Les pauvres ont compris que Lula était leur président
Le président Inacio Lula da Silva a été réélu avec plus de vingt millions de votes d’avance sur son adversaire Geraldo Alckmin du Parti social-démocrate

Qu’est-ce qui a fait que, malgré les scandales politiques de corruption liés à son parti (le PT, Parti des travailleurs), une politique économique conservatrice, une croissance modérée du PIB de 2% et une absence apparente de politique sociale, le peuple brésilien ait renouvelé massivement sa confiance à Lula ?
La réponse tient en un mot : apparente.
En 2002, le gouvernement Lula a hérité d’une économie stabilisée mais encore très fragile. Même avec une monnaie enfin stabilisée grâce au Plan real de Fernando Henrique Cardoso, le président sortant, les indicateurs économiques montraient une situation assez tendue, avec une dette intérieure énorme, une dette extérieure avec le FMI, un taux d’intérêt de base de presque 20% par an, le real dévalorisé par rapport au dollar, le fantôme de l’inflation galopante toujours présent, des exportations stagnantes, un indice du « risque pays » de plus de 2000, bref, une économie stabilisée... sous perfusion.
Entouré d’économistes de valeur, le gouvernement Lula a décidé d’appliquer un plan en deux temps : stabilisation de la situation économique avec un minimum d’actions sociales fortes, puis, dans un second temps, utilisation de cette base saine pour faire profiter toutes les classes sociales du développement économique accéléré du pays. Le pari était audacieux, car il partait du principe que le 1er mandat de quatre ans serait renouvelé malgré une politique apparemment peu sociale.
Le pari économique a réussi au-delà de ce qui était espéré : dette FMI éteinte, contrôle des dépenses publiques amélioré, exportations record, real renforcé, taux d’intérêt ramené à 13 % avec une inflation annuelle de seulement 3%, consommation interne des ménages en augmentation constante, risque pays divisé par dix, plus de huit millions d’emplois créés. Même si le PIB a augmenté modérément (2% en 2005) relativement à l’Inde ou à la Chine, l’assainissement de l’économie est réeln et le Brésil est devenu un partenaire économique international majeur.
Néanmoins, pendant ces quatre ans, les plus pauvres n’ont pas été oubliés totalement. Plusieurs plans sociaux ont été mis en place pour garantir le minimum vital aux classes les plus défavorisées. En particulier, « Fome Zero » (Faim Zéro), par l’intermédiaire de la Bolsa Familia (Bourse aux familles) a redistribué des allocations à plus de 44 millions de Brésiliens, avec une règle simple : les enfants vont à l’école, les parents reçoivent l’allocation. Cela paraît simple, mais il faut savoir que cette redistribution a permis à d’innombrables familles d’enfin manger à leur faim, tout en développant le commerce de proximité de nombreux quartiers sinistrés, en limitant le travail infantile et en développant l’éducation primaire dans les coins les plus pauvres et les plus reculés du Brésil.
D’autres plans annexes ont contribué à améliorer le confort des « oubliés » du Brésil. « Luz para todos » a permis d’amener l’électricité dans les campagnes éloignées qui vivaient encore à la bougie. « Brasil Sorridente » (Brésil souriant) a donné accès à des soins dentaires gratuits. Les médicaments les plus importants peuvent être achetés à 10% de leur prix dans les pharmacies sociales. De nombreux crédits à taux préférentiels ont été débloqués pour les agriculteurs. Des services de SAMU ont été créés dans les principales métropoles. Le développement du Sistema Unico de Saude (SUS), l’équivalent de notre Sécurité sociale, qui n’avait jamais fonctionné sous les gouvernements précédents, a permis l’accès aux soins gratuits à de nombreux foyers brésiliens.
Le candidat social-démocrate a tenté, pendant toute sa campagne, de discréditer cette réussite économique, s’appuyant surtout sur la maigre croissance du PIB comparé aux autres pays émergents. Il a également tenté de montrer la corruption au sein du parti et du gouvernement. Mais il a échoué sur tous les points. Les Brésiliens se rendent bien compte de l’amélioration de leur niveau de vie, surtout les plus pauvres. La corruption citée par Alckmin n’a touché que les partis politiques (caisses noires pour les élections, par exemple), alors que les autres scandales de corruption liés aux partis conservateurs ont touché directement le peuple (par exemple, surfacturation d’ambulances pour les municipalités).
De plus, sa posture de politicien des classes moyennes qui veut se montrer proche du peuple n’a pas convaincu, alors que Lula, avec son passé d’ouvrier, dans son style naturel et franc, toujours avec une pointe d’humour, apparaît comme le plus crédible auprès des classes les plus pauvres du Brésil. Un phénomène rare ne trompe pas ; Alckmin a perdu des voix au second tour, ce qui est plutôt rare pour un second tour, dans n’importe quel pays !
En conclusion, le gouvernement Lula, malgré son inexpérience, a réussi la première phase du passage d’une économie privilégiant la classe dominante à un développement économique qui bénéficie à toutes les classes sociales, distribue plus harmonieusement les revenus, dans la logique du « développement durable ».
Mais il reste énormément à faire, tout n’est pas rose, loin de là : la corruption est encore très forte dans le pays, l’éducation nationale est sinistrée, l’état des routes reste pitoyable, les infrastructures de santé sont notoirement insuffisantes, la sécurité publique est mal assurée. Autant d’impasses que le gouvernement Lula a été obligé de faire compte tenu des faibles crédits dont il disposait. Tous ces points ne pourront être réglés qu’avec le temps, en profitant de la croissance économique et de la baisse des crédits pour mettre en place les plans nécessaires pour faire passer, dans les prochaines décennies, le Brésil du statut de pays émergent à celui de puissance mondiale de premier rang.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON