et ont quasiment tous un profil de délinquant/criminel multirécidiviste ayant bénéficié pendant toute leur vie du laxisme et des failles de la justice pénale ; nombre de ces personnes auraient dû être en prison au moment de leurs attentats. D’ailleurs, la période entre le petit larcin et la radicalisation wahhabo-takfiriste a été clairement établie dans de nombreux cas avant la perpétration des actes terroristes, avec des profils systématiquement surveillés et fichés par de multiples services de renseignement (cf. Partie 1). Le dénominateur commun de tous ces zislamistes, toutes tendances confondues, peut être une frustration intense, d’origine très diverse, personnelle (traumatisme, injustice, etc.) et collective (vide idéologique contemporain, absence de lien social, etc.). Entre l’anomie, la drogue, le banditisme et la marginalité, ces jeunes personnes restent en quête existentielle d’identité, de valeurs et d’épanouissement. L’idéologie wahhabo-takfiriste combine habilement toutes ces notions en permettant une certaine réalisation spirituelle et sociale. La réislamisation des populations déracinées, issues de l’immigration (en majorité), est une démarche beaucoup plus identitaire que spirituelle.
C’est ce profil de post-adolescent paumé, qui est manipulable à souhait par le wahhabo-takfirisme (abondamment financé par les fondations saoudiennes et qataries sur le sol français en toute impunité) et qui est surveillé, voire encouragé ou retourné par des services étatiques et paraétatiques. Ces terroristes sont finalement des purs produits occidentaux acculturés, identitairement indéterminés et intégralement mondialisés. Le philosophe Alain Badiou dira à ce propos : « Les tueurs d’aujourd’hui sont en un certain sens de typiques produits du désir d’Occident frustré, des gens habités par un désir réprimé [...]. Ils s’imaginent être portés par la passion antioccidentale, mais ils ne sont que des symptômes nihilistes de la vacuité aveugle du capitalisme mondialisé, [...] de son incapacité à compter tout le monde dans le monde qu’il façonne ». Nous ne prendrons pas trop de risques en ajoutant que l’immigration peut être une violence déstructurante, tout comme le métissage de deux civilisations différentes. Ces phénomènes, spontanés ou non, ont plus de chance de produire des individus en perte de repère et d’identité, ce qui les rend de facto plus manipulables. Ces individus ne sont évidemment pas les seules victimes des lourdes conséquences de l’atomisation et de la déstructuration de la société.
Hier alcooliques, drogués, dealers, braqueurs, puis du jour au lendemain, ces jeunes personnes se métamorphosent en intégristes religieux prêts à punir le monde entier peuplé d’infidèles. Cette transition grossière prend tout son sens dans le concept d’islamo-racaille : l’idéologie wahhabo-takfiriste récupère des comportements déviants en les revalorisant et les réorientant vers des objectifs précis. Face à la crise de sens de l’Homme moderne, la jeunesse déracinée est perdue et plus encore si l’argent manque et qu’il y a une incapacité à se réaliser (études, emploi, famille, etc.). Il est nécessaire de l’orienter dans la construction plutôt que l’inverse, mais des intérêts bien supérieurs à nos pauvres consciences manipulent les plus influençables. Cette instrumentalisation de la jeunesse est cruciale, car elle est la catégorie la plus flexible de par sa fougue, son manque d’expérience et son éloignement du principe de réalité. Nous l’avons également vu lors des révolutions de couleurs et des printemps arabes. La jeunesse est le point commun à la quasi-totalité des combattants de la cause wahhabo-takfiriste (également à l’étranger), tandis que les théoriciens, clercs et cadres ont un âge plus avancé. Ceci s’ancre parfaitement à notre époque puérile, où l’infantilisation générale organisée s’est érigée en norme valorisée.
Dans le cadre du terrorisme spectaculaire étatique, ce sont bien ces facteurs de précarité socio-économique, de fragilité identitaire et psychologique couplés à une jeunesse pleine de rage dans une société en crise matérielle et spirituelle, qui permettent de manipuler des individus en leur donnant une alternative transcendante permettant de justifier leurs actes. Le tout pour servir une cause d’ordre purement matérielle (politique intérieure, géostratégique, etc.) qui les dépasse complètement.
L’histoire se répète : quelques cas antérieurs
S’il est possible qu’il y ait eu un agissement isolé d’un ou plusieurs états profonds dans les sujets et profils que nous avons développés en 1ère partie, il est également possible qu’il n’y ait eu aucun agissement pour justement amener les conditions nécessaires à ce que la bêtise de certaines personnes tue des gens. À ce jour, il n’y a pas suffisamment de recul et de preuves matérielles pour pencher vers l’un ou l’autre, mais ces questions sont finalement secondaires, car les conséquences restent les mêmes. La position la plus saine serait tout simplement d’admettre que nous ne savons pas qui sont les réels commanditaires de ces différents récents attentats ni quels sont leurs objectifs profonds. Mais mettons en lumière ces faits récents avec ceux dont le recul a permis une investigation plus précise.
Rappelons avant tout que le travail du service de renseignement est d’effectuer les opérations que l’on ne peut pas faire au grand jour. C’est bien pour cela qu’il doit agir sous couverture et que le secret est la matrice même du renseignement. Ce qui veut dire que les dérives sont logiquement plus poussées, puisqu’il se caractérise par la dissimulation de ses activités réelles et l’occultation de la vraie nature des actes qui en découlent. Le service spécial travaille sur le terrain de la confusion, du clandestin et finalement de l’illégal, ce qui en fait un outil essentiel de l’État. À partir de cela, nous pouvons postuler que les acteurs du terrorisme spectaculaire connus de différents services de renseignement ont pu être approchés, engagés, manipulés, pour devenir des collaborateurs, à une certaine échelle. Les recrutements sous fausse bannière, qui consistent à engager des agents en les trompant sur la puissance qu’ils sont amenés à servir, sont fréquents dans le domaine du renseignement.
Prenons l’exemple de notre modèle à tous : Ze United States of America. Là-bas, le FBI dispose d’une armée grandissante d’informateurs infiltrés, qui sont largement accusés de pousser des personnes influençables à organiser des attentats. En effet, selon Le Monde, le FBI a « encouragé, poussé et parfois même payé » des musulmans pour les inciter à commettre des attentats sur le sol étasunien, au cours d’opérations montées de toutes pièces. Dans 30 % des cas, l’agent infiltré aurait joué un rôle actif dans la tentative d’attentat. Agissant sous couverture et jouissant d’une immunité, un agent du renseignement peut aller jusqu’à désigner une cible et fournir de l’argent et des armes, en exerçant une pression sur une personne désignée pour qu’elle y participe. Le FBI cible principalement des personnes vulnérables, souffrant de troubles mentaux et intellectuels pour les instrumentaliser. Bref, sous couvert de lutte contre le terrorisme, le FBI le crée de toute pièce afin de maintenir une stratégie de tension justifiant par exemple l’État policier en interne et l’intervention armée en externe. À ce sujet, voir également le documentaire indispensable d’Envoyé Spécial sur France 2 qui accuse également le FBI de fabriquer de A à Z des complots terroristes sur le sol étasunien. Le cas d’un Mohammed Merah et même d’un Salah Abdelslam par exemple ressemblent étrangement à ce genre de manipulations. Mais cela est bien sûr inimaginable au pays des Lumières éteintes.
