Les nouvelles sanctions de Washington paralyseront-elles les banques et l’économie iraniennes ?
Washington ne lâche pas prise. Pas une semaine ne passe sans qu’il ne soit question de l’Iran. La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, considère que l’Iran représente « peut-être le plus grand défi » pour la sécurité des États-Unis et le vice-président américain Dick Cheney a menacé le régime de « graves conséquences » s’il ne renonçait pas à son programme d’enrichissement d’uranium. Quant au président George W. Bush, il avait évoqué récemment un risque de « troisième guerre mondiale ». Une voix s’élève contre cette possible invasion de l’Iran : Jimmy Carter : « Je pense que toute attaque militaire contre l’Iran serait une horrible erreur et une tragédie », a dit M. Carter à la presse après un entretien avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, sur des questions de santé internationale. Cette semaine, Washington a annoncé un nouveau train de mesures contre l’Iran. Les banques sont visées. Objectif : neutraliser le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, et les Gardiens de la révolution. Est-ce bien réaliste ?
Il fallait s’y attendre. Vladimir Poutine, de passage à Lisbonne, a
exprimé rapidement son opposition aux nouvelles sanctions imposées par les
États-Unis contre l’Iran. La pression exercée contre le gouvernement de Téhéran
pousse « l’Iran dans ses derniers retranchements ». Le
président russe s’interroge : « Pourquoi aggraver la situation en
menaçant de sanctions et en aboutissant à une impasse ? Le meilleur moyen
de résoudre la situation ce n’est pas de courir comme un fou dans tous les sens
comme un homme avec un couteau à la main ? »
Les États-Unis viennent de franchir une étape importante dans l’escalade
des sanctions contre le pays perse. L’Iran serait d’ores et déjà un « paria
de la finance » et ces nouvelles sanctions n’ont pour seul but que de
le forcer à renoncer à ses ambitions nucléaires. A ce titre, les États-Unis
viennent d’inscrire trois banques d’État iraniennes, Melli, Mellat et Saderat, sur la
liste noire des « parias de la finance », qui interdit à toute
institution financière soumise aux réglementations américaines - soit une
grande part du système financier mondial - de faire des affaires avec ces
entités et l’oblige à saisir tous leurs actifs.
Cette fois-ci, les États-Unis frappent fort : la banque Melli,
aussi appelée Banque Nationale d’Iran, est la première institution bancaire du
pays qui est largement implantée à l’étranger. Fondée en 1927, sur ordre du
Majles (Parlement), la banque Melli émettait la monnaie jusqu’en 1960. Ses prêts
vont essentiellement au logement, à l’industrie et au commerce et services. La
Melli Central Branch, à Téhéran, est un lieu fréquenté par le tourisme en
raison de la présence, dans son sous-sol, du Musée des Bijoux de
la Couronne.
Le sous-secrétaire au Trésor, chargé de la lutte contre le terrorisme et
du renseignement financier, Stuart Levey, déclarait en janvier 2007 que :
« la banque Sepah est la cheville ouvrière du réseau
d’approvisionnement iranien en missiles et a aidé activement l’Iran à se doter
de missiles capables de projeter des armes de destruction massive ».
Toujours selon le sous-secrétariat au Trésor américain, la banque Sepah apportait, notamment, une aide financière
aux groupes industriels Shahid Hemmat (SHIG) et Shahid Bakeri (SBIG), « deux
entreprises de fabrication de missiles inscrites à l’annexe de la résolution
1737 pour leur implication directe dans le programme de missiles balistiques
iranien » (voir Le Blog Finance).
Déjà, en septembre 2006, les États-Unis avaient interdit toute
transaction en dollars entre des entités américaines et deux importantes
banques iraniennes, Saderat et Sepah, dans le but de
tenter de freiner le programme d’enrichissement d’uranium de l’Iran. Ces deux
banques étaient accusées de soutenir des groupes terroristes et le programme
nucléaire iranien. A la suite de ces pressions américaines, la plupart des
grandes banques internationales avaient cessé toutes transactions en dollars
avec l’Iran. En décembre 2006, après la Russie, le Venezuela, les Émirats
Arabes Unis, l’Iran s’est affranchi du dollar.
Le gouvernement iranien annonçait qu’il allait remplacer le dollar par
l’euro dans ses échanges extérieurs et pour ses avoirs à l’étranger. Selon la
banque centrale iranienne, les réserves en devises de l’Iran, dans les banques
étrangères, avaient atteint 52,3 milliards de dollars à la fin juillet 2006.
