Le trafic d’êtres humains en Europe
Tout au long de l’année 2015, l’Europe a dû faire face à l’arrivée massive de plusieurs centaines de milliers de migrants, certains fuyant les conflits au proche Orient, d’autres cherchant simplement une nouvelle opportunité professionnelle. Ces migrations d’une ampleur historique, notamment en Septembre 2015 ont relancé la question du trafic d’êtres humains, phénomène souvent oublié mais qui perdurent pourtant dans toute l’Europe, notamment à l’Est. Dans leur quête d’un meilleur futur, de nombreux migrants se sont ainsi retrouvés manipulés par des « passeurs », ceux ayant survécu à des traversées se retrouvant confronté à des exploitations massives.
Au delà du phénomène migratoire, on peut s’interroger sur les caractéristiques de ce trafic, renouvelé depuis et qui s’est aujourd’hui considérablement étendu, ne se cantonnant plus à de simples enlèvements de jeunes filles et impliquant des réseaux de plus en plus importants.
Selon Interpol, le trafic d’êtres humains, défini comme « l’acquisition, la vente et l’exploitation des adultes et des enfants, fait figure aujourd’hui derrière le trafic de drogues et trafic d’armes de troisième marché mondial, générant un chiffre d’affaires de près de 39 milliards de dollars par an. Chaque année, on dénombrerait ainsi près de 2,5 millions de victimes recrutés et exploités dans le monde.
Malgré les apparences, ce phénomène touche aujourd’hui tout les États de l’Union Européenne, en tant que pays d’accueil de réception ou de transit.
Fin 2012, l’OSCE, dans un communiqué, faisait état de son « inquiétude » par rapport à la hausse du trafic d’être humain en Europe, s’étendant progressivement à une échelle beaucoup plus large que l’exploitation sexuelle et réseaux de prostitués. Le phénomène touche également des populations de plus en plus jeunes (En Roumanie, la majorité des femmes identifiées comme victimes de traite en 2011 avaient 16 ans,), De 2010 à 2012,16 % des victimes enregistrés par les données de la Commission européenne étaient des enfants.
Concernant près de 2/3 du TEH, l’exploitation sexuelle reste le principal marché au sein duquel les trafiquants parviennent à constituer d’immenses réseaux de prostitution. L’enlèvement, devenu de plus en plus rare est aujourd’hui remplacé par de nouvelles pratiques, les réseaux se constituant par des promesses de travail vendus aux victimes, ou encore des récompenses. (avances). En Europe de l’Est, certaines se retrouvent également dans de tels réseaux après avoir fui leurs familles patriarcales, attirés par les promesses offertes par les réseaux de clandestins. L’exploitation sexuelle est également vu comme normale dans certains pays (Bulgarie), considéré comme un travail temporaire pour des jeunes filles en quête de ressources financières qui apportent dans ces conditions leur consentement aux réseaux de trafic. L’exploitation s’effectue ainsi selon un système « gagnant-gagnant), les mensonges et lavage de cerveau opérés sur les victimes, parfois encore vierges ayant pour effet de les rendre parfaitement dociles. L’enrôlement de victimes de plus en plus jeunes illustre également ce phénomène. En Ukraine, par exemple, près de 30 % des victimes sont des jeunes filles âgées entre 11 et 18 ans.
L’évolution du trafic d’êtres humains doit également être comprise dans le cadre de la montée en puissance d’internet, certains « services sexuels étant vendus sur Internet, rendant beaucoup plus facile la constitution de « réseaux » indépendants. La prostitution ne touche ainsi pas seulement les pays de l’Est, plusieurs réseaux parvenant encore à s’implanter dans des pays d’Europe de l’Ouest, comme l’Espagne ou la France. En Mars dernier, la police Espagnole annonçait ainsi le démantèlement d’un réseau de prostitution qui vendait sur Internet la « virginité d’une jeune mineure »
Le trafic d’êtres humains s’étend aujourd’hui à de nombreux secteurs, tels que la rénovation de bâtiments, la blanchisserie, ou encore la mendition forcée. La plupart des victimes sont surexploités dans des conditions quasi esclavagistes. Le travail forcé, qui toucherait selon l’OIT près de 21 millions de personnes dans le monde est un phénomène encore en vigueur sur le continent européen. Récemment, la police française a annoncé avoir arrêté six adultes roms qui forçaient leurs enfants à voler dans Paris et la banlieue. Les victimes étaient battues si elles ne rapportaient pas chaque jour un montant minimum des fruits de leurs larcin. Le développement du trafic de drogue en Europe est également devenu un motif de travail forcé, des plantations de cannabis en Hollande employant et exploitant des jeunes gens pour des sommes dérisoires.
La défiance vis à vis des autorités locales retient souvent les victimes de tels traitmeents de porter plainte, notamment pour les étrangers implantés illégalement, la barrière de la langue et le fait d’arriver dans un endroit totalement nouveau pour certains acroissant la dépendance vis à vis de leurs « maitres ».
Le trafic d’êtres humains et la crise migratoire
Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air indique que « L’expression « trafic illicite de migrants » désigne le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel. Selon John Brandolino, directeur de la division des traités de l’ONUDC, 60% des victimes de trafic d’êtres humains dans le monde sont étrangères aux pays où elles ont été détectées.
La découverte fin Aout 2015 en Autriche d’un camion rempli de 71 cadavres de migrants avait rendu compte de la réalité de la situation de nombreux migrants tentant d’entrer en Europe. Du fait de la difficulté pour eux aujourd’hui d’accéder au continent de manière légale, les migrants économiques et réfugiés en provenance des pays du Maghreb ou de la Turquie sont souvent manipulés par des groupes de trafiquants.
Les « passeurs », qui leurs proposent des traversés de la méditerranée à des prix parfois 100 fois supérieurs à ceux d’un ferry sont les principaux investigateurs de ce trafic d’êtres humains. La technique utilisée est toujours la même que celle que l’on retrouve chez les réseaux habituels de trafficants. Le migrant se voit proposé une solution qu’on lui présente comme la « moins pire », ne lui laissant aucun choix possible. La logique de rentabilité monétaire qui anime les passeurs les pousse à considérer les migrants comme une marchandise, cela étant démontré par les images terribles de bateaux surchargés où malgré le prix du voyage, les migrants sont quasiment condamnés à mourir. Sur l’année 2016, près de 5000 migrants seraient ainsi morts en mer, la quasi totalité après des naufrages de ces bateaux fournis par des passeurs. La vulnérabilité de ces populations, débarquées sur des zones souvent libre de tout contrôle les rend également beaucoup plus exposées à ces réseaux de trafic humains. Beaucoup sont des enfants où des femmes voyageant seuls.
Selon l’agence de police de l’Union Européenne, au cours de l’année 2016 sur les 96 000 enfants non accompagnés ayant été enregistrés comme demandeurs d’asile, près de 10000 auraient disparu des radars.
Un rapport datant de février dernier de l’université d’Harvard révèle que de nombreux adolescents réfugiés, prêts à tout pour quitter leur territoire, auraient été enrolés dans des réseaux de prostitution en Grèce, devenant des esclaves sexuels en échange de quelques sommes d’argent.
La situation de migrants est d’autant plus critique qu’ils sont pour la plupart dans une situation illégale, cherchant en premier lieu à éviter les forces de police. La coopération avec les réseaux de passeurs ou de trafiquants d’êtres humains est souvent vue comme la seule solution par ces populations de réfugiés, parfois maltraités par les autorités locales (notamment en Serbie). Du fait de leur situation illégale, beaucoup de migrants sont également beaucoup plus enclins à donner leur consentement pour des tâches d’exploitation. En Allemagne, plusieurs témoignages faisait ainsi état fin 2015 de situations d’esclavage domestique, les migrants étant consignés dans le domicile de leur « maitre » travaillant toute la journée en échange d’un toit et d’une nourriture parfois sans possibilité de s’enfuir.
On le voit donc, le trafic d’êtres humains est loin d’être un phénomène en voie de disparition en Europe, se réinventant en permanence et profitant depuis plusieurs années de circonstances très favorables. Les méthodes de manipulation, mensonge et menaces sont souvent les plus usités par les réseaux, qui rassemblent aujourd’hui une somme d’argent considérable et n’ont jamais semblé aussi puissants. En Bulgarie, certains groupes sont quasiment intouchables en raison de leur puissance et de leur proximité avec les autorités locales qui leur assurent une immunité judiciaire.
La fin des contrôles aux frontières internes décidée après le traité de Maastricht en 1992 rend quasiment impossible l’identification de ces réseaux et le contrôle de leurs mouvements.
La Convention de Palerme en 2000 est aujourd’hui le seul instrument juridique contraignant dont le protocole additionnel vise à prévenir, réprimer et punir le trafic humain pour les Etats qui l’ont signé. On observe néanmoins depuis la signature de cette convention un effort et une prise en compte de cette question à l’échelle internationale, et particulièrement Européenne.
En Europe, et notamment au sein de l’espace Schengen, la lutte contre ces pratiques nécessite de plus en plus une coordination entre les différentes autorités de chaque pays Les efforts consentis par l’ONUDC, notamment avec le programme I-MAP, servant à localiser les populations migrantes non recensés ont permis d’effectuer des progrès significatifs dans ce domaine.
La lutte contre le trafic d’êtres humains a également été renforcée dans le cadre de l’Union Européenne. La directive 2011/36/UE datant de 2011 définit les différentes formes de la traite d’êtres humains ( mendicité forcée, la criminalité forcée, le prélèvement d’organes, l’adoption illégale mariage forcé) et permet de renforcer les sanctions pour lutter contre les réseaux existants. L’ONUDC permet également par des rapports et des enquêtes de sensibiliser sur la question et de venir en aide aux gouvernements.
Le renforcement de la coopération permet ainsi d’être beaucoup plus efficace, notamment par le biais d’une délégation de souveraineté comme c’est le cas de Frontex, l’agence Européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des états membres de l’UE, qui s’est notamment révélé efficace dans le cadre de la lutte contre les passeurs au cours de l’année 2016.
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