Lettre à un pays qui s’éffrite
Mon Yémen,
Tout le monde s’en fout de toi. 25 ans que je suis là, que j’essaye de parler de toi, mais personne ne sait ce que tu es et où tu es.
En ce moment, c’est bien pire que ça. Parfois on entend ton nom, mais il a beaucoup moins d’importance que ta pote, la Syrie. Je sais pas moi, on pourrait quand même se renseigner, taper ton nom dans google suivi de « wiki » ou de « map » et te découvrir un peu. T’étais puissant autrefois : t’étais Heureux comme on dit.
Moi je t’ai découvert, moi je t’ai vu. Plusieurs fois même. Tu me fais un peu penser au petit con du fond de la classe que personne supporte parce qu’il est un peu lourd et qu’il est nul, mais que si on pouvait voir dans le futur, on verrait un génie du rap ou un inventeur audacieux.
Quand on apprend ce que t’es, on t’associe direct à « kalashnikov », « al-qaïda », et « femme soumise et voilée ». T’es même devenu un sujet stylé des sites politique pour jeun’s.
On te place pas trop dans les conversations parce qu’on sait que ça fera pas l’unanimité.
Avant tout ce qui t’arrives, j’allais te voir tout les ans, en vacances. En même temps, la vie de mon père se trouve chez toi. Et, c’est pas que pour cette raison, mais bizarrement, tu possèdes les gens, les paysages et les traditions les plus chelous et les plus uniques que j’ai vu. Et j’en ai vu du pays grâce à ta compagnie aérienne, la Yemenia (t’avais un peu plus de pouvoir à cette époque : t’avais des avions où les portes se fermaient avec des cordes, mais au moins, ils pouvaient nous emmener jusqu’en Malaisie et en Afrique du Sud).
Chez toi, tout le monde dit que t’es hors du monde. Et c’est vrai : tout le monde s’en balance des règles et des lois. C’était si bon de vivre chez toi, de se balader dans des villes de sable où les gens sont gentils sans arrière-pensée, où ils te sourient spontanément avec des dents vertes pleines de qat et des foutah aux traces suspectes et où si tu doubles pas sur la gauche, t’es pas normal. C’était si jouissif de sentir d’une rue à l’autre le bakhour du quartier des barbiers et l’odeur des poubelles-khodaffas laissées en pile entre deux 4×4. Tu possédais les poissons les plus délicieux que j’ai mangé, les montagnes les plus royales qu’on puisse trouver et les colliers d’or les plus somptueux des marchés publics. Tout était si facile chez toi : quand on s’asseyait sur tes sièges en plastiques cassées sur un parking, qu’on voulait un jus multifruit fait-maison d’un boui-boui, et cuire notre poisson à la façon d’un autre, il fallait juste demander ! Quand on voulait aller vers un lieu en taxi et que c’était sur la route d’un de tes chauffeurs, pas de problèmes, on payait même pas, c’était normal ! La facilité est un vieux souvenir en France aujourd’hui…
En seize ans, j’ai jamais croisé un touriste chez toi. T’étais notre paradis à nous : rempli de gentillesse, de douceur, de beaucoup d’humidité et surtout de folie.
C’est surement ta folie qui t’a amené dans l’état dans lequel tu es. T’étais tellement fou de liberté, mon petit Yémen. T’as laissé un gros connard volé tes trésors pendant de nombreuses années et des fous réduire à néant la beauté pure et primaire de ta religion. À force de bonté et d’honnêteté, tu t’es laissé faire, tu t’es fait marché sur les pieds par tes voisins puissants et riches. Mais tu possèdes tellement mieux qu’eux ! C’est enrageant de t’avoir vu faiblir pour être devenu aujourd’hui l’esclave généreux et impuissant de deux rois avides et ingrats.
Alors moi, j’ai foi en toi. J’ai foi en ta beauté, en ta force, à la singularité de ta culture et de ta terre. J’ai espoir que tout se finisse un jour. Je suis triste de t’écrire du pays d’où provient les armes qui te tirent des balles dans le pied, mais je te regarde, tout les jours, tout le temps, je veille sur tout. De tes ruines vont renaître le futur Al-Jannah rempli de gens heureux, fière et forts, de fruits connus que chez toi et de miel reconnu dans le tout le monde. J’espère qu’un jour, des milliers de touristes allemands en sandalettes sortiront de gros bateaux Costa Croisière, se baladeront dans tes beaux marchés et sur tes belles plages, et rentreront chez eux fièrement en disant « J’ai vu le Yémen ».
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