« La zone euro est une zone économique plus grande que les États-Unis
et même si elle est encore jeune, sa devise semble un candidat naturel pour
concurrencer le dollar. Ce n’est donc pas un choix par défaut »,
estimait, dans le même temps, Gavin Friend, économiste à la Commerzbank. Une
facturation des exportations de pétrole iranien en euros - qui était déjà
possible mais pas obligatoire - devenait dès lors un geste symbolique puisqu’il
donnait naissance à des pétro-euros. « A l’heure actuelle, en octobre
2007, 65% de la vente du pétrole iranien se fait en euros et 20% en yens », selon Seyed Mohammad Khatibi, vice-président de la Société
nationale du pétrole iranienne (NIOC). « Seulement 15% de la vente du
pétrole se fait en dollars et nous sommes en train de remplacer progressivement
cette part avec des devises plus crédibles [...] Depuis 2004, la valeur
du dollar a baissé entre 30 et 35%. Par conséquent, conserver nos
capitaux en dollars signifie une baisse importante de nos avoirs », a
ajouté le vice-président de la Société nationale du pétrole iranienne.
Anne Gearan, de l’Associated Press, rappelait, en janvier 2007, dans le
Kentucky.com, (repris par Iran-Resist) que tout au cours de l’année 2006, « l’administration de Bush
avait persuadé des banquiers européens et asiatiques de mettre un terme à
l’accès iranien et nord-coréen au système financier mondial. Les raisons
invoquées par les États-Unis étaient le financement du terrorisme et la
corruption ». Washington accusait les deux nations de se comporter en
escrocs, mais également de contrefaire l’argent des États-Unis à Pyong-Yang et
de cacher un programme d’armes nucléaires à Téhéran. Seuls, les USA ne
pouvaient pas empêcher une entité étrangère de faire des affaires avec des
institutions suspectes. C’est pourquoi ils ont décidé d’y remédier en prenant
des mesures (relativement faibles) contre seulement deux banques liées à Téhéran
et à Pyong-Yang. L’administration Bush avait ainsi créé une psychose de
scandale pour toutes les autres banques qui font des transactions avec l’Iran
et la Corée du Nord.
Depuis, la Corée du Nord a quitté l’axe du mal, laissant seul derrière
l’Iran.
La filiale Lukoïl Overseas, en charge du développement à l’international
du groupe russe, a confirmé à l’AFP que sa représentation en Iran « continuait
à travailler » en dépit des « entraves » constituées
par les sanctions financières américaines. Ce qui n’a pas été le cas pour
l’entreprise Halliburton. Comme l’écrivait Elizabeth Studer dans Le Blog Finance, « il est tout de même édifiant de
savoir que, mine de rien, parallèlement à toutes les attaques du gouvernement Bush
contre Téhéran, les pétroliers texans étaient toujours bien présents sur le
territoire iranien et, qui plus est, par le biais d’une entreprise, autrefois
dirigée par Dick Cheney, Halliburton ». L’entreprise américaine de services
à l’industrie pétrolière, Halliburton, indiquait en effet, en avril 2007, qu’elle avait mis un terme à toutes ses
activités en Iran. Ce qui signifie qu’elle était bien présente sur le
territoire iranien. Il faut noter enfin que, selon certains analystes pétroliers moscovites, Lukoil envisagerait
de fusionner avec son partenaire stratégique, le géant américain ConocoPhillips qui détient déjà 20% du capital.
La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, considère que l’Iran
représente « peut-être le plus grand défi » pour la sécurité
des États-Unis et le vice-président américain Dick Cheney a menacé le régime de
« graves conséquences » s’il ne renonçait pas à son programme
d’enrichissement d’uranium. Quant au président George W. Bush, il avait évoqué
récemment un risque de « troisième guerre mondiale ». La table
est mise. Sauf que rien ne change dans le discours des États-Unis, pour
l’instant. Ces nouvelles mesures sont destinées à sanctionner « l’attitude
irresponsable de l’Iran », a déclaré Mme Condoleezza Rice à la
presse, en assurant que les États-Unis restaient engagés dans une approche
diplomatique pour résoudre la crise du nucléaire iranien. Le passage à l’euro
de l’Iran a, bien évidemment, indisposé Washington. Donc acte.
Selon le département d’État, la banque Melli, première
institution bancaire du pays largement implantée à l’étranger, finance
notamment la force Al-Qods et les Gardiens de la Révolution. La banque Mellat finance l’organisation de l’énergie
atomique de l’Iran et la Saderat finance les groupes radicaux palestiniens
Hamas et Jihad islamique, et le Hezbollah libanais, que Washington considère
tous comme mouvements terroristes. Ces sanctions visent plus largement le corps
des Gardiens de la Révolution (Pasdaran), le ministère de la Défense, trois des
plus grandes banques du pays, une vingtaine d’entreprises iraniennes et huit
personnes impliquées dans le commerce de missiles et qui soutiennent des
groupes extrémistes au Moyen-Orient.
