Les restes de l’URSS, la Russie : le grand frère ou le frère vieilli ?
A la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie, après une période hésitante, a repris sa politique étrangère agressive dès que de sommes importantes de revenu pétrolier ont commencer à irriguer l’économie du pays. Cette approche agressive visait principalement les anciennes républiques soviétiques, car ces États étaient inclus dans la « sphère d’influence » de la Russie, pour ainsi dire, et ils ne pouvaient pas être « autorisés » à se rapprocher du camp rival.
Se pose la question alors pourquoi ces pays essayent d’intégrer le « camp adverse », c’est-à-dire le bloc de l’OTAN ? Avant tout c’est l’attractivité économique des pays membres de l’Otan qui incite les dirigeants des pays ex-soviétiques de se rapprocher de manière multifactorielle, dont militaire, avec l’Occident. La Russie postsoviétique dépendante de l’économie d’exportation des matières premières, n’était pas comparable à l’intérêt représenté par l’économie occidentale, avancée, diversifiée, plus sûre, stable, prometteuse.
Malgré le fait que la plupart des anciennes républiques soviétiques sont dirigées sous un régime totalitaire par des dirigeants corrompus, ces derniers ont aussi intérêt à faire des investissements personnels et familiaux en Occident, afin de gagner plus et d’avoir plus de marge de manœuvre. Bien entendu, il ne faut pas omettre le fait que ces dirigeants ont des investissements sérieux en Russie aussi (les investissements dans l’industrie minière et dans l’hôtellerie de l’ancien président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, ceux du Président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, dans l’hôtellerie en sont 2 exemples). Ce type d’investissements des dirigeants des pays membres de la Communauté des États indépendants (CEI), formée des pays ex-soviétiques à l’initiative de la Russie après la chute de l’URSS, sont considérés comme l’un des indicateurs de la loyauté personnelle envers Vladimir Poutine.
Mais la volonté de rapprochement avec l’Occident vient aussi de la société de chacun de ces pays. Leurs peuples aspirent à la manière exemplaire dont les droits fondamentaux tels que la dignité humaine et les droits de l’homme sont garantis dans le camp occidental. Parfois cette volonté des peuples peut créer un malaise pour leurs dirigeants et systèmes autoritaires, mais les opportunités matérielles du rapprochement avec l'Occident sont trop élévées aux yeux des dirigeants corrompus des pays évoqués.
La Russie elle-même peut être citée comme exemple. Cet immense pays avait besoin d’investissements étrangers pour augmenter la production de ses ressources pétrolières et gazières, considérées comme la première ressource naturelle, et pour participer dignement au marché mondial selon sa taille. Les 70 % des investissements étrangers dans le secteur pétrolier et gazier en Russie appartiennent aux Pays-Bas, au Luxembourg, à la Grande-Bretagne, à la Chine et à d’autres pays. Apparemment, le plus grand pays du monde a ressenti le besoin d’attirer de tels investissements même d’un petit pays comme le Luxembourg.
Une raison importante des tentatives des anciennes républiques soviétiques de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie et de chercher un camp pour une politique d’équilibre est liée à la menace qui pèse sur leur indépendance. Cette menace n’a jamais été cachée. De hauts responsables de la Russie, même le président, ont qualifié à plusieurs reprises les anciennes républiques soviétiques de « semi-États », des pays qui ont pu accéder à l’indépendance grâce à la merci de la Russie. Cette rhétorique a toujours suggéré que ces États n’avaient aucune chance de survivre et d’exister si la Russie ne le voulaient pas et un jour cela pourrait être le cas. Cela signifie que la menace d’agression reste pertinente à tout moment. Dans certains cas, ils ont montré que cette agression n’est pas seulement de la rhétorique, mais une réalité. L’attaque contre la Géorgie en 2008, contre l’Ukraine en 2014 et 2022 ne sont que les exemples les plus visibles de cette agression.
Il y a aussi des exemples qui ne sont pas visibles à première vue. Par exemple, les conflits ethniques dans les anciennes républiques soviétiques, le maintien de l’armée russe dans ces pays à tout prix et sous n’importe quel nom, le placement de personnel recommandé par les dirigeants russes dans l’appareil administratif de ces États, la protection du principe "d'un seul homme qui dirige le pays", et l’interdiction effective des habitudes démocratiques…
Pour être juste, la Russie elle-même a réussi à donner l’exemple à ces États satellites en rejetant la démocratie. C’est-à-dire qu’ils ne veulent pas de la démocratie, et les autres n’en voudront pas non plus, car cette habitude insensée encourage les pays et les peuples à s’intégrer à l’Occident.
La démocratisation de la Russie était à l’ordre du jour du tandem Eltsine-Clinton dans les années 90. Puis vint le temps de Poutine et de Bush : Bush ne s’intéressait pas à la démocratisation de la Russie, il se préoccupait surtout de la lutte contre le terrorisme et considérait la Russie comme l’un des alliés importants dans ce domaine.
Les dirigeants russes pensent que la Russie est maintenant un pays qui n’est pas compétitif d’un point de vue militaire et économique, mais elle deviendra plus forte, et jusqu'à ce qu’elle devienne plus forte, les pays dans sa sphère d’influence devraient y rester. Mais il n’y a pas de plans concrets ni de prévisions quant au moment où ce processus de renforcement se réalisera. Les conclusions suivantes peuvent être tirées d’une manière générale : la Russie étendra progressivement ses frontières à mesure qu’elle annexera les pays qui l’entourent par des moyens politiques ou juridiques, à mesure que les frontières s’étendront, elle augmentera le chantage contre l’Occident et le bloc de l’OTAN, les forçant à travailler pour le développement de la Russie dans le modèle politique actuel, et la Russie deviendra enfin la superpuissance mondiale. C’est, bien sûr, une intention aventureuse, mais c’est la vérité.
La Russie avait-elle des options alternatives ?
Bien sûr que oui.
Ces discussions sur l’avenir de la Russie ont toujours été et sont toujours d’actualité. Il y a différents points de vue. Certains d’entre eux estiment que la société russe soutient l’autocratie, et même dans les sondages sociaux, près des ¾ de la population considèrent que les libertés démocratiques sont le jeu du bloc de l’OTAN, hostile à la Russie, il est donc difficile d’imaginer les perspectives de la démocratisation de la Russie. Ce sont, bien sûr, des approches pessimistes, alors mettons-les de côté.
Tout d’abord, la Russie doit adopter une ligne politique qui renonce aux idées impériales. Autrement dit, d’autres États - qu’ils soient adjacents à ses frontières ou éloignés, peu importe - qui ne sont pas à l’intérieur des frontières de la Russie devraient s’intéresser au développement de l’économie russe. La Russie a un énorme potentiel commercial. Un régime juridique strict peut ouvrir ce potentiel commercial à tous : citoyens et étrangers. Parce que les lois ne fonctionnent pas, la Russie est un pays qui souffre du crime organisé et se classe au 38e rang mondial sur ce paramètre. Elle avait l’habitude d’avoir de pires indicateurs.
Depuis le début des années 2000, la mise en place d’un système oligarchie tenace a limité les initiatives économiques intérieures en Russie. Bien sûr, nous ne pouvons pas comparer la Russie avec des pays comme l’Azerbaïdjan dans ces catégories. L’économie libre en tant que système a été détruite en Azerbaïdjan, mais la Russie est un pays avec de grandes préoccupations géopolitiques, par conséquent, la liberté de ces initiatives, même si relative, est nécessaire pour la stabilité et l’avenir à long terme de l’État. Mais les libertés relatives ne suffisent pas. Il faut renoncer aux prétentions impériales et donner à la place un bien-être élevé à la société, et pour cela, de larges libertés économiques. La Russie a étendu le capitalisme oligarchique gouverné au lieu de libertés, et le résultat est le suivant : un pourcentage important de la population, jusqu’à 30 %, vit en dessous du seuil de pauvreté ; plus de 20 000 villages sont inhabités ; plus de 100 villes et établissements de type urbain sont abandonnés et sont appelés des « villes fantômes » ; bien qu’en moyenne de 20 000 à 25 000 affaires pénales de corruption soient renvoyées devant les tribunaux chaque année, le pays est classé 139e sur 180 pays. Et bien sûr, de nombreux autres facteurs peuvent être énumérés. La Russie garantit soit les grandes entreprises, soit les entreprises basées sur « la vie ou la mort ». Cependant, cette deuxième catégorie, comme indiquée dans son nom, n’est pas sous garantie.
