Le Tibet, ou quand le goût du sensationnel des médias est instrumentalisé par ceux qui bafouent les droits de l’homme.
Ce mois-ci (le 25 avril) le XI Panchen Lama, chef spirituel et religieux des Tibétains, Gedhun Choekyi Nyima, aura 17 ans. Il est retenu prisonnier depuis le 17 mai 1995 par les Chinois ; il n’avait alors que six ans.
En se souvenant de la médiatisation du Tsunami ainsi que de l’élan humanitaire que cette catastrophe a suscité, nous ne pouvons que nous demander si l’oubli du Tibet par les médias ne va pas de pair avec l’oubli de cet enfant par la communauté internationale. Et nous interroger sur le rôle que joue le silence médiatique dans son emprisonnement. Les médias traitent peu de la situation du Tibet, et la Chine s’en réjouit. Plus que cela : tout est fait pour ne pas attirer la presse, et ne pas faire la une de l’actualité. La médiatisation risquerait d’éveiller les consciences.
Dissimulation des violences.
Le temps des violences qui attiraient les médias est révolu. Désormais, les prisonniers sont enlevés, embarqués, menottés et ne réapparaissent pratiquement jamais. Matraques électriques, jeûnes, suspension par les pieds, tests médicamenteux, stérilisation, viol des femmes, avortements forcés, amputations, obligation de rester nu sur des blocs de glace jusqu’à décollement de la peau et autres sévices rythment le quotidien des prisonniers, à moins que la communauté internationale ne se soucie d’eux, en demandant de leurs nouvelles.
Le tourisme comme manipulation des occidentaux.
Le tourisme, qui s’est considérablement développé, permet aux Chinois de donner une version édulcorée de la situation. Les monastères ont été reconstruits pour le tourisme, la vente de produits tibétains est à nouveau autorisée. Tout le « folklore », comme ils disent, est permis. Les Tibétains, lassés des représailles après chaque manifestation, semblent s’être résignés. Tout semble donner à penser que les Tibétains sont heureux. Comme cette affiche de l’hôtel le suggère, les touristes ne peuvent pas quitter leur groupe. Les circuits sont bien entendu savamment choisis pour montrer le plus beau côté du Tibet : les rues aménagées, les immeubles neufs...
Jeu de marionnettes autour du Panchen Lama et du Karmapa.
Le gouvernement chinois a changé de stratégie concernant la religion : au lieu de l’interdire, il l’accepte avec une main de fer dans un gant de velours. Les Chinois ont bien compris que chasser violemment des moines pacifistes de leurs monastères attirait les médias et émouvait la communauté internationale. Alors, la Chine a décidé non seulement de tolérer la religion, mais aussi d’y prendre part, dans un but politique. L’enlèvement du jeune Panchen Lama et l’emprisonnement du jeune Karmapa entrent dans cette optique. Ainsi, Gedhun Choekyi Nyima, 11e Panchen Lama, a été enlevé le 17 mai 95, et Urgyen Trinley Dorje, 17e Karmapa, était retenu prisonnier dans un monastère. Il s’est enfui en décembre 1999 ; depuis, il est réfugié en Inde avec le Dalaï Lama. A leur place, la Chine en a nommé deux autres, comme si ceux évincés n’avaient jamais existé.
Il suffit de lire les mots écrits par le Panchen Lama officiel, dans une lettre lors de la célébration du 50e anniversaire de la libération pacifique du Tibet, pour comprendre où les Chinois veulent en venir : « Nous devons poursuivre la tradition du patriotisme du 10e Panchen Lama et nous devons accélérer
l’édification d’un nouveau Tibet socialiste », a-t-il déclaré.
Morale et médias, à l’heure de l’omniprésence de ces derniers.
Il est bien connu que les médias vont là où ça bouge. Mais on oublie que ce goût pour le sensationnel peut être instrumentalisé, justement, par ceux qui veulent agir dans l’ombre.
A l’heure où nous croulons sous les médias, il serait primordial de s’interroger sur la responsabilité journalistique, afin de veiller à ce que couverture médiatique et conscience morale individuelle ne se superposent pas !
N’aurait-il pas fallu, aux journaux télévisés, rappeler parfois l’enlèvement du Panchen Lama, même si aucun fait nouveau n’est à rapporter ?
Il serait peut être temps, étant donné l’omniprésence des médias d’information (ce qui n’est pas un mal), de travailler sur la définition du journalisme. A force de ne traiter que de l’immédiat, on finit par donner l’impression que le passé est oublié, et par faire comme si les situations non médiatisables n’existaient pas. Car les souffrances qui font l’actualité risquent d’être les seules qui s’érigent en préoccupations pour la conscience. Et si tel était le cas, nombreux seraient les morts et les souffrances dont on ne se soucierait pas !
Le Dalaï Lama dans son ouvrage intitulé Samsara s’exprime ainsi : « Si puissante soit la force malfaisante, elle ne peut bâillonner la vérité ». Nous aurions envie de rajouter : « ...à moins que les médias n’attendent pas que la force malfaisante commette l’erreur d’un coup médiatique. »
Documents joints à cet article
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON