Le vrai monde libre

Peu importe, au fond, la véracité de cette affaire de moeurs, dont les détails figurent depuis hier dans tous les journaux, et dont on ne peut s’empêcher de remarquer qu’elle arrive à point fort bien nommé pour les États mis en cause, moins pour baîllonner le mouvement dirigé par Assange que pour transformer ce scandale sans précédent en une banale affaire de personne. Car si Wikileaks participe bien d’une nouvelle ère de l’information - comme ceux qui se gargarisent de mots se plaisent à le dire -, force est de constater l’emprise des canaux traditionnels sur les esprits : s’ils n’innovent (presque) plus, ils se posent encore en arbitres du débat, décidant pour nous des informations dignes d’intérêt, et de l’orientation à donner aux commentaires. Assange l’avait bien compris, qui avait choisi de s’associer aux journaux les plus respectés de la presse écrite pour diffuser son message.
Comment, donc, ne pas voir dans son arrestation et sa probable extradition vers la Suède un prétexte, un fumigène, une façon de transformer l’affaire Wikileaks en une affaire Assange, de salir l’organisation à travers son représentant, de lancer un os aux médias pour les détourner du rôti qu’ils s’apprêtaient à dévorer ? Car cette affaire de viol n’est pas nouvelle : les premières accusations datent de cet été. Que cette arrestation survienne maintenant, lors d’une nouvelle vague de révélations, que la machine judiciaire internationale s’emballe pour arrêter un “simple” violeur, c’est pour le moins curieux...
Salir Assange, mettre en avant le criminel sexuel pour arrêter le militant, permet également aux États de gagner l’approbation docile des populations. À arrêter Robin des Bois, il y avait quelques risques. Mais qui pleurera Mesrine ?
Pourtant, qu’Assange soit un ange ou un ripoux, un militant altruiste ou un égocentrique assoiffé de gloire, l’oeuvre qu’il a accomplie est fondamentale et doit être défendue. Que reproche-t-on, au juste, à Wikileaks ? D’avoir dévoilé des secrets d’état ? Mais c’est, depuis toujours, l’une des missions des journaux et des groupements à vocation journalistique. Du scandale de Panama à l’affaire Karachi, les journalistes ont toujours, ou auraient toujours dû, mettre le nez là où on ne les attendait pas, là où leur présence était moins que souhaitée. Ne prêtant aucun serment, il ne sont soumis à aucune obligation de secret.
La seule vraie différence entre Wikileaks et le Canard Enchaîné n’est donc pas dans la nature des informations dévoilées : elle n’est que dans l’échelle de ces révélations. Si nous acceptons leur censure, au nom de la “Raison d’État” et de la “Sécurité”, ce dieu Orwellien prétexte à la réduction de toutes les libertés, nous aurons laissé s’établir un précédent que nos dirigeants ne manqueront pas d’exploiter. Si au contraire nous grondons assez fort pour que l’arbre Assange ne cache pas la forêt Wikileaks, alors, peut-être, toute cette affaire n’aura pas été inutile.
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