Les états effondrés : erreurs de l’Histoire, ou réalité durable ?
En 1990, à la chute de l'URSS ils n'existaient pas. Puis, il y eut la Somalie en 1991. Depuis, leur nombre croit sans cesse. L'Afghanistan a suivi de près, dès 1992, on peut parler d'état effondré. En 2003, sous le coup de l'invasion américaine, c'est l'Iraq qui s'écroule à son tour.
Le "Printemps Arabe", avec l'aide des Etats-Unis va poursuivre cette étrange besogne. Successivement la Libye, et une partie de la Syrie s'écroulent. Si l'Egypte échappe de peu au chaos global, désormais plus de la moitié de son territoire est incontrôlé. Elle est, au moins partiellement un état effondré. Dernier pays en date : le Yémen. Personne n'a insisté sur le naufrage de cet état grand comme la France et peuplé de 30 millions d'âmes. On a du mal désormais à recenser tous les pays effondrés, tant ils sont nombreux. L'effondrement d'un état était une bizarrerie, une exception, il y a 25 ans, aujourd'hui c'est une triste banalité.
Qu'est-ce qu'un état effondré ?
Un état effondré est un état où, de manière durable, le pouvoir central est incapable d'assurer la sécurité de ses habitants (et encore plus des étrangers !), sur au moins une partie substantielle de son territoire.
Dans un français de tous les jours, je dirai : un état effondré est un pays où le gouvernement central n'a plus prise quasiment nulle part et où règne l'anarchie, celà de manière prolongée.
Notez bien qu'un pays en guerre civile n'est pas nécessairement un état effondré. L'Ukraine est en guerre, mais chacun des deux camps contrôle complètement son territoire. L'anarchie, qui n'est pas que la guerre, ne règne pas. De même la Syrie, n'est que partiellement effondrée. L'anarchie et l'horreur des décapitations ne sont au rendez vous, que dans les secteurs non contrôlés par Damas. Une dictature n'est pas un pays effondré. La Corée du Nord tient son territoire et sa population : rien d'effondré au Pays du Matin Calme.
Lorsqu'une région échappe durablement au pouvoir central de son pays de rattachement théorique, sans qu'aucune autorité stable ayant les attributs d'un état (même non reconnu par la Communauté Internationale) n'y apporte de l'ordre, nous considérons que nous avons affaire à une région effondrée.
Construction du panorama actuel des états et régions effondrés.
L'illustration jointe au présent article a été bâtie à partir de la source "diplomatie.gouv/conseil aux voyageurs". En rouge figurent les zones correspondantes à des états ou des régions effondrées. Ce sont les zones où ne s'exercent l'autorité d'aucun état. Elles recoupent pratiquement les zones que diplomatie.gouv déconseille strictement aux voyageurs. J'ai simplement choisi de ne pas faire figurer en rouge des secteurs que diplomatie.gouv a mis en rouge pour des raisons strictement politiques comme la partie de la Syrie contrôlée par les forces loyalistes fidèles à Bachar El Assad. Cette région contrôlée par Damas ne correspond pas à un état effondré.
Ne chipotons pas sur le détail, la carte globale est très instructive. Elle permet de voir quelles sont sur l'ensemble de la planète et non sur un pays particulier, les zones livrées à l'anarchie.
Premier aperçu des terres effondrées, premiers enseignements.
J'avoue avoir été supris, en bâtissant cette carte de l'ampleur des terres effondrées. Le phénomène est beaucoup ample que ce que nous pourrions croire.
Constats :
L'Afrique Saharienne est majoritairement effondrée. Nous avons à quelques centaines de kilomètres de Marseille, un territoire grand comme le Brésil où ne règne plus le pouvoir d'aucun état !
Le Monde Arabe est très fortement touché. L'Egypte le plus peuplé des pays arabes est au bord de l'effondrement complet. A l'exception du Maroc, de l'Arabie Saoudite et de quelques émirats qui, malgré le respect qui leur est dû sont quand même des puissances seulement moyennes, tous les pays arabes sont touchés par le phénomène d'effondrement.
Au contraire, de grandes puissances musulmanes non-arabes : l'Iran, la Turquie ou l'Indonésie ne sont pas, ou beaucoup moins touchées.
Hors du monde arabe, l'effondrement du Pakistan a de quoi effrayer compte du poids démographique de ce pays : 200 millions d'habitants, un population supérieure d'un tiers... à celle de la Russie.
Le phénomène d'effondrement s'étant aussi à l'Afrique Noire, et à une partie de l'Amérique Latine. Là, ce sont les cartels de la drogue et le monde criminel qui parviennent à détruire les structures des états, y compris aux portes des Etats-Unis.
Responsabilités historiques :
Les responsabilités historiques des pays occidentaux dans cette situation dramatique sont écrasantes. La carte de l'Afrique "rouge" montre à quel niveau il a été désastreux de détruire la Libye. Cette destruction a permis aux deux zones de désordre est et ouest de fusionner en une immense zone de chaos. Avant de débiter ses âneries sur la Libye M. BHL aurait été bien inspiré de consulter le site diplomatie.gouv !
De même la deuxième tâche rouge figurant sur l'Iraq, la Syrie, la Jordanie et une partie de la Turquie aurait pu être évitée sans la deuxième guerre du Golf de 2003.
En Afghanistan le résultat de l'intervention occidental est tout simplement désastreux au delà des pires pronostics, puique non seulement la guerre d'Afghanistan est totalement perdue (pari gagné de manière posthume pour Ben Laden, qui nous avait tendu ce piège où nous avons tous foncé comme des ânes), mais le Pakistan est également perdu, même si en théorie un régime favorable aux occidentaux règne à Islamabad : allié d'opérette !
Cependant, l'Occident n'est pas le seul responsable de l'effondrement du monde arabo-africain. Le Yémen qui vient de sombrer n'a pas eu besoin de nous, pas plus que le Soudan ou le Nigeria.
Nous devons condamner nos gouvernements quand ils font des âneries, surtout des âneries criminelles, mais, c'est un enseignement de la carte, nous ne devons pas exagérer leur pouvoir ! Ils ne peuvent pas tout et ne sont pas responsables de tout. Ce serait trop facile.
Quelle politique face à ces zones effondrées.
A partir des constats et des responsabilités établies, nous pouvons dresser deux urgences :
1 – Comprendre que le phénomène d'effondrement des états n'est pas un événement anecdotique, c'est un événement central dans le Monde qui doit être traité comme un événement central. Nous devons y faire face avec toutes nos forces et avec intelligence (là, avec les gouvernants qu'on a, c'est pas gagné !).
La carte de l'Afrique montre bien que quelque soit le courage et le professionnalisme de nos troupes quelques milliers de soldats français c'est une goutte d'eau dans l'océan...
2 – Comprendre que nous avons affaire à un phénomène nouveau. Nous n'avons pas vu, depuis pratiquement la chute de Rome, des états s'effondrer ainsi durablement. Nous devons apprendre à gérer ces états défaillants à nos frontières. Nous n'avons ni les moyens ni la volonté politique de réétablir un quelconque ordre étatique, dans ces zones rouges. Nous devons donc apprendre à vivre avec elle. Nous n'avons pas le choix.
3 – J'aurais peut-être dû commencer par là : arrêter le massacre ! Il y a désormais suffisament de zones effondrées, n'en rajoutons pas ! Abstenons-nous, par exemple, d'attaquer l'Iran au nom de la Démocratie ou de souffler sur les braises ukrainiennes ce qui pourrait avoir pour conséquence de créer d'autres zones rouge en Europe même. Réétablissons également l'ordre dans nos banlieues ! Pour la même raison.
4 – Une utilisation intelligente de l'Histoire.
La carte ci contre fait apparaître, près des zones rouges, des pôles de stabilité. Au lieu d'ânoner des stupidités sur les droits de l'Homme, il serait plus intelligent de s'appuyer sur ces Pôles de Stabilité.
Depuis 3000 ans, la Perse est un empire clef, dans sa région. Aujourd'hui, elle reste un attracteur puissant. Nous ne pouvons pas, n'en déplaise à M. Fabius, oeuvrer pour la paix dans la région en l'excluant. Elle reste une tâche blanche au milieu d'un monde chaotique ; elle est notre allié contre le Chaos. De même, à l'Est de l'Afrique, l'Ethiopie est un pôle de stabilité que nous devons appuyer.
Quel avenir pour ces zones effondrées ? Extension ou recul ?
Les mêmes causes produisant les mêmes effets ; tout ce qui a créé les zones rouges, tout ce qui a participé à effondrer les états, principalement l'échec en Afrique et dans le monde arabe,de l'imposition du modèle étatique européen, reste d'actualité. Aussi, il est probable que les zones rouges, le nombre d'états effondrés, continuent de croître. Nous devons apprendre à coexister avec eux ; comme les Romains coexistaient avec ceux qui vivaient au delà de l'Empire (parfois plus civilisés que les Romains sous certains aspects)... Comme les Romains jadis, il est clair que nous n'étendrons pas notre Empire au monde entier ; nous sommes désormais sur la défensive.
Dans ce contexte, s'en prendre comme des fous furieux à l'autre empire, cousin du nôtre qu'est la Russie, pour s'affaiblir tous les deux sans comprendre le danger qui est à nos portes, est une démarche d'une stupidité rare. C'est celles de nos dirigeants : Obama, Merkel et Hollande pour ne pas les citer. Elle est idiote, mais elle est aussi tristement logique. Nos dirigeants font ce qu'ils savent faire. Ils savent ou croient savoir, traiter avec un état, le menacer, voir le détruire. Ils font ce qu'ils savent faire. Ils ne traitent pas le cas de ces non-états présents et si nombreux à nos portes, parce qu'ils ne savent pas comment faire. C'est aussi bête que celà.
Et pour les décennies à venir :
Nous allons mettre longtemps à apprendre à traiter avec ces états effondrés. Si nous apprenons assez vite, nous pourrons comme jadis Byzance, survivre des siècles ainsi entourés. Si nous apprenons trop tard, le monde occidental s'effondrera pour laisser la place, comme après Rome, à une autre civilisation peut-être radicalement différente...
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