Les Etats-Unis échouent à tarir les sources de financement de Boko Haram : la France en partie responsable ?
Une fois n’est pas coutume, les médias français n’ont pas repris un fil de Reuters. Cette absence inhabituelle d’écho réside peut-être dans le fait que l’agence de presse anglaise égratigne la France en affirmant à nouveau qu’une rançon a été versée pour la libération de la famille Moulin-Fournier en février 2013.
Retour sur la controverse
Fin avril 2013, la polémique n’a pas vraiment pris. Reuters a alors révélé que la somme de 3,15 millions de dollars avait été remise à Boko Haram par les négociateurs français et camerounais. Jean-Marc Ayrault s’est empressé de démentir, ce qui a eu pour effet de désenfler immédiatement la controverse. Pourtant plusieurs journalistes, à commencer par Olivier Ravanello, ont continué de soutenir que la libération des otages n’avait pas été gratuite.
Les estimations du montant de la rançon ont atteint les 25 millions d’euros, un nombre largement supérieur à celui évoqué par Reuters. Au-delà de la somme exacte versée à la secte, le problème éthique soulevé par cette affaire réside dans l’attitude du gouvernement. Ce dernier affirme qu’il ne paye jamais de rançon, mais les actes ne semblent pas suivre la parole.
Brice Couturier, dans sa chronique du 31 octobre 2013 sur France Culture, reprend les arguments de Kant et Benjamin Constant à propos du mensonge d’Etat. Il estime ce dernier légitime dans la mesure où il permet « d’éviter la multiplication des enlèvements », et conclut en s’interrogeant :
« Ce dont on voudrait être sûr, c’est que l’argent qui a permis à racheter ces vies – qu’il provienne d’Areva ou de la DGSE – ne servira pas, demain, à se procurer les armes avec lesquelles seront tués nos soldats, quelques dizaines de kilomètres plus loin… Sinon, le mensonge d’Etat perdrait une bonne part de sa justification. Mais comment s’en assurer ? »
Pourquoi M. Couturier n’évoque-t-il pas le peuple nigérian dans les victimes possibles ? Cet oubli me paraît révélateur. Quoi qu’il en soit, suite à la série impressionnante d’attentats dévastateurs et d’enlèvements que le Nigeria a connue ces derniers mois, ne peut-on pas se poser à nouveau des questions ?
Comment Boko Haram se finance et échappe aux mailles du filet étasunien
Le fil d’actualité de Reuters que j’évoque en introduction de l’article n’accuse pas la France directement. Il souligne surtout le fait que les finances de Boko Haram sont florissantes grâce à leur activité d’enlèvement, Al-Qaïda ne fournissant à la secte qu’une aide mineure : quelques centaines de milliers de dollars, une goutte d’eau comparée aux millions de dollars que rapportent les kidnappings.
L’affaire Moulin-Fournier est tout de même citée en premier par Reuters, mais elle n’est qu’un exemple d’enlèvement parmi d’autres. L’administration américaine estime qu’une rançon d’un million de dollars est versée à Boko Haram pour chaque nigérian fortuné relâché. Il semblerait aussi que la secte ait reçu un soutien de la part de sympathisants religieux à l’intérieur du pays, notamment d’hommes d’affaires en froid avec l’Etat nigérian. Mais aucune preuve sérieuse n’a pu soutenir cette allégation.
Malgré les millions amassés, Boko Haram s’offre des AK-47, quelques lance-roquettes et de quoi confectionner des bombes artisanales. Selon l’expression d’un membre du think tank Atlantic Council, la secte mène une « opération low-cost ». Elle vole aussi une bonne partie de son matériel à l’armée nigériane. Elle effectue des raids ciblés sur des bases militaires excentrées.
Pour se protéger de la traque occidentale, Boko Haram fuit le système financier traditionnel, rendant inopérantes les méthodes de la NSA qui font trembler les puissances technologiques. De plus, le groupe terroriste n’utilise les moyens modernes de communication qu’à très faible dose, préférant se reposer sur des contacts en face-à-face et des courriers humains.
Selon l’article de Reuters, les Etats-Unis échouent à tarir le financement de Boko Haram pour deux raisons majeures : la secte récolte de l’argent grâce aux kidnappings et elle n’utilise pas ou peu les nouvelles technologies qui permettraient de la localiser. Etant donné que le groupe terroriste ne fait pas montre de richesses, je me demande d’autant plus quelle peut être la part de responsabilité de la France dans la santé financière de Boko Haram.
Joaquim Defghi
Blog : actudupouvoir.fr
Twitter : @JDefghi
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