Sans rentrer dans des détails trop complexes, nous pouvons rapidement évoquer d’autres affaires similaires. Prenons l’exemple du meurtre d’un soldat britannique à Londres le 22 mai 2013. Ce n’est pas vraiment un attentat en soi, mais nous l’assimilons à cette notion de terrorisme spectaculaire vu qu’il a fortement mobilisé les médias et les esprits, probablement à cause du caractère « islamique » des meurtriers. L’un d’eux s’appelle Michael Adebolajo et il a dans le passé tout simplement été « harcelé » par le MI5 (le renseignement intérieur britannique), qui a tenté de le recruter après un voyage au Nigéria. Banal quoi. Autre exemple, à propos des attentats du 15 avril 2013 au marathon de Boston perpétré par les frères Tsarnaev. Le FBI a « tenté » de recruter l’un d’eux (Tamerlan Tsarnaev) en lui proposant de devenir un informateur sur la communauté tchétchène et musulmane. Anodin également. Le journal russe Izvestia du 24 avril 2013 a aussi révélé que Tamerlan Tsarnaev avait antérieurement participé en Géorgie à un séminaire du Fonds pour le Caucase, une association paravent de la Jamestown Foundation créée par la CIA ou au moins réputée proche.
Inutile d’approfondir la riche question du 11 septembre 2001, mais parlons tout de même rapidement de Khalid al-Mindhar et Nawaf al-Hazmi qui faisaient partie du commando ayant précipité le vol American Airlines 77 sur le Pentagone. Ces deux hommes ont bénéficié de protections de haut niveau au sein de la CIA, de la section anti-terroriste du FBI de New York, de la Branche Spéciale (service de renseignement de Malaisie), d’Omar al-Bayoumi (un agent saoudien présent aux États-Unis à l’époque), et de beaucoup d’autres acteurs. Cette étude a été traitée récemment par Le Point (N° 2258-2259, 17 décembre 2015) et a quelques années de retard sur l’ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott (La route vers le nouveau désordre mondial, Demi-Lune, 2011) qui a minutieusement traité du sujet. Les protections offertes par Washington à Riyad dans cette affaire du 11 septembre 2001 sont sans équivoque. L'Arabie Saoudite a récemment menacé de vendre une grande partie de ses actifs étasuniens si le Congrès adopte la mesure permettant de poursuivre le royaume wahhabite devant les tribunaux nord-américains, pour son rôle dans les attentats du 11 septembre 2001. À ce propos, nous attendons toujours les 28 pages classées secret-défense pour confirmer ces évidences largement étayées et sourcées, qui feront officiellement exploser en plein vol les ridicules conclusions de la commission d’enquête sur les arnaques du 11 septembre 2001.
Pour clôturer sur ce point, rappelons que des personnes appartenant à la haute administration politique française (dont des ministres) ont également protégé pendant plus de 20 ans (depuis les années 1990) des criminels recherchés par Interpol pour complicité dans des actions criminelles et terroristes (notamment membres des Frères Musulmans : Habib Mokni, Salah Karkar, Tahar Boubahri, Anouar Haddam, Saïd Hilali, etc.) sur le sol français, selon le journaliste d’investigation Jean-Loup Izambert [7]. Les conséquences actuelles du terrorisme trouvent leur racine dans ces réseaux wahhabo-takfiristes implantés de longue date en Europe, avec la complicité des États profonds.
Des exercices de simulation d’attentats… pendant les attentats
Ce sujet est polémique et a des raisons de l’être, car il reste objectivement troublant. Ce thème est spécifique aux opérations spectaculaires de grosses envergures, voyez plutôt. Selon Éric H. May, un ancien officier de renseignement de l’armée étasunienne, « la façon la plus simple de faire un attentat sous faux drapeau est d’organiser un exercice militaire simulant exactement l’attentat que l’on veut commettre ». Gardons cela à l’esprit le temps d’une chronologie rapide.
- Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis : Lors des détournements d’avions par des pirates de l’air, la défense aérienne étasunienne a été largement affaiblie par des opérations simultanées, des simulations de guerre et des exercices militaires. Par exemple, un exercice au National Reconnaissance Office près de l’aéroport Dulles consistait à tester les réponses au cas où « un avion s’apprêtait à frapper un immeuble ». Le Secrétaire à la Défense des États-Unis, Donald Rumsfeld, annoncera au Washington Post qu’un autre exercice miliaire important se déroula ce jour-là (le Global Guardian) en mobilisant énormément de moyens. Le Toronto Star révéla également qu’une autre opération appelée Northern Vigilance incluait également « des informations simulées, ce que l’on appelle un 'inject' [une fausse entrée ou un spot fictif] sur les écrans radars ». Au moins l’un de ces exercices impliquait des vols fantômes, ce qui a perturbé le temps de réponse des contrôleurs aériens et de la défense étasunienne, car les radars étaient remplis d’avions fictifs dans le cadre d’exercices. Il y a donc eu un chevauchement parfait entre les détournements réels provoquant les attentats connus et des exercices de simulation en cours [8].
- Les attentats du 11 mars 2004 à Madrid : Ils ont coïncidé avec une simulation d’attaque terroriste… la veille. Du 4 au 10 mars 2004, l’OTAN réalisait son exercice de gestion de crise annuel appelé CMX 2004. Au matin du 11 mars, près de 200 personnes meurent dans des attentats à Madrid. Selon El Mundo, « la similitude du scénario élaboré par l’OTAN avec les évènements survenus à Madrid fait froid dans le dos, et elle a impressionné les diplomates, militaires et services de renseignements qui ont participé à l’exercice à peine quelques heures plus tôt ». L’article est consultable gratuitement sur le site de Belt Ibérica, une entreprise espagnole de conseil en sécurité globale et situations d’urgence. Aucune autre information ouverte n’est disponible, les données sont confidentielles. Nous avons déjà souligné le savoir-faire de l’OTAN dans les opérations Stay-Behind de la guerre froide, inutile d’y revenir.
- Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres : Peter Power, ancien officier de Scotland Yard spécialisé dans l’anti-terrorisme et directeur de Visor Consultants (une entreprise spécialisée en gestion de crise, sécurité stratégique, etc.), a décrit le 7 juillet 2005 même dans une interview à ITV News, comment il avait organisé et conduit ce jour-là un exercice de simulation d’attentats pour le compte d’une société privée anonyme. L’exercice était basé sur des bombes synchronisées, explosant précisément dans les stations de métro où se sont produites les vraies explosions des attentats… qui se sont produits simultanément. Troublant, isn’t it ? Le MI5 avait malencontreusement abaissé le niveau de sécurité quant à la menace terroriste quelques jours avant les attaques. Aussi, selon The Guardian, le plus grand exercice anti-terroriste transatlantique, appelé Exercice Atlantic Blue, organisé par le Royaume-Uni et les États-Unis, a été effectué à Londres en avril 2005. L’exercice simulait des attaques explosives dans les bus et le métro londonien, 3 mois avant les vrais attentats dans le même métro.
- Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris : La simulation d’attaques terroristes effectuée par le SAMU de Paris le 13 novembre 2015 au matin était très proche de la réalité qui surviendra dans la soirée (onze heures plus tard) selon Slate. Le scénario de la simulation était basé sur une attaque terroriste composée de trois équipes agissant simultanément sur treize sites, faisant au total 50 morts et 150 blessés. Le docteur Nicolas Poirot, responsable du SAMU de Paris, n’a pas manqué de souligner son malaise concernant ces coïncidences. À noter également que plan de secours pour faire face à un afflux massif de blessés a heureusement été actualisé à peine 3 jours avant les attentats selon Le Monde.
(À suivre)
Franck Pengam
[4] Peter Dale Scott, L’État profond américain : La finance, le pétrole, et la guerre perpétuelle, Demi-Lune, 2015, citant le professeur Cees Wiebes, p.292.
[5] Francis Cousin, L’être contre l’avoir, Le retour aux sources, 2012, p41.
[6] Robert Baer, Sleeping with the Devil : How Washington Sold Our Soul for Saudi Crude, Three Rivers Press, 2004, p.140, 141 et 144.
[7] Jean-Loup Izambert, 56 - Tome 1 : L’État français complice de groupes criminels, IS Edition, 2015, p30 à 35.
[8] Peter Dale Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis, Demi-Lune, 2010, p.298 et 299.
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