Les Africains, marchandises du train du progrès ?
Deux drames en début du mois d’août. L’un là-bas, à Minneapolis au nord des Etats-Unis, l’autre, en Afrique, à Tshibahu, à 170 km au nord de Kananga, dans la province du Kassaï en République démocratique du Congo. Deux accidents qui ont eu, du fait de l’hégémonie médiatique occidentale, des visibilités différentes.
Mais, là-dessus, rien de nouveau sous le soleil : l’actualité nous donne quotidiennement la preuve qu’à la bourse des souffrances des individus et des peuples de la planète Terre, les hommes n’ont pas la même cote ni le même prix.
Le 1er août, en fin d’après midi, un pont vieux de 40 ans s’effondrait à Minneapolis sur le fleuve Mississippi aux Etats-Unis. Malgré des images spectaculaires vite relayées par les télévisions américaines, et grâce à la promptitude des opérations de sauvetage, l’effondrement spectaculaire a fait plus de blessés que de morts (à peine une dizaine).
Le 3 août, à des dizaines de milliers de kilomètres de là, quelque part dans l’immense Congo Kinshassa (RDC), un train marchandises, comme c’est l’habitude dans ce pays, sortait des rails sur une pente pour finir sa course dans une rivière. A Tshibahu, à 170 km au nord de Kananga, dans le centre du pays. Vite, on peut penser que comme pour l’effondrement du pont de Minnéapolis qui a coupé en deux un train de frêt (train marchandises) circulant sous le pont à cet instant, on n’a pas à craindre pour un lourd bilan humain. Il ne s’agit que de marchandises...
C’est pourtant vite oublier qu’en Afrique, et en matière de transport comme d’ailleurs pour beaucoup d’autres domaines, les hommes et les marchandises c’est exactement la même chose. Pas étonnant donc qu’un train qui transportait des marchandises marchandes et des marchandises humaines fasse jusqu’à pas moins de 120 morts. A Minnéapolis, le pont long de 160 mètres et posé au-dessus du fleuve sur 20 mètres avait, malgré le drame, été inspecté en 2005 et 2006 et n’avait alors révélé aucun défaut structurel.
Sarkozy n’avait que trop raison... encore.
Le chemin de fer de la province du Kassaï occidental à l’est de la RDC, lui, était vieux de plus de 70 ans et peu ou pas entretenu. Une vraie relique vioque. Et ce ne sont pas les quatre ministres dépêchés par le gouvernement congolais sur place (par avion, bien sûr, c’est plus sûr) et les médicaments qu’ils ont apporté qui changeront quoi que ce soit au fond. Ce n’est non plus l’enquête (comme d’habitude) ouverte pour déterminer des responsabilités qui viendra redonner la vie à ces 120 personnes tuées gratuitement sur le champ des négligences criminelles, de l’irresponsabilité administrative et politique, et de quelques mesquines corruptions.
L’accident du 3 août était le deuxième du genre, en trois semaines seulement. Et pour comprendre ce qui s’est passé, il faudra quand même, pour faire comme en Occident, s’en remettre à une commission d’enquête qui s’activera à rechercher d’évidentes évidences : vétusté du chemin de fer, des trains, et corruption des agents de la Société nationale des chemins de fer du Congo qui font embarquer des individus dans des wagons marchandises.
« Jamais [l’Africain] ne s’élance vers l’avenir, lançait justement Nicolas Sarkozy lors de sa récente visite au Sénégal. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin, [...] l’Africain doit entrer davantage dans l’Histoire ». En clair, l’Africain doit accepter le progrès en sortant de la ritournelle de la répétition, voulait dire le président français. Avant de récuser vertement la belle excuse de la colonisation porte-malheur de l’Afrique : « La corruption, les dictateurs, les génocides, ce n’est pas la colonisation. On ne peut pas tout mettre sur le compte de la colonisation. ».
On y voit l’arrogance bien connue de la France dans les anciennes colonies africaines. On est choqué comme l’ont été les étudiants sénégalais à l’université Cheikh Anta Diop le 26 juillet dernier. Cependant, on a du mal à ne pas opiner du bonnet ces rationnelles railleries du sémillant chef d’Etat français, tant la répétition semble être en effet... le destin de l’Afrique contemporaine.
Les mêmes causes qui produisent les mêmes effets. Et demain encore, il y aura fatalement un autre déraillement qui se répétera, avec les mêmes conséquences, et la même componction de dirigeants qui laissent allumer le feu pour mieux venir jouer les héros en pompiers. Et depuis ce drame en RDC, on attend la démission du ministre des Transports du pays, in fine, responsable de la mort de 120 de ses concitoyens. On attendra sans doute longtemps encore.
François Bimogo
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