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Accueil du site > Actualités > International > Les déplacés au Sri Lanka

Les déplacés au Sri Lanka

La question des déplacés de guerre est une question fondamentale de ces jours-ci pour les populations au Sri Lanka. Face à des combats entre les Tigres (mouvement tamoul indépendantiste) et les forces gouvernementales, de très nombreux civils ont fui leur zone d’habitation pour se réfugier dans des lieux plus sûrs. Voir le billet « La guerre, la ville et les déplacés » (du 17 mai 2009).

La reprise de la guerre en 2008
Pour comprendre la situation au Sir Lanka, les 2 articles de Delon Madavan (doctorant en géographie, dont les travaux de thèse portent sur la minorité tamoule à Colombo, Kuala Lumpur et Singapour) publiés dans la revue de géographie Echogéo sont particulièrement démonstratifs. Son article "Sri Lanka : un pays qui s’enfonce de nouveau dans la guerre" montre combien la position du président Rajapaske (élu en 2005) et celle de M. Prebhakaran (leader du LTTE, "Liberation Tigers of Tamil Eelam", mouvement indépendantiste fondé en 1976) ont entraîné la détérioration de la situation politique, jusqu’au retrait unilatéral du cessez-le-feu (signé en 2002) par le président de Sri Lanka (Delon Madavan, "Sri Lanka : un pays qui s’enfonce de nouveau dans la guerre", EchoGéo, rubrique Sur le vif 2008, 8 avril 2008). Son article "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire" fait le bilan de la situation au Sri Lanka, un an après la reprise des combats entre les Tigres tamouls et les forces armées gouvernementales (Delon Madavan, "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire", EchoGéo, Sur le vif 2009, 24 avril 2009).


Une petite chronologie indicative
(d’après Le Courrier International, France 24, Le Point et Le Monde diplomatique) :
- 1948 : indépendance de Ceylan
- 1972 : Ceylan devient le Sri Lanka
- 1976 : dans un contexte de montée du séparatisme tamoul, création du LTTE (organisation des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul)
- juillet 1983 : pogrom anti-tamoul à Colombo => émigration massive de Tamouls
- juillet 1987-1990 : présence d’une force de maintien de la paix indienne
- 1990-1995 : les Tigres tamouls (LTTE) prennent le contrôle de Jaffna
- 1995-2001 : repli des LTTE dans le Wanni (nord) => multiplication des attentats-suicides
- 2002-2007 : différentes périodes de trève ; échecs des diverses négociations diplomatiques entreprises sur la scène internationale ; attentats et enlèvements
- 2007 : le gouvernement met la main sur plusieurs repaires des Tigres, dans l’ouest de l’île
- 2008 : le gouvernement annule le cessez-le-feu en janvier et lance une offensive d’envergure

En 2009 :
- 2 janvier : les troupes s’emparent de la capitale proclamée des Tigres tamouls, Kilinochchi
- 17 avril : les rebelles appellent à une trêve de deux jours. Craignant une ruse, le gouvernement refuse
- 20 avril : le Sri Lanka donne aux rebelles 24 heures pour se rendre, alors que des dizaines de milliers de civils fuient la zone de combats => 115.000 déplacés en une seule semaine
- 26 avril : les Tigres déclarent un cessez-le-feu unilatéral => les autorités du Sri Lanka parlent d’une "plaisanterie" et demandent la reddition du LTTE
- 16 mai : les militaires prennent le contrôle de toute la ligne de côte, une première depuis le début de cette guerre. Lors d’un sommet des pays en voie de développement organisé en Jordanie, le président Mahinda Rajapaksa affirme que le LTTE a été vaincu militairement, bien que des combats aient encore lieu
- 17 mai : plus de 70 combattants du LTTE sont tués alors qu’ils essaient de s’enfuir en bateau. Plusieurs se font exploser pendant que l’armée fait en sorte d’éliminer toute résistance. Les militaires déclarent que tous les civils sont libérés. L’armée sri-lankaise affirme que le dirigeant et fondateur du LTTE, Velupillai Prabhakaran, est mort.

Dans ce contexte, la question des déplacés est plus que prégnante, et préoccupe non seulement les autorités internes, mais également les institutions internationales.


 
La question des déplacés

La fin des combats ne signifie pas pour autant la fin de la guerre comme agent de restructurations sociospatiales : en d’autres termes, l’immédiat après-guerre ne correspond en rien à une situation de retour à la paix, mais bien à une période transitoire dans laquelle les conséquences de la guerre sont particulièrement prégnantes, avec pour fond deux questions : qui gouverne les territoires ? quelles modalités de gestion pour les acteurs (officiels ou officieux) sur ces territoires de l’immédiat après-guerre ? La question des déplacés est particulièrement révélatrice de ces problématiques, comme le montre le cas du Sri Lanka.

