Les leçons des bouleversements arabes
Le nouvel ordre mondial américain est fondé sur le profit capitaliste. Son impérialisme a besoin d’accaparer les matières premières énergétiques qui permettent au néolibéralisme de marché de survivre. Sa stratégie ne tolère pas les Etats rétifs qui manifestent des velléités d’indépendance. Les chefs de ces Etats sont tous mis dans le même sac de la “dictature”, quelles que soient leurs différences. L’insubordination suffit à les condamner, aux applaudissements des “droitsdel’hommistes” hypocrites ou naïfs.
Ce bref tableau de notre Occident explique beaucoup d’événements. D’abord l’élimination des trublions (les petits, parce que les Chinois et les Russes sont trop puissants pour être inquiétés). Peu importe que ces roitelets aient été des leaders populaires ou des tyrans, qu’ils aient le souci de leurs peuples ou de leurs intérêts personnels, qu’ils soient les auteurs de réformes utiles ou qu’ils pillent avec égoïsme les ressources de leur pays, leur “nationalisme” – patriotique ou intéressé – est un crime de lèse-empire. Leur disparition est un “must” qui doit être parachevé par tous les moyens. Corruption des “élites” locales, troubles fomentés de l’extérieur, oppositions financées, propagande tendancieuse, révolutions fabriquées, mensonges répétés à satiété, accusations tous azimuts, agressions militaires. C’est ainsi que quatre d’entre eux, pourtant peu comparables, ont été jetés dans la fosse commune : Milosevic, Noriega, Ceaucescu et Saddam Hussein. Il en reste six : Lukashenko, Ahmadinejad, Gbagbo, Kadhafi, Kim Jong Il et Chavez. Leur seul point commun était – ou est – la résistance à l’hégémonie de Washington. Cela suffit à en faire d’abominables trouble-fêtes à détruire, tous pareils quoique fondamentalement différents, mais également maudits par les bonnes consciences et les moralistes de salons.
Cette chasse au “récalcitrant” s’est compliquée récemment, sans changer de nature, en Tunisie et en Egypte. Les interventions du Pentagone et de la CIA ont été prises de court par un bouleversement que j’annonce depuis des années : le soulèvement de peuples qui ne supportent plus le gouffre qui les sépare de leurs dirigeants, qui réagissent à l’abîme d’inégalités économiques et d’injustices sociales creusé entre les pauvres et les riches, entre les démunis et les jouisseurs de la fortune et du pouvoir. Et l’incendie risque de se propager dans cet espace arabe de féodalités anachroniques, où les masses font craquer les structures. Contrairement aux illusions des idéalistes ou aux proclamations des cyniques, pas pour réclamer la démocratie, ce dont les exploités se foutent complètement, mais pour exiger simplement de quoi se nourrir, se loger, vivre avec un minimum de dignité.
Même s’ils sont “récupérés” par la suite, les deux mouvements – tunisien et en égyptien – auront présenté au départ quatre caractéristiques du plus haut intérêt : la force de la jeunesse, le rôle actif des femmes, la laïcité des revendications, l’absence de slogans anti-israéliens. Un visage nouveau, déroutant pour les maniaques de l’islamophobie.
Ce qui complique l’analyse, c’est que les deux facteurs précités – la domination impériale et l’explosion populaire – s’ entremêlent dans les deux cas. Les révoltes ont été spontanées et, dans un premier temps, ont affolé les états-majors et les chancelleries. Mais ces derniers ont vite repris leurs intrigues pour limiter les dégâts. Ce qui fait que, dans les deux pays, on trouve à la fois les expressions de la colère d’en bas et les traces de la reprise en main d’en haut. On peut se réjouir des premières et craindre les secondes, car si l‘on peut saluer avec joie l’importance des soubresauts, force est de constater que beaucoup de précautions commencent à être prises pour que l’édifice impérial ne s’écroule pas sous quelques premiers coups de boutoir.
Le cas de la Libye me semble différent. Malgré les vociférations des grands médias, et de leurs inspirateurs gouvernementaux – prompts à piétiner l’excentrique colonel qu’ils recevaient jadis en grande pompe – “l’insurrection” libyenne n’est pas comparable à celles de Tunisie et d’Egypte. L’opposition qui a pris les armes existe depuis longtemps. Elle reflète moins une rage populaire qu’un antagonisme politique. Kadhafi et ben Laden sont réellement ennemis. Le Libyen a été le premier à alerter Interpol sur l’activité du terroriste. Un “Groupe de combat islamique”, fondé en 1995 par des vétérans de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, a annoncé en 2007 qu’il rejoignait Al Qaeda. Le moins qu’on puisse dire sur les rebelles de Cyrénaïque est qu’ils sont mélangés, avec une forte présence d’islamistes traditionnels hostiles à la modernisation de la jamariya. Il ne s’agit pas d’une marée subversive, mais plutôt, une fois de plus, d’un mécontentement instrumentalisé, d’une mise en scène de coup d’Etat, facilitée par les débordements du “guide”, et la grogne de ses adversaires, qui a été sinon déclenchée, du moins soutenue par l’étranger. La pression internationale est là, plus que jamais. Motivée par l’intérêt pétrolier. Comme d’habitude, les stratèges de l’Occident ont soufflé sur les braises des rivalités de factions et de la démagogie pour ébranler un gêneur, avant – comme il est question de le faire – de le liquider par un coup de grâce militaire.
Quoi qu’il en soit, l’actualité met en lumière deux réalités à prendre en compte : a) les peuples commencent à bouger ; b) l’empire ne renonce pas à se défendre par tous les moyens. De quoi se réjouir d’un côté, mais de l’autre de quoi continuer le combat.
Louis DALMAS.
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