Les dessous des cartes de la libération d’Ingrid Betancourt (1re partie)
Eh bien voilà, nous les avons enfin ces fameuses vidéos de cette mirobolante opération de communication uribéenne, intitulées "Opéracion Jaque" comme nous les ont signalées nos contributeurs, parmi les plus virulents, d’ailleurs. Autant vous dire tout de suite que leur lecture attentive montre que contrairement à ce à quoi on voudrait bien nous faire croire, c’est bien effectivement cousu de fil blanc. C’est un vrai conte de fées et, comme tout conte de fées, il y a des réalités cachées derrière qui dérangent. Fortes, les réalités. Toute l’opération est un cover-up des services secrets américains, où la Colombie a fort peu à dire, contrairement à ce qu’un pouvoir désireux de tirer toute la couverture pour lui seul clame ouvertement. Le résumé officiel de l’opération vaut déjà le détour, je vous convie à en prendre connaissance ici-même. Comme langue de bois, c’est un véritable chef-d’œuvre.
Pour réussir à les décrypter dans le détail, je vous suggère de faire la même chose que moi, à savoir une petite manipulation informatique consistant en les télécharger, de les écrire sur votre disque dur interne et de traduire les fichiers disponibles au format .flv (celui de You Tube) en des séquences lisibles par exemple par Quicktime ou Windows Media Player si vous êtes équipé qu’un PC. Un simple plug-in vidéo inséré dans Firefox tel que Video Download Helper permet de le faire, et les convertisseurs finaux gratuits abondent, vous n’avez que l’embarras du choix. Je sais, c’est un peu long, mais c’est le seul moyen pour faire de l’image par image, procédé qui porte ses fruits, comme vous allez le voir un peu plus loin. Notre étude, qui se veut exhaustive, étant relativement longue, je vous propose de la découvrir en quatre parties successives.
Certains grincheux pourront trouver cette analyse trop longue, mais je pense que cela vaut le coup de procéder ainsi, car à ce jour c’est une des plus belles opérations de désinformation jamais réalisées. Les questions qui ont tout de suite fusé juste après la mise en ligne d’un premier reportage sont loin d’obtenir des réponses avec ce long documentaire de la télévision officielle colombienne. L’opération « Jaque » (traduisez par « échec au roi »), vantée par le gouvernement Uribe démontre que ce gouvernement ne sait pas vraiment jouer aux échecs, mais pratique plutôt le jeu de go. Un jeu où on ne bat pas l’adversaire, mais où celui-ci abandonne quand les deux partis en place se retrouvent bloqués. Le but ici étant ici de décridibiliser au maximum les Farc par une opération militaire vendue ensuite comme une opération de relations publique, la précédente occasion (la mort de Reyes n’ayant pas été aussi « vendable », nous l’expliquerons un peu plus loin). L’analyse de ces cinq vidéos nous montre que l’on a beau avoir pensé à tout, une opération de « psy-ops » reste un leurre, et qu’en tant que tel il reste dedans des scories de montage qui nous montrent qu’il s’agit d’un décor. Ici, celui de nous faire croire que l’armée colombienne est la meilleure d’Amérique du Sud, histoire de fédérer les derniers bastions de droite soutenus par les États-Unis.« I was very impressed with the Colombian Army (...) their exercises were conducted with discipline and precision. The helicopter and obstacle course events and the squad assault events were spectacular. They are a very professional, very well-conditioned armed force », dit le représentant chilien au sortir de la conférence tenue ce 5 août dernier à Bogota. Une conférence droit dans cette foulée d’autosatisfaction générale : le Southcom, (« partnership for the Americas ») le commandement en chef des forces américaines dans cette région du monde, fait ce jour-là d’énormes efforts pour « vendre » le film « Operation Jaque » comme étant un chef-d’œuvre. Nous allons démontrer qu’il s’agit à peine d’une série B, tant les erreurs de casting et de décors s’y accumulent, et qui, à l’étude, démontre une volonté maladroite de masquer la vérité. Ou une autre volonté, celle de nuire d’une certaine manière au président colombien (nous verrons plus loin qui pourrait en être l’instigateur). On peut remarquer aussi que, dans l’affaire, la presse papier manque de vigilance, aujourd’hui, car elle devrait faire ce travail minutieux à ma place. À ce jour, je n’ai encore rien lu de sérieux à ce propos. Et, pour tout vous dire, ça prend un temps fou à faire, c’est pourquoi ce sera très certainement ma seule participation de cette semaine sur ce site.
Les cinq extraits à télécharger sont ici sur le site d’un de nos confrères.
Notons tout d’abord l’incroyable concours de circonstances qui fait que, parmi les centaines d’otages encore détenus, l’extraction récente ne recense qu’une seule espèce d’otage : celle directement liée à Alvaro Uribe. En effet, sur les quinze extraits, aucun ancien homme politique détenu ne figure dans le lot (à part Ingrid Betancourt, bien sûr), composé essentiellement donc de militaires policiers capturés, en priorité (onze d’un coup !), et de quatre otages civils. On ne peut parler de hasard à ce stade. Les trois Américains employés par DynCorp, société privée contractante pour le Pentagone, et Ingrid Betancourt, alors simple député suicidaire lors de son enlèvement à San Vicente del Caguán sont les seuls à ne pas travailler directement pour Uribe. La ville de San Vincente est alors le fief des Farc, qui s’y promènent alors en toute impunité, la zone ayant été démilitatisée. Je dis suicidaire car au moment où elle se fait prendre en otage, tout le monde lui avait conseillé auparavant de ne pas se rendre dans la région, qui ne présentait aucun intérêt pour sa campagne présidentielle où elle n’était créditée d’aucun score notable. Elle ne savait pas qu’elle y resterait retenue 2 321 jours. Donc, dans le coup, Uribe libère son staff de spécialistes, et les seuls otages potentiellement dotés de la plus forte somme d’argent en rançon : 20 millions de dollars, pour un lot de quatre, les militaires colombiens comptant pour du beurre. On n’y revient pas, elle a été versée, cette rançon, et on a même une idée à qui elle a été versée. L’homme figure très certainement sur les films, comme nous allons le décrire, et comme les Farc l’ont confirmé. Il y a bien eu trahison, même si le cover-up tente de nous faire croire autre chose. Et même si, au final, nul ne sait à cette date si l’homme a été ou non victime d’une entourloupe de dernière minute ou s’il réussira au final à bénéficier de ce qu’il lui avait été dûment promis, à lui et à sa compagne. Auquel cas, il devrait lui aussi arriver en France... comme défini par Uribe lui-même. La libération d’Ingrid Betancourt ayant bien été un détournement d’accord conclu au préalable. En parlant de la possible extradition de « César » et sa compagne aux États-Unis, France 24 précise que, « s’ils ont négocié leur sortie, ils ne resteront pas longtemps en prison ».
Mais revenons sur les circonstances mêmes de la libération : à sa descente d’avion à Bogota, le lendemain de sa libération, Ingrid Betancourt, bien brieffée et fort encadrée par les militaires, insiste de façon surprenante sur le fait que l’opération est l’œuvre des Colombiens seuls... « sans l’aide d’Israéliens » (confirmant ainsi leur présence sur place, ce qui nous avions déjà précisé ici-même !), ce que personne ne peut croire, et qu’aucune rançon n’a été versée, ce que personne ne croit non plus (sauf Bernard Kouchner, qui se souvient que la France en a déjà « perdu » une). Rappelons quand même, avant d’y revenir, que le 25 mai qui précédait, Alvaro Uribe avait offert 100 millions de dollars pour une libération : « depuis Florida, je veux leur faire tenir ce message : le gouvernement vous fait deux offres. L’offre d’un fonds de primes, jusqu’à 100 millions de dollars, pour récompenser ceux des membres du groupe terroriste des Farc qui se démobiliseraient, qui abandonneraient ce groupe et qui libéreraient les otages ». « Deuxième offre : nous rechercherons un mécanisme de liberté conditionnelle. Le gouvernement national, à l’instant même où ces personnes arriveraient, où elles rencontreraient nos soldats ou nos policiers, ou toute personne par elles désignées, et où nous pourrions recevoir les détenus, le gouvernement national, dans l’instant même, effectuerait les démarches pour que ces personnes qui abandonneraient les Farc soient embarquées immédiatement pour un pays comme la France, afin de garantir leur liberté conditionnelle ». De bien belles paroles fort alléchantes, pour une opération au final décrite « évidemment » sans mise en scène, ce qui dès le début laisse dubitatif certains observateurs qui relèvent, par exemple, qu’aucune scène ne montre l’arrestation et la neutralisation proprement dite du geôlier d’Ingrid Betancourt. D’autres photos plus embarrassantes, glissées dans l’une des vidéos, montrent le geôlier beaucoup plus... souriant et détendu dans l’avion qui le ramène à Bogota, bien plus qu’il ne le sera plus tard devant la presse. Démenti du paiement dans les jours qui suivent, où Betancourt affirme qu’une rançon « a dû être versée », mais elle ne sait « pas très bien à qui » (sur RFI ) et aveu de l’utilisation de ressources américaines de renseignements pour la réalisation de l’opération, à savoir une « aide » en liaisons téléphoniques et en déchiffrages de codes des Farc. Ceci pour garder une façade propre pour Uribe, qui ne peut se permettre d’avouer que ses troupes personnelles sont pour fort peu dans le sauvetage, l’œuvre intégrale des services secrets américains, ou presque, comme nous allons vous le démontrer par des exemples précis. John McCain appelé fortuitement à séjourner quelques jours en Colombie, notamment sur la base de Huespedes Ilustres, près de Cartagene, malgré un agenda préélectoral chargé, avait été mis au courant la veille de l’opération, et ce n’est pas pour rien. Les services secrets américains en étaient les organisateurs depuis plusieurs mois, comme là aussi nous allons le démontrer. « L’ambassadeur William Brownfield et l’amiral James Stavridis, commandant des forces américaines dans la région, ont directement et de manière très étroite participé à la planification de la libération des otages, a reconnu l’ambassadeur mercredi soir sur CNN », précise Le Point. L’amiral James Stavridis, juste sorti du commandement des forces dans le golfe Persique pendant Iraqi Freedom (2002) en coordonnant les opérations, a été de la partie, et même son supérieur hiérarchique qui est venu sur place voir les préparatifs de toute l’opération un mois avant son exécution. L’homme est venu à plusieurs reprises saluer les troupes colombiennes sur place. Comme il avait dirigé très certainement l’envoi de ses Hornets pour bombarder le camp de Reyes, ou aidé à la mise en place d’un certain type de bombes sur de tous nouveaux avions colombiens. Comme son président, Stavridis voit en effet des islamistes partout. Son très fort engagement purement politique ne laisse aucun doute sur la question de la présence américaine en Amérique du Sud, et augure bien des moyens qu’il est prêt à mettre en œuvre pour y arriver :« the United States needs to be a good competitor in this marketplace. We need to show why our ideas are better, are sensible (and) will produce good results, » he said, referring to « capitalism, free trade agreements, human rights, democracy and liberty. » La totale, quoi, « With god on your side » comme dirait Bob. Stavridis n’en est pas à sa première saillie du genre : le 17 juin 2008, à la Joint Warfighting Conference tenue à Virginia Beach, il affirmait sans ambages que les « mots avaient autant d’importance que les armes »... annonçant déjà sans la citer une opération future sur laquelle il veillerait, où les images et les mots auraient un rôle primordial « In the world we face today, we are going to have to launch some Tomahawk missiles - there is no question in that, but we need to do a better job of launching ideas. » Les bombes, certes, mais avec un staff de conseillers pour mieux vendre leurs effets. Le 12 février 2007, il avait déjà évoqué à Miami le sort des trois otages lors du quatrième anniversaire de leur détention. Le sort des trois otages civils travaillant pour des militaires commençait enfin à intéresser les États-Unis, et Stavridis suivait leur piste avec attention.
Rappelons que la présence navale américaine au voisinage de la Colombie est une vielle histoire : cela fait 18 ans qu’un porte-avion est constamment à proximité. En mai 2006, de grandes manœuvres navales conjointes l’avait démontré. Le porte-avion était alors l’USS Georges Washington. Le 18 juillet dernier encore, un navire américain (l’USS de Wert) et un navire colombien (le Buenenvatura) travaillant de concert interceptaient une livraison de drogue d’une tonne de cocaïne. La base de Manta en Equateur n’était donc pas indispensable pour supprimer Reyes : en mer, côté golfe du Mexique, croise constamment, au minimum, un porte-avion muni de tout ce qui est nécessaire, dont les fameuses Paveway. Ses avions survolent toute la région y compris le Venezuela, notamment l’île d’Ochila, où Chavez a sa résidence. Alimentant ainsi régulièrement les manifestations de menace d’attentat sur le vie du président vénézuélien par bombardement, tant qu’à faire. La réactivation de la Quatrième Flotte américaine, placée sous la direction exclusive du Southcom, le 24 avril dernier doit beaucoup à l’entremise de Stravridis, qui la réclamait depuis toujours. Elle avait été supprimée en 1950.
Il faut savoir aussi que les avions colombiens, depuis fort peu, savent lancer un équivalent de la bombe Paveway : c’est la Griffin israélienne, en fait un kit laser monté à l’avant d’une bombe conventionnelle Mk-82, Mk-83 ou Mk-84. On en a vu la présentation officielle à l’armée colombienne pour la première fois en mars 2008, avec un cliché montrant la Griffin devant son lanceur potentiel et même une boule Flir à caméra infrarouge à monter sur l’avion . Or, cela ne suffit pas encore pour lancer ce genre de bombes (il faut deux nacelles FLIR/Lantirn, une pour voir de nuit, l’autre pour viser). C’est en mars justement que Reyes est mort, le délai semble bien trop court pour avoir été utilisé, c’est pourquoi l’on peut retenir la version d’un bombardement américain comme prioritaire, aidé par des troupes au sol ou non. Pour le lancement sans nacelle FLIR/Lantirn (pour Low Altitude Navigation and Targeting InfraRed for Night), un illuminateur terrestre est en effet requis. Or, lors du bombardement du camp de Reyes, les forces spéciales colombiennes, munies de cet équipement, étaient tout près, ayant pisté depuis plusieurs jours sa localisation. L’action des Kfirs ou des Tucanos peut donc sembler aujourd’hui possible avec des moyens colombiens (et du matériel israélien), mais semblait bien improbable en mars dernier. La rapidité des troupes à visiter le camp bombardé témoigne en revanche qu’ils pouvaient servir d’illuminateurs de cibles, aidés par des mercenaires américains. À moins encore que les bombes utilisées aient été guidées par le téléphone satellitaire de Reyes, ou par GPS, technologies dont ne disposent pas les Colombiens. La mort de Reyes avait été pourtant l’occasion, comme pour Betancourt, de rappeler avec insistance que seule l’armée colombienne y avait participé, grâce à des vidéos filmées de nuit, mais qui n’ont pas eu le même retentissement que celles de Betancourt. Très certainement qu’elles montraient trop le résultat d’un bombardement aérien et non d’un simple assaut terrestre, contredisant en ce sens la version officielle colombienne, gênée d’avoir à avouer une incursion de ces avions en territoire équatorien. Les cratères étaient bien trop visibles ! La présence embarrassante d’étudiants et étudiantes mexicains (qui auront quatre morts sur place ce jour-là) expliquant cela, notamment le cas d’une étonnante survivante, Lucia Morett. L’incident diplomatique était tout près le jour de sa découverte, où les troupes colombiennes ont bien failli l’achever. Morett, sur son lit d’hôpital, parle bien de « muchas bombas » vers les 3 heures du matin, ce qui n’est pas la thèse retenue par Bogota qui parle de balles, dont une dans l’œil, pour Reyes. Nous reviendrons plus loin sur cet autre cas de désinformation. Le ministère de l’Intérieur et des armées colombiennes avait vite occulté le cas de Morett, bien trop embarrassant. Ici, en France, personne n’en a parlé, faute d’information et d’intérêt journalistique : autant Morett les embarrassait, ces Colombiens, autant Betancourt, soudainement, les intéressait, pour les desseins politiques futurs d’Uribe. Autant l’opération Betancourt pouvait servir de vitrine, autant la mort de Reyes, pourtant extrêmement importante stratégiquement, s’était révélée inutilisable pour le gouvernement Uribe, la faute à une poignée d’étudiants mexicains venus jouer les touristes parmi les « terroristes » !
Pour ce qui est de la localisation des installations ayant permis le coup de force colombien, la scène est circonscrite à l’état du Guaviare et à ses alentours, comme nous le disions précédemment, où l’on a cru voir à plusieurs reprises Ingrid Betancourt, alors malade, ayant été amenée à un dispensaire. Dans l’accord passé avec le chef des Farc, Ivan Marquez, deux villes avaient pourtant été citées : Florida et la Pradera, dont les Farc auraient désiré la délimitarisation pour les échanges, or ces deux villes ne sont pas du tout dans le même secteur. Alors que le camp de Reyes, rappelons-le, était beaucoup plus au Sud.... en Équateur, au bord de l’État de Putamayo (colombien). Difficile donc de localiser exactement la prisonnière franco-colombienne, mais on peut retenir trois régions et leur convergence : le Guaviare, la Caqueta et le Vaupés. Un blog extrêmement riche d’informations, celui du Cipcol, l’organisation de désarmement gérée par d’anciens diplomates et d’activistes pour la paix nous donne un élément essentiel : le 24 avril 2008, des mouvements particuliers de l’armée colombienne avaient été notés dans le secteur : cela correspond exactement à la date d’édification des deux hangars à hélicoptères utilisés (sur les quatre construits). « Last week, I heard reports that military-guerrilla combat was heavy around the town of Tomachipán, in the southern part of San José del Guaviare municipality, spurring the arrival of newly displaced people in the county seat. It is in Tomachipán where, last November, Colombian military intelligence began tailing the guerrilla messengers who would later be arrested in Bogotá carrying proof-of-life videos and photos depicting prominent guerrilla hostages. Tomachipán (300 habitants) is also near the sites where the guerrillas released their hostages earlier this year. The local rumor mill was rife with tales of U.S. military cargo planes unloading equipment at the San José airport for several consecutive nights in March and early April, and speculation that the Tomachipán operation is related to the hostages. I had no way to verify either allegation. » Les gens sur place avaient noté l’étrange noria d’avions de transport apportant de quoi fabriquer l’opération tout entière, notamment les hangars « souples » vus dans la vidéo, dont nous avons retrouvé les fabricants. C’est au village d’El Capricho, juste à l’ouest de San José, qu’Ingrid Betancourt en état de dénutrition, avait reçu une aide médicale en novembre 2007. À 70 km de San José de Gualviare, et à 500 de Bogota. Ces rumeurs n’étaient pas tout à fait exactes : il y avait bien eu mouvements, mais pas pour l’édification des hangars : San Jose del Guaviarne a servi d’étape de transport, la base contenant les nouveaux hangars étant... plus au Sud. Enlevée à San Vicente del Cagan, Betancourt n’aurait donc quasiment jamais quitté le secteur.
Dans le cockpit d’un des deux Mi-17, l’un de ceux achetés à un baron de la drogue de Miami, Ludwig Fainberg, rappelons-le, l’un des pilotes qui passe son temps à poser avec chacun des otages est... Noir. Comme Colombien, on fait mieux. Les Noirs ont beau représenter un bon pourcentage de la population colombienne (10,5 millions sur 44 millions d’habitants), celui-ci, par son exubérance, à tout du privé de DynCorp venu jouer les Zorros en Colombie. Le geôlier de Betancourt l’a affimé à plusieurs reprises : dans les hélicoptères, il y a bien eu des étrangers. Privés, ou soldats d’unité : il faut savoir en effet qu’une unité spéciale américaine a pour spécialité le vol sur matériel russe : c’est le 6th SOS, stationné à Hurlburt Field, et membre de l’AFSOC, pour Special Operation Command, un groupe relativement nouveau (créé le 22 juin 1990), qui préfigure aujourd’hui d’être 41 % plus gros en 2013 qu« en 2004, tant la demande »spécialisée" augmente, paraît-il. Parmi ces engins de prédilection figure le MC-130 P Combat Shadow, le MC130E Combat Talon, et l’AC-130 Spectre trois Hercules bien particuliers (le dernier tirant des obus monstrueux, mais aussi des Antonov 26 et des Mil MI-17/8, et de bons vieux C-47 comme en possède encore énormément la Colombie, qui les a équipés de turbopropulseurs. L’AFSOC est en plein remaniement avec un déménagement en cours à Cannon AFB, au Nouveau-Mexique, pour y recevoir son lot de nouveaux V-22 Osprey et être rejoint par le 3rd de Creech, dans le Nevada, qui opère les Prédators au-dessus du Pakistan, notamment.