Le concept de politique étrangère de la Russie se base sur deux niveaux importants : pays étrangers proches et lointains. Ce n’est pas une division géographique, la Russie considère que les pays qui faisaient autrefois partie de l’Union soviétique sont des pays étrangers proches, et les autres ne sont pas inclus dans cette catégorie. La politique étrangère de la Russie vis-à-vis des pays étrangers proches est comme un prolongement de la politique intérieure. Ils pensent que toutes les républiques soviétiques restantes, à l’exception des États baltes, devraient être sous la domination sans équivoque de la Russie et que le système politique interne de ces pays devrait être une copie du système politique en Russie. Il existe des codes de conduite stricts contre les écarts par rapport à ce principe. Par exemple, comme en Géorgie et en Ukraine. S’il n’y a aucune possibilité d’intervention militaire ouverte (comme en Arménie, par exemple), alors il est nécessaire de renforcer l’opposition pro-russe par tous les moyens et de mettre fin à la pratique de l’évasion. En Russie, il est toujours considéré que les pays étrangers proches ne peuvent rester dans l’orbite de la Russie qu’au prix du maintien d’un régime coercitif et autoritaire. Cependant, il pourrait y avoir une alternative à ces vues. Si la Russie n’entravait pas la transition démocratique dans les anciennes républiques soviétiques, elle pourrait conserver sa fonction de centre très attractive pour ces pays en raison de ses riches ressources et de ses énormes opportunités de marché. La Russie n’a pas pu profiter de cette opportunité. Qu’a-t-elle obtenu à la place ? Par exemple, dans des pays comme l’Azerbaïdjan ou le Kazakhstan, où l’opinion publique signifie quelque chose, un pourcentage important de la haine des dictatures locales retombe sur la Russie. La guerre d’Ukraine a aussi montré que cette haine n’était pas sans fondement.
L’aura politique créée par la Russie autour d’elle a également été renforcée par des initiatives militaires. Il s’agit d’un projet appelé l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Il est vrai que tous les pays de la CEI ne font pas partie de ce bloc militaire. Par exemple, l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan. Cependant, bien que l’Azerbaïdjan ne soit pas membre de l’OTSC (il a officiellement quitté ce bloc militaire en 1999), il participe à des exercices militaires conjoints et respecte ses obligations telles que l’achat d’équipements et d’armes militaires à la Russie. Ce type de relation profite aux deux parties : au moins la coopération commerciale militaire apporte d’énormes profits de corruption aux élites politiques de la Russie et de l’Azerbaïdjan.
Mais la Russie a créé l’OTSC pour empêcher la coopération militaire des pays de la CEI avec l’OTAN. En fait, l’OTSC n’est pas une machine militaire comparable à l’OTAN en termes de capacités tant défensives qu’offensives. Si l’on exclut l’arsenal nucléaire, en termes d’expérience militaire moderne, l’OTSC est soit un tas de ferraille, soit une barrière de viande inefficace par rapport à l’OTAN. Or, la Russie est très puissante par rapport à ses partenaires de l’OTSC, aussi son comportement politique avec ses pays dits quasi-étrangers, parfois enrichi d’expériences de coups de poing militaires, complète les conditions d’un partenariat désastreux et sans espoir.
La Russie ne pouvait utiliser ni la CEI ni l’OTSC comme une force efficace en concurrence avec le bloc de l’OTAN. Elle avait besoin de ces institutions comme une zone tampon sûre, labourée et cultivée autour d’elle. Il serait donc naïf de ne pas s’attendre à ce que les pays inclus dans cette zone tampon créée par la Russie autour d’elle la refusent ouvertement dans les conditions les plus optimales. Vladimir Poutine a toujours cru que ces « conditions optimales » ne pouvaient pas être créées pendant sa présidence (lorsqu’elle dure). Autrement dit, comme tous les dictateurs, Vladimir Poutine calcule les perspectives de l’État qu’il dirige pour sa vie politique.
Y avait-il une alternative ? Autrement dit, la Russie pourrait-elle considérer son bloc militaire ou politique non pas pour des menaces, mais dans le but de surmonter d’éventuelles menaces, de devenir plus fort en tant qu’État, de s’enrichir en tant que pays et d’atteindre une grande prospérité en tant que société ?
