Les post-partum de l’Après mondial
Je vieillis et je suis bien conscient de la perte de tonus, des réflexes qui ralentissent, de la force qui décroit... Je me méfie donc de la hardiesse précaire qu'on retrouve au fond d'une flute de champagne et je regarde avec lucidité les trottoirs glissants. Je me méfie des marées insidieusement prolongées des pleines lunes de martiales. J'ai donc un peu peur des postpartum comme des post-mortem de l'apothéose du ballon rond.

Je me méfie des joies inespérées qui peuvent susciter des audaces inconsidérées. J'ai peur d'un Brésil triomphant qui oublierait que cent millions de pauvres qui dansent ne veut pas pas dire qu'ils sont heureux et le resteront. Peur d'une Italie qui s'encouragerait de grandes victoire pour y aller d'un tonitruant Vaffanculo ! à ses créanciers. Peur d'une Espagne, sacrée meilleure stratège, qui se croirait de taille à gagner la belle dans la rue, si on reprenait l'affaire là où on a raté un virage en "36. Peur d'une France... Bon, on a compris....
Le problème que pose le délire orgasmique du Mondial à nos société sénescentes, c'est une tachycardie le temps de faire une bêtise,... puis le risque d'une longue dépression qui en ferait commettre de pires. Car où sont les VRAIES raisons de se réjouir ? Toute notre civilisation se délite et s’effrite. Le déclin n’est pas un phénomène local, mais un problème mondial. A divers degrés, ce que l’on vit chacun chez-soi n’est qu’une facette de ce qui se passe partout. Nous avons un problème de désordre. On aurait voulu croire que pauvreté et désordre allaient de paire et que le temps apporterait une commune solution dans un enrichissement collectif.
Le désordre, hélas, ne croît plus seulement dans la pauvreté, mais partout. Dans le monde sous-développé, en Afrique, en Amérique latine, une partie de l’Asie, une pauvreté objective abjecte crée, bien sûr, une crise permanente. Le pouvoir formel y devient précaire, son emprise réelle faible, sa légitimité nulle. Parfois, un pouvoir clanique, arbitraire, devenant toujours de plus en plus mafieux – puisque la criminalité y est le seul secteur porteur de l’économie – peut s’exercer de fait, ici ou là, mais sur des territoires trop restreints pour que puisse s’y maintenir une structure de développement stable. Le désordre est presque total ; on meurt au jour le jour, sans attirer l’attention.
Dans certains pays dits « en voie de développement », s’établit souvent un pouvoir totalitaire. Ces régimes sont dénoncés et souvent sabotés par le reste des nations ; pour ce motif de dictature, ou ce prétexte en cachant de moins avouables. Ces pays, de toute façon, ont perdu la partie de créer le bonheur, lequel n’est vraiment possible que dans la liberté. D’autres feignent une forme de démocratie, mais celle-ci tout entière soumise à une omniprésente corruption et leurs assises sont sapées par les deux (2) problèmes systémiques, auxquels ils n’échappent jamais : un chômage endémique et une dette publique en croissance ininterrompue
Ajouter, dans le tiers-monde, les guerres spontanées ou fomentées qui viennent et vont, comme toujours, mais plus que jamais inutiles, plus désespérantes, car elles se terminent sans que la paix ne revienne vraiment ; la violence se poursuit, plus ou moins larvée, dans un désordre permanent. Les oasis de sécurité se font plus rares sur cette planète et, là où elles subsistent, deviennent sans cesse plus précaires, moins sereines….
Dans les pays dits développés, les USA offrent l’exemple qui semble prémonitoire d’une fracture sociale entre les pauvres et les riches, entre les blancs et les autres. Une fracture qui, si elle s’élargit, conduira à un inévitable éclatement et dont l’imminence est occultée par un cirque médiatique : un déluge d’informations incohérentes qui, paradoxalement, sert de censure. Le citoyen moyen n’a plus qu’une vision de plus en plus floue de l’ensemble de la situation.
L’Europe suit la même voie. Les inégalités inhérentes à une expansion qui y fait cohabiter ses nations riches et pauvres et une immigration incontrôlée y créent des opposition ethniques et raciales à la mesure de celles de l’Amérique. Cette voie est balisée par la concentration de la richesse, l’exclusion progressive des travailleurs, la récupération de la démocratie par la manipulation des médias, la rupture de la solidarité sociale, le choix de la décroissance, la diminution inexorable des services sociaux et une perte d’éthique.
Cette perte d’éthique favorise la criminalité dans les pays riches comme dans les pays pauvres, mais elle y prend d’abord une autre forme. Celle de la délinquance et d’une désaffection croissante envers les valeurs sociales sans lesquelles une société complexe ne peut survivre. On assiste de plus en plus à l’abus de biens publics, à la fraude fiscale généralisée, au travail au noir et, surtout, toutes ces tares deviennent socialement tolérées. Il devient acceptable de ne pas respecter les règles qui ne nous conviennent pas et l’on peut compter sur l’indulgence des autres, puisqu’ils en font tout autant.
Le seuil à partir duquel le désordre s’impose grimpe sans cesse plus haut sur l’échelle de la richesse et de la respectabilité. Voyez en Europe des ministres convaincus de gestes criminels se représenter sans gêne devant les électeurs ; voyez, aux USA, une vedette de la télévision signer des contrats à partir de sa cellule de prison et sourire aux photographes invités. Il n’y a plus de véritable opprobre à l’illégalité. Institutions, méthodes, mécanismes, objectifs ne font plus consensus.
Chacun prend donc ses distances de l’ordre établi dont le capitalisme ne l’a pas invité à être partie prenante. Il est devenu acceptable de ne plus EN être. Chacun s’en dégage presque en catimini, mais sans trop de pudeur, content d’en sortir, mais sans entendre l’appel d’une alternative autre que son propre individualisme. Chacun le quitte sans se sentir encadré par autre chose et devient donc ainsi vulnérable et même plus ou moins consciemment, réceptif au désordre.
Le « système » qui gère la société n’inspire plus aucun respect. Que ce soit à tort ou à raison, regrettable ou non, ce sont d’autres débats. Ce qu’il faut d’abord s’admettre, c’est qu’une société ne vit pas sans un système qui la gère et des lois qu’on y respecte. Sans une large adhésion aux valeurs d’un système qui sert de référentiel pour déterminer ce qui est bien, il n’y a pas de société possible. Elle s’étiole, entre en crise et meurt. C’est la voie de la décadence.
Les principes, les valeurs les raisons de vivre qui devraient encadrer notre société et y maintenir l’ordre ne collent plus avec la réalité et l’esprit du monde actuel. Sans solidarité au soutien de l’ordre, le désordre s’installe partout. La croissance du nombre de ceux qui rejettent le système est exponentielle. Qu’on les appelle exclus ou rebelles, leur refus est le signe d’une société bien malade. Il n’est pas sûr qu’elle guérisse.
Ce Mondial me rappelle les Barbares de Cavafis. Que fera-t-on, quand on n'aura plus ce sacré ballon pour nous distraire et nous donner une bouffée de fierté, dans ce monde où il reste si peu de raisons d'en avoir et de croire ?
Pierre JC Allard
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