Le sujet est donc extrêmement sensible pour l’armée américaine, qui pense que les opérations spéciales sont appelées à grandement se développer, et la Colombie à lui servir de test, en particulier pour résoudre son insoluble problème irakien. Ce sont près de 108 avions pour le 27 th Special Operation Wing qui sont attendus à Cannon AFB en octobre prochain, qui vont tester leurs armes à Melrose Range, le tout nouveau pas de tir rempli de carcasses de chars russes T-72. Dans le lot, vingt appareils COINS, du type Tucanos, comme ceux achetés récemment par... la Colombie, des avions en cours de transformation pour en faire... des lance-Paveways (ou plus exactement des lance-Griffin. Achetés au prix fort grâce à l’aide « anti-narcotique » américaine : 234,5 millions de dollars pour 25 appareils. Sans oublier 17 millions de plus pour le système neuf d’avionique fourni par Elbit, société israélienne très présente en Colombie . Pour lancer les Paveways ou ses Griffin, Israël propose son système Rafael et ses fameuses nacelles FLIR AN/AAQ-28 Litening(R)... Mais aussi une caméra infrarouge, l’Arpia III, produit également israélien fabriqué par Elbit, qui se targue de "lutter contre le terrorisme" dans ses courriers d’entreprise. La caméra est couplée à deux canons de type Gatling posée sous un Blackhawk, qui devient ainsi un redoutable A-10 Thunderbolt II à voilure tournante. On a parlé de conseillers israéliens, on oublie que l’armée colombienne puise une grande partie de ses équipements, notamment électroniques, chez les Israéliens. "The military actions in recent years and ongoing terrorist activities have caused a shift in the defense priorities for many of our major customers. More emphasis is being placed on command, control, computers, communications and intelligence (C4I) systems, as well as intelligence, surveillance andreconnaissance (ISR) systems. These include network centric information systems,intelligence gathering, border and perimeter security, UAVs, unmanned groundvehicles (UGVs), remote controlled systems, space and satellite based defensecapabilities and homeland security applications. There is also a growing demandfor cost effective logistic support and training services." En résumé, la Colombie sert de fait de laboratoire à l’AFSOC pour y tester ses dernières découvertes en matière de lutte contre-insurgés. Notamment en électronique où règne le savoir-faire israélien. Pour tester des armes, il vaut mieux un conflit. La Colombie est tout indiquée.
Revenons à nos pilotes du jour. Dans la vidéo "Jaque", à un moment, une grossière erreur a été laissée au montage (ce n’est pas la seule !). Vous avez remarqué que les visages ont tous été floutés… pour des raisons de sécurité nous dit l’armée colombienne. On le comprend, mais cette dissimulation a été trop vite faite. En faisant défiler lentement un extrait, on s’aperçoit qu’à un moment la dissimulation des visages arrive trop tard. Pendant un court instant, les visages sont tous visibles. C’est à 8’47" du début de la vidéo n° 5. Ceux de huit pilotes ayant pris part à l’opération, félicités par leur général... Or, parmi ces aviateurs, pas beaucoup de type andin, deux ou trois seulement, et un seul Noir semble-t-il, et pas notre homme exubérant en tout cas. Or, même avec huit, le compte n’y est pas : on distingue bien dans les vidéos quatre pilotes par hélico (deux de remplacement), mais il en manque encore. Les autorités colombiennes, par la voix de son ministre de la Défense lui-même, ont en effet avoué qu’un avion avait participé aux opérations des deux hélicoptères. Très certainement le relais hertzien nécessaire en cas de problèmes ou de modifications de missions, tout en pratiquant obligatoirement un brouillage efficace des communications vers les Farc, si besoin était (et les Français, ce jour-là, baladés ailleurs par un autre faux rendez-vous déjà expliqué ici). On a même la fréquence des transmissions utilisées sur l’un des carnets montrés dans la vidéo. A savoir, la 132,35 Mhz en VHF (on est bien dans de la bande aéronautique non militaire, ces derniers travaillant de 225 à 400 MHz !). Si l’on souhaite rester dans le domaine de l’avion ayant un look civil, l’un des deux Beechraft 350 ELINT appartenant à Elta, récemment acquis par les Colombiens, est tout indiqué. A sa descente d’avion (le Fokker FU-28-1000 Fellowship présidentiel), sur les vidéos, les otages américains ramenés à Catam, base militaire de transport, passent devant l’engin, qui a tout extérieurement d’un avion privé. Catam dispose bien d’un piper Cheyenne, mais les deux se distinguent aisément, le Beech étant nettement plus gros. Le second avait été vu dès novembre 2007 à Bogota, transformé par Elta, société israélienne installée à Arlington (Virginie). La grande spécialiste des contre-mesures. L’engin n’a besoin que de deux pilotes seulement, son électronique de brouillage étant entièrement déportée vers une station au sol qui s’occupe de tout. Là, encore, on peut douter de l’utilisation d’un système aussi sophistiqué par l’armée colombienne, après une si récente acquisition. L’infrastructure nécessaire pour le rendre efficace est énorme, malgré son apparence extérieure anodine. On peut douter de son usage, étant trop récemment été mis à l’inventaire de l’aviation colombienne. Et comme on ne montre pas les visages de ces pilotes... l’hypothèse d’un avion purement américain se tient (sinon pourquoi ne pas récompenser tout le monde ?). Dans le genre, on a un Guardrail RC12-N, comme il en traîne à Tres Esquinos, notre célèbre CrazyHawk et un autre oiseau possible, qui n’ont tous rien de civil... Evidemment restés hors de portée visuelle durant l’opération.
On ne revient pas sur l’usage obligatoire durant toute l’opération d’un avion du type de celui qu’on a décrit dans notre article sur ce fameux Dash 7, les Américains s’en défendent, bien sûr, en avouant que ce jour-là un seul avion a décollé de leur base vénézuélienne toute proche de Manta : un Hercules C-130s. Manque de chance, on apprend aujourd’hui dans une revue spécialisée que ce genre d’appareil venait juste d’être muni d’une espèce de "pack" d’écoute, de brouillage et de vision nocturne, le "Keen Sage", le même qu’à bord du CrazyHawk, dans les mois qui ont précédé : quand bien même aucun CrazyHawk n’aurait décollé, le C-130 est alors le seul à pouvoir intercepter les conversations du nouveau leader des Farc et d’en envoyer d’autres à "César", le gardien dédié à Ingrid Betancourt. Sans les faux messages de regroupement de prisonniers, en effet, aucun sauvetage possible. On peut supposer que cet avion continue à le faire durant toute l’opération, pour continuer à donner le change, même si "César" est de mèche au départ. Dans l’une des vidéos proposées, l’on voit le résultat des écoutes qui ont précédé : les pilotes ont devant eux des phrases codées à prononcer lors de l’opération. Via leur indicatif radio VHF, calé sur le 132.35 donc. Ces phrases codées proviennent des écoutes, mais aussi beaucoup plus prosaïquement du contenu de l’ordinateur de Paul Reyes qui s’est avéré une vraie mine de renseignements. Au passage, les Américains, seuls maîtres du jeu, en profitent pour envoyer l’émissaire français Noël Daez, habituel interlocuteur des Farc et de Reyes, à la chasse aux champignons, à 400 km du lieu de l’action, toujours grâce au relais du Keen Sage, qui contient également une caméra L3 Wescam embarquée. Un système qui ne se voit pas de l’extérieur, à part la petite sphère (rétractable) de la caméra sous le C-130. "The system is a metal-encased sphere, slightly larger than a basketballis mounted on a pallet and strapped down in the cargo hold of the C-130 ; it houses three sophisticated video capture lenses (a daylight television, a 955 mm fixed focal length zoom and infrared in six fields) that can scan full circle and along 90 degrees of elevation ; 2 operators in the aircraft control the device ; video and stills can be down-linked and viewed live and are also taped". Le système Wescam a été retenu, en France, par la gendarmerie en septembre 2007 pour équiper ses EC-135 Eurocopter, et le Tour de France 2008 a largement bénéficié d’une Wescam pour ses diffusions de l’été ! L’un des deux seuls avions de contre-mesures que la Colombie possède est un Beechraft King Air que Betancourt croise en sortant du Fokker qui l’avait amené à la base colombienne pour y rencontrer Uribe, comme déjà indiqué. La Wescam peut être montée sur des avions plus légers tels que le Cessna 208B, acquis également par la Colombie. Or, nos trois otages américains de Dyncorp travaillaient pour une entreprise étroitement liée à l’électronique de bord, et il est fort à parier que leur action contre la drogue, version officielle de leur activité, consistait surtout à effectuer les tests de la vision nocturne à bord d’un Cessna. Les Colombiens l’avaient testé ensuite sur leurs vieux DC-3 47T, comme le montrent certains clichés très révélateurs. Les Colombiens reprenant le bon vieux principe du Gunship de la guerre du Vietnam, avec la vision nocturne en plus. D’un côté, la vidéo infrarouge, de l’autre, la mitrailleuse. Les Cessnas 208 de Dyncorp avaient déjà été photographiés subrepticement en plein désert du Nevada... en train de ravitailler. Or, certains portaient l’identification d’avions crashés... en Colombie, comme le N1116G, accidenté le 13 février 2003, et enregistré chez One Leasing, un paravent connu de la CIA. C’était l’avion de nos trois otages américains... A l’époque, déjà, un plus gros porteur, un Casa CN 235 avait été vu en cours de chargement par des contractants gouvernementaux trahis par leur plaque d’immatriculation de véhicule. L’enquête avait révélé que les avions étaient liés au 427th Special Operation Squadron de Pope AFB, à côté de Fort Bragg, temple des opérations spéciales. Pour mémoire encore, on rappelle que la première fois que l’on avait révélé l’existence du Crazy Hawk, c’était lors d’un crash... dans l’Etat de Putumayo, l’engin venant directement de Fort Bliss, Etats-Unis, via Manta Air base ! A son bord, une des meilleures pilotes femme de l’Air Force sortie de Wes Point, Jennifer Odom, première martyre américaine de la "guerre à la drogue" déclarée à l’époque par Clinton... officiellement. Officieusement décédée en service commandé pour la CIA. Sa mère avait reçu ses effets personnels par UPS, avec un simple mot de condoléances... comme il se doit quand on travaille dans l’ombre.
Nous en savons déjà pas mal côté préparatifs autres que les hélicoptères, dans notre prochain épisode nous révélerons l’endroit exact où ont été préparés les engins utilisés, leur description, avec des clichés assez renversants sur les préparatifs et le fort degré d’implication sur place de la hiérarchie militaire américaine. Nous évoquerons aussi la marque des fameux hangars de tissu utilisés, ce qui ne sera pas sans surprises non plus. Tour cela avant d’attaquer le troisième volet, où nous parlerons Croix-Rouge, chaînes et cadenas, ainsi que matériel de jardinage, ce qui peut paraître incongru et qui, vous le verrez, ne l’est pas totalement, les Américains ne pouvant s’empêcher d’amener leurs jouets préférés en opération. Un peu de patience, donc, c’est un peu notre feuilleton d’été qui débute aujourd’hui... Pour ce qui est des contributions, vous pouvez apporter évidemment votre contribution et vos critiques, mais j’attendrai la parution des quatre volets pour vous répondre avec précision, histoire de ne pas interférer avec les épisodes qui vont suivre.
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