Les États-Unis se redéploient en Europe
Au-delà des accords « historiques » entre Washington et Bucarest sur l’installation de bases américaines en Roumanie : une doctrine, une stratégie et des moyens qui s’inscrivent dans la durée. Le dessous d’un événement.
« Historique »... Pour la Roumanie et pour les États-Unis. Pour l’Europe, ou plutôt pour « l’Eurosphère » tout entière , pourrait-on dire. Historique, en effet, l’accord signé à Bucarest après une année de négociations : la Roumanie accueillera quatre bases américaines, les Américains bénéficieront de « facilités militaires » en Roumanie, et des cadres américains « mettront à niveau » les soldats roumains... Quatre sites ont été retenus : l’aéroport militaire Mihail Kogalniceanu, près du port de Costanta, Babadag, également sur la Mer Noire, Cincu en Transylvanie, et Smardan, dans le sud, près de la frontière bulgare. Un accord d’un type semblable serait en cours de négociation avec la Bulgarie. La Mer Noire devient donc un terrain stratégique de premier ordre pour les États-Unis.
Ce redéploiement américain a été décidé en août 2004. Certains observateurs le lient aux difficultés rencontrées par l’administration Bush au moment de l’offensive en Irak (notamment avec l’Allemagne et la Turquie), ou à la volonté d’acquérir plus de souplesse dans la lutte contre le terrorisme. En fait, cette nouvelle stratégie est préparée depuis les années 1990, pour cinq raisons essentielles :
1) Faire en sorte que personne ne puisse interpréter le retour aux États-Unis de GI’s stationnés en Europe occidentale et en Asie (Corée) comme un repli isolationniste. Entre 60 000 et 70 000 hommes sont concernés par ces déménagements. Les forces américaines en Europe vont passer de 112 000 hommes aujourd’hui, à quelque 50 000.
2) Se rapprocher des lieux de conflits et de tension : la Mer Noire est une plaque stratégique évidente. Il y avait un vide à combler. L’Europe inexistante politiquement, et toujours sans défense commune, même embryonnaire, ne pouvait en rien le combler. De plus, cette stratégie s’insrit dans la vision du « grand Moyen -Orient » dessiné par Bush
3) Consolider l’amarrage des anciens pays de l’Est à l’Otan, ne serait-ce que pour faire de bonnes affaires... En 2003, la Pologne a ainsi acheté des avions de chasse F 16, au grand dam des Européens, Français ou Suédois notamment. Les « mises à niveau » promises pour les armées bulgares et roumaines passent par des investissements. Les USA exploitent le manque de cohérence (ou plutôt d’existence) de l’Europe de l’armement.
4) Prolonger à l’extérieur la réforme en cours des armées américaines (l’armée de terre notamment) : il s’agit de privilégier de petites unités, souples, flexibles, plus mobiles et efficaces, et organisées avec une intendance moins lourde. D’ailleurs, les bases américaines seront classées en trois catégories :
- les « classiques » : MOB (Main Operating Bases), qui correspondent aux anciennes grandes bases comme celle de Ramstein en Allemagne ou d’Aviano en Italie. Des installations clés dans toutes les dernières crises, balkaniques ou moyen-orientales.
- les « postes avancés » : FOS (Forward Operating Sites), situés aux portes des zones de crise. Les unités, plus légères, y seront déployées dans le cadre de rotations de six mois, sans que les familles suivent les soldats, et avec des liens étroits avec les armées locales.
-les « dormantes » : les CSL (Cooperative Security Locations). Ces installations ne seront activées qu’en cas de besoin. Leur maintenance serait assurée par des forces locales, voire par des entreprises privées.
5) Tirer toutes les conséquences de la fin de la guerre froide en se préparant à relever des défis d’un type nouveau.
Autant dire que cet accord « hstorique » de Bucarest s’inscrit dans une action mûrie depuis longtemps, et dans une statégie multiface qui s’inscrit dans la durée. En matière de défense, les USA ont deux atouts : une doctrine claire, et les moyens de leurs ambitions. Quand on pense aux occasions manquées, depuis 1954, de forger un « pilier européen » de l’Alliance dite atlantique...
À côté de ces constats, les « ennuis » de Rice à cause des « pratiques » condamnables moralement et politiquement de la CIA prennent des allures de péripéties...
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