Aujourd’hui, on estime à 250.000 le nombre de déplacés par la guerre au Sri Lanka (voir le site du CICR), regroupés dans une vingtaine de camps. La question des camps pose celle de la souveraineté : les camps (de déplacés ou de réfugiés) échappent pour la plupart à la souveraineté de l’Etat dans lequel ils sont installés. C’est d’autant plus problématique dans le cas des camps de déplacés, où les ONG et la communauté internationale "prennent le pas" de l’Etat pour venir en aide à des populations qui relèvent de l’Etat en question. Autres problématiques : celles relevant de la question des mobilités. D’une part, les déplacés du Sri Lanka sont des déplacés forcés, qui n’ont pas eu le temps de préparer leur départ, mais surtout leur arrivée. D’où la solution de l’urgence quant au lieu d’accueil. D’autre part, les conditions de (sur)vie dans un camp de déplacés sont d’autant plus difficile que le pays est pauvre et que le nombre de déplacés/réfugiés est important. Globalement, moins d’argent disponible pour entretenir chaque camp. Les conditions de vie dépendent donc, en grande partie, de l’aide internationale. Et de ce fait des financements - très fluctuants - des ONG. Et donc de la mobilisation de l’opinion publique internationale pour une région donnée. Les camps de déplacés du Sri Lanka placent donc la question des déplacés dans une situation d’urgence, puisque la pérennité des camps de déplacés ne peut être assurée (non seulement parce qu’il s’agit toujours d’une solution provisoire, mais surtout parce que leur financement est très limité dans le temps : voir le billet "Les médias, la violence, l’événement et le haut-lieu" du 8 avril 2009). Dans le même temps, la solution du camp placent les déplacés dans une situation d’enfermement (voir, à ce propos, le dossier "Espaces d’enfermement, espaces clos", Cahiers ADES, n°4, 2009 ; ainsi que les travaux de l’anthropologue Michel Agier) et donc de précarisation par une mise à distance vis-à-vis du reste de la société sri lankaise.


La gestion des risques (notamment sanitaires, mais aussi sociaux) quant aux déplacés se différencie en fonction des lieux considérés. L’action humanitaire et politique doit être ainsi menée à la fois dans les lieux de départ (pour permettre le retour de ceux qui le souhaitent), dans les lieux d’installation temporaire (pour empêcher une dégradation rapide des infrastructures et une marginalisation accrue des populations ainsi isolées, voire enclavées) et dans les lieux d’installation définitive (que ce soit les lieux de départ ou d’autres lieux que le lieu d’origine, notamment dans le cas des villes d’accueil qui peuvent être fragilisées par un afflux massif de déplacés). Dans chacun de ces lieux, les risques sont très importants : risques sanitaires (mauvaises conditions de vie, installation dans des espaces vides parfois insalubres, accès aux soins médicaux très limités...) , risques sociaux (tensions entre les déplacés entassés dans des espaces restreints, tensions entre les déplacés et les anciens occupants dans les quartiers périphériques des villes-refuges qui se densifient exponentiellement...), risques économiques (paupérisation de certains lieux d’accueil, problème de financement de gestion des lieux d’accueil, risques de criminalisation de certains lieux d’accueil...), risques politiques (tensions entre les différents acteurs de l’aide humanitaire, remise en cause de la légitimité et/ou de la souveraineté des autorités locales officielles dans certaines zones...). De plus, plus la solution temporaire (que ce soit dans un camp de déplacés ou dans un "scouat") s’ancre dans le temps, plus la question de la réinsertion des populations déplacées (que ce soit dans leur lieu d’origine ou dans un autre lieu) est complexe. C’est pourquoi, la question des déplacés de guerre est particulièrement préoccupante, puisqu’elle dépasse largement le "seul" temps de la guerre (c’est-à-dire des combats à proprement parler).

A consulter sur ces questions :

  • La revue électronique Grotius, réunissant des articles sur la thématique média & humanitaire. La revue est très récente, mais les contributions laissent présager une plate-forme qui permettra de confronter les différents points de vue, entre chercheurs, journalistes et acteurs de l’humanitaire.

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5 réactions à cet article    


  • Arunah Arunah 6 juin 2009 17:47

    Merci pour cet article très intéressant et richement pourvu en liens. Certes il n’aborde que le problème des réfugiés sans donner le contexte politique. Il est utile de préciser que la guérilla marxiste du Sri Lanka, largement soutenue par la diaspora tamoule, a maintenu les zones tamoules dans un régime de terreur et n’a rien à envier dans l’horreur aux pratiques de l’armée gouvernementale. Mais bien entendu les rebelles se donnent le beau rôle, alors qu’ils ont ruiné le pays, compromis son développement, fait régner l’insécurité pendant trente ans et sont responsables d’innombrables exactions. Ce qui, bien entendu ne blanchit pas les forces gouvernementales qui ont eu la main très lourde.
     
    Voici un autre lien qui recense les articles de presse sur le Sri Lanka : www.InfoLanka
    ( en anglais ) en plus bien entendu des articles et ouvrages d’Eric Meyer ( pas de livre récent malheureusement ). Bien sûr, vous devez connaître « Le fantôme d’Anil » de Michael Ondaatje, lui-même d’origine sri-lankaise, mais burgher, c’est-à-dire ni tamoul, ni cinghalais qui relate la genèse et le développement de la tragédie.

    En tout cas, merci pour cet article qui apporte quelques lueurs sur un drame peu traité dans les média occidentaux 


    • Bénédicte Tratnjek 7 juin 2009 16:22

      Merci pour les encouragements ! Petite précision : ce billet a été, à l’origine, publié sur mon blog « Géographie de la ville en guerre », qui se propose avant tout de présenter les problématiques géographiques sur les villes affectées directement ou indirectement par la guerre (ce qui est l’objet de mon travail de thèse). Je travaille plus spécifiquement sur les villes de Mitrovica (Kosovo), Beyrouth (Liban) et Abidjan (Côte d’Ivoire), et ne suis absolument pas spécialiste du Sri Lanka. Néanmoins, la problématique des déplacés forcés/contraints dans la guerre m’intéresse au plus haut point, et j’ai voulu l’illustrer par un exemple de l’actualité, suite à un premier billet plus général (« La guerre, la ville et les déplacés », qui entre dans une série de billets consacrés à « la guerre, la ville et... », en hommage à l’ouvrage de l’historien Jean-Louis Dufour La guerre, la ville et le soldat). Bref, ce billet ne prétendait pas expliquer les processus politiques internes ni les enjeux bien complexes de ce billet, d’où l’envie de renvoyer le lecteur vers des auteurs bien plus compétents que moi dans ce domaine, notamment les travaux de Delon Madavan, cités dans l’article, qui ont le double avantage d’être écrits dans un français très accessible, et d’être disponibles sur Internet).


    • Arunah Arunah 8 juin 2009 02:34

      @ l’auteur

      Votre angle d’approche est tout-à-fait légitime ! Toutefois, il me semble important de donner quelques informations basiques à un public français qui visiblement est peu concerné par le Sri Lanka. Il n’y a de réfugiés qu’en raison d’une situation politique donnée. Il me paraît important de savoir ce qui a provoqué une telle situation. Avant l’indépendance, les Britanniques ont favorisé les Tamouls en leur octroyant un nombre élevé de places de fonctionnaires, au détriment des Cinghalais. Les Tamouls, largement impliqués dans la lutte pour l’indépendance ont pensé que cette situation perdurerait. Les Cinghalais, une fois l’indépendance obtenue ont souhaité une plus grande justice en leur faveur et ont décrété le sinhala langue nationale. Les burghers anglophones ont alors quitté le pays. Les Tamouls, eux, sont alors entrés en résistance pour obtenir des postes de fonctionnaires et vous avez maintenant des hordes de réfugiés à la suite de trente ans de guerre. 

      Les liens donnés dans l’autre commentaire sont très intéressants dans leur approche géopolitique mais ne donnent qu’un point de vue tamoul.

      Par ailleurs je voudrais déplorer le manque d’intérêt des lecteurs d’Agoravox pour un article intéressant sur un sujet d’actualité... 
       


    • Bénédicte Tratnjek 9 juin 2009 20:43

      Je profite de votre réaction pour indiquer ce lien qui propose une brève présentation d’un ouvrage d’Eric Meyer sur le Sri Lanka, dans une collection qui offre d’ailleurs d’excellents ouvrages sur les pays asiatiques (Asie centrale comprise).

      http://librairie-la-geographie.blogspot.com/2009/06/fin-de-la-guerre-au-sri-lanka-rien-nest.html

      L’ouvrage est, en effet, un peu ancien (2001), mais permet de replacer les problématiques actuelles dans un temps plus long et ainsi de démêler le conjoncturel (l’opération militaire de l’armée gouvernementale) du structurel (les affrontements précédents).


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