Bien sûr, elle le pouvait, et pour cela elle devait être plus visionnaire. Les pays pourraient être liés non par la loyauté personnelle des dictateurs, mais par les intérêts naturels de ces pays. En reconnaissant la liberté de ces États, le droit des peuples de choisir ; en respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté de ces pays ; en renonçant à diriger les États qu’elle appelle des alliés avec des chantages basées sur des conflits ethniques de l’intérieur, des menaces politiques, etc.
Bien entendu, la logique officielle de la Russie repose sur une « mobilisation permanente contre les menaces persistantes » : « La Fédération de Russie est composée de nombreux peuples, des problèmes liés au droit de l’autodétermination de ces peuples peuvent se poser à un moment donné, et par conséquent, la Russie ne peut devenir démocratisée, une Russie démocratisée ne pourra pas restée sous forme d’un État fédéral comme aujourd’hui ». Le Moscou officiel a été effrayé par cette perspective, et il est intéressant de noter que c’est l’un des principaux arguments qui ont poussé au moins les ¾ de la société russe à rejeter la démocratie. Par conséquent, la Russie utilise parfois une rhétorique menaçante comme un retour à l’Union soviétique, parfois même la restauration de la Russie tsariste, et par cette logique la population russe sera encline à soutenir une dictature qui réfléchit à ces intentions impériales. Mais pour plusieurs raisons, il n’est pas pratique de penser de cette façon. La chose la plus importante est que s’il existe une perspective de désintégration de la Russie pour des raisons ethniques ou internes, il ne sera en aucun cas possible de l’empêcher. Deuxièmement, s’il est possible d’empêcher une perspective aussi « effrayante », cela ne peut être possible qu’en assurant la vie libre et heureuse de ces peuples, les sujets de la fédération. Quoi qu’il en soit, l’explosion est accélérée par la pression. L’agression militaire contre l’Ukraine est un échec pratique de la théorie du « presser plus », et ce n’est pas un hasard si la voiture avec la famille de Dugin, qui était engagé dans l’argumentation philosophique de cette idée, a également explosé pendant cette guerre ! Plus de pression signifie une explosion plus rapide.
Les gens intelligents de Russie ont insisté sur le fait que cette « terrible logique » est fausse et ont considéré la démocratisation du pays comme la seule voie vers l’avenir. Par exemple, l’économiste Yevgeny Yasin, qui a été le ministre de l’Économie de la Russie à l’époque d’Eltsine, estime que toutes ces prévisions désastreuses sont une menace de la bureaucratie qui est devenue l’élite des affaires même. « En Russie, le moyen d’empêcher l’arbitraire de la bureaucratie et de l’élite des affaires d’être exposé, et de renforcer les mécanismes de contrôle public et d’autorégulation, ne passe que par la démocratie, et la Russie doit se sauver de la perspective d’éviter la démocratie à tout prix. »
Ce qui menace l’avenir de la Russie n’est pas la démocratie, mais l’absence de celle-ci.
Une Russie différente pourrait-elle être plus attractive pour les pays post-soviétiques ? Par exemple, pour l’Azerbaïdjan, c’était tout à fait possible. La Russie est un immense marché, une société acceptée plus confortablement par toutes les anciennes nations soviétiques, c’est un pays pour de projets de coopération sans passer par des processus d’intégration particuliers.
Il y a des lignes rouges pour tous les états et nations. Il s’agit de l’intégrité territoriale, de la garantie de la souveraineté, du respect des raisons d’être de l’État, d’une approche compréhensive des de la dignité de la société, etc. Des blocs politiques ou militaires sont établis et perdurent à condition que ces conditions soient respectées. Toutes les alliances établies ou rompues sans ces conditions sont fausses, elles s’effondrent à la première occasion, et le pire est que non seulement l’État qui a établi cette fausse alliance, mais aussi les États qui y ont été impliqués de force, perdent leur temps et il doivent recommencer l’histoire.
Dans l’espace post-soviétique, seuls trois États ont pu échapper à cette catastrophe historique du vide : La Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. Tous les autres pays ont perdu la période entre l’effondrement de l’URSS et aujourd’hui, et se sont reculés dans le temps.
Ganimat Zahid,
Ecrivain, journaliste dissident azerbaidjanais en exil
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