« L’Iran continue à rejeter notre offre de négociations ouvertes »,
a commenté Mme Rice, « et menace la paix et la sécurité, via son
programme nucléaire et de missiles balistiques et son soutien aux insurgés
chiites en Irak, aux talibans en Afghanistan, au Hezbollah au Liban et au Hamas
à Gaza. » Washington, qui espère que ces mesures pousseront l’Iran à
accepter une offre formulée l’an dernier lui proposant des incitations économiques
en échange de l’abandon de ses activités nucléaires sensibles, croit que de
telles sanctions devraient isoler un peu plus le régime des mollahs sur le plan
économique tout en incitant ses partenaires commerciaux à ne plus faire affaire
avec lui. Les Gardiens de la révolution, visés par ces sanctions, dépendent
directement du Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali
Khamenei. Le sous-secrétariat au Trésor pointe l’importance des ramifications
de ce groupe dans l’économie iranienne. Les Gardiens de la révolution
contrôleraient des milliards de dollars grâce à des entreprises implantées dans
les secteurs financiers et commerciaux, notamment dans la production de
pétrole, l’ingénierie et la construction. « [Ils] sont si enracinés
dans l’économie iranienne et dans des entreprises commerciales qu’il est de
plus en plus probable que si vous faites affaire avec l’Iran, vous faites affaire avec
les Gardiens de la révolution », a affirmé le secrétaire du Trésor,
Henry Paulson.
Cette décision entraîne le gel de tous les avoirs que ces entités
peuvent détenir aux États-Unis et interdit à tout individu ou entreprise, et
notamment toutes les banques soumises aux réglementations américaines, de
commercer avec elles, sous peine de sanctions. Toutefois, dans la capitale
américaine, une « solution diplomatique » est toujours à
l’ordre du jour, en précisant toutefois que le président conserve « toutes
les options sur la table ». Malgré les objections de Moscou et de
Pékin, Washington, soutenu par Londres et Paris, pousse en faveur de l’adoption
d’une troisième résolution de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
À Londres, le Foreign Office a fait savoir « qu’il soutenait les
efforts de l’administration Bush pour accentuer les pressions sur le régime iranien ».
« Nous sommes prêts à montrer la voie pour une troisième résolution de
sanctions et soutenir dans le même temps des sanctions plus fermes de l’Union
européenne. »
À l’instar de Vladimir Poutine, certains observateurs doutent de
l’efficacité de ces sanctions. L’AFP rapporte l’opinion de Alex Vatanka, de la
revue spécialisée Jane’s : « Je suis sceptique sur
leur impact, principalement parce que les États-Unis, unilatéralement, ont très
peu de moyens de pression sur cet État islamique riche en pétrole, sur son
économie et sur ses forces armées. Il suffit de regarder ce qu’ont fait dans le
passé les Russes, les Chinois et dans une certaine mesure les Européens, pour
douter du soutien que le reste du monde va apporter aux États-Unis là-dessus.
Pour changer le comportement de l’Iran de façon positive, il faut lui donner
quelque chose. Or tout ceci ce sont des bâtons. Je ne vois pas de carotte. »
Pour Manouchehr Dorraj, professeur de relations internationales à la
Texas Christian University : « L’efficacité des nouvelles
sanctions dépend dans une large mesure de la coopération des alliés européens
comme la France et l’Allemagne, mais aussi la Russie et la Chine qui ont des
liens politiques et financiers plus étroits avec Téhéran. » Et selon
Manouchehr Dorraj : « Si les Iraniens restent peu réceptifs,
l’administration Bush pourrait utiliser cela comme prétexte pour dire que les
sanctions n’ont pas réussi à convaincre le gouvernement iranien de mettre un
terme à ses activités d’enrichissement de l’uranium et que l’option militaire
est la seule alternative viable. »
En terminant, il convient de rappeler cette remarque, qui pourrait
paraître anodine, du numéro trois du département d’État américain, Nicholas
Burns, qui déclarait que : « La Chine a augmenté ses échanges avec
l’Iran au moment même où d’autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU les
réduisaient. »
Téhéran a réagi. A sa façon. Comme il fallait s’y attendre, le ministère
iranien des Affaires étrangères a condamné la nouvelle initiative de
Washington : « La politique hostile de l’Amérique contre la
respectueuse nation iranienne et nos organisations légales va à l’encontre des
règles internationales et n’a aucune valeur », a dit un porte-parole
du ministère cité sur le site internet de la télévision nationale.
(Sources : AFP, Cyberpresse, La Presse canadienne, Le Blog Finance,
Le Monde, Ria Novosti)
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