Liban, Syrie, Israël, Hamas : vers une décrispation régionale ?
L’actualité proche-orientale est riche depuis quelques semaines. De l’accord inter-libanais de Doha conclu le 21 mai à la trêve dans la bande de Gaza depuis le jeudi 19 juin, en passant par l’annonce de négociations israélo-syriennes sous médiation turque le 21 juin, on assiste à une décrispation régionale. Sera-t-elle durable ? Rien n’est moins sûr.

La première chose que l’on peut dire, c’est que ce mouvement de décrispation semble s’inscrire dans un processus en chaîne. Après l’apaisement au Liban, la Syrie, n’a pu rester hors-jeu et a répondu favorablement à la proposition turque de mener une médiation israélo-syrienne. Dans le même temps, le Hamas a senti le vent tourné et a accepté une trêve dans la bande de Gaza, tout comme Israël, qui a bien compris que sa stratégie d’étouffement du territoire était un échec complet.
Deuxième point à souligner, ce mouvement de décrispation est également intéressant en cela qu’il n’est pas animé par des puissances médiatrices traditionnelles (Etats-Unis, Nations unies, Union européenne), mais par deux pays de la région, le Qatar et la Turquie, reconnus pour leurs capacités à dialoguer avec les deux camps.
Ce mouvement de décrispation régionale sera-t-il durable ? Il est encore difficile d’y répondre d’autant plus qu’il faut prendre en compte l’orientation que prendra l’Iran. Mais on peut déjà tirer quelques enseignements de l’accord inter-libanais de Doha, de la reprise des négociations israélo-syrienne et de la trêve dans la bande de Gaza.
L’accord inter-libanais de Doha : une solution de court terme
Après l’offensive paramilitaire du Hezbollah en mai 2008 sur fond de crise institutionnelle liée à la vacance de la fonction présidentielle, la majorité gouvernementale et l’opposition, principalement conduite par le Hezbollah, ont conclu le 18 mai dernier à Doha un accord après des mois d’impasse politique. Que prévoyait l’accord ? D’abord l’élection de Michel Sleimane comme président de la République, décision entérinée quelques jours plus tard. L’opposition bloquait jusque-là le scrutin non pas en raison de son opposition au candidat, mais pour marquer son désaccord quant à la répartition des sièges au sein de l’exécutif. Le Liban, pays des communautés et de son corollaire institutionnel et politique, le consociativisme, ne peut fonctionner selon la règle du fait majoritaire. Trois options s’offrent alors en cas de désaccord : le statu quoi, la violence ou le consensus. Après des mois de statu quo suivis de quelques jours de violence marquée par l’épreuve de force intercommunautaire, le Liban a finalement choisi le consensus. Contrepartie à l’élection de Michel Sleimane, la majorité a dû consentir à ce que le Hezbollah dispose d’une minorité de blocage au sein du gouvernement. C’est le deuxième point de l’accord.
Quels bilans immédiats peut-on tirer de l’accord inter-libanais ?
Premier point, par sa structure multicommunautaire, le Liban reste un pays profondément instable et ce malgré l’accord de Doha. Malheureusement, le consensus est souvent précédé d’une épreuve de force durant laquelle chacun cherche à rétablir un rapport de force qui lui est favorable pour ensuite entamer des négociations. Si chaque camp s’est abstenu durant ces quelques jours d’affrontements de ne pas franchir certaines lignes rouges, le spectre de la guerre civile a quand même hanté les Libanais.
Deuxième point, le Hezbollah est le grand bénéficiaire de l’accord. Les quelques jours d’affrontements lui ont permis de se renforcer face à la majorité (Courant du futur du sunnite Saad Hariri et Parti socialiste progressiste du druze Walid Joumblatt). Conséquence, il a pu ensuite peser sur les négociations pour monnayer le déblocage institutionnel à l’obtention de ce qui ressemble bien à un droit de veto. Le Hezbollah a donc gagné politiquement, mais il a aussi conservé sa marge de manœuvre militaire puisque l’accord n’aborde pas la question de son désarmement. Signalons également que le contexte international a été défavorable au gouvernement puisque ni l’Egypte ni l’Arabie saoudite n’ont cherché à l’aider dans la crise qui l’opposait au Hezbollah.
Troisième point, l’accord n’écarte pas la perspective d’une nouvelle impasse politique potentiellement violente. Au jour où est publié ce post, des divisions sur l’attribution des portefeuilles ministériels empêchaient toujours la formation d’un gouvernement. A moyen terme, la minorité de blocage dont dispose le Hezbollah laisse prévoir des bras de fer au sein du gouvernement, d’autant plus que l’accord ne dépasse pas l’échéance des élections législatives du printemps 2009. Il est d’ailleurs assez prévisible que le parti chiite, sorti vainqueur de la crise de mai, voudra à l’avenir imposer sa vision plutôt que de chercher un consensus avec la majorité lorsque devra être pris des décisions gouvernementales.
L’accord de Doha s’avère donc relativement précaire aussi bien en raison de son contenu que du nouveau rapport de force favorable au Hezbollah. Si l’hypothèse d’une reprise des violences d’ici les élections législatives de 2009 est faible, beaucoup d’incertitudes demeurent à plus long terme. L’évolution des négociations israélo-syriennes aura sans doute une influence déterminante sur l’avenir de la vie politique libanaise.
La reprise des négociations israélo-syriennes : quelle crédibilité ?
Après le Liban, une annonce positive est venue de Turquie. Après plusieurs informations allant dans ce sens, la reprise des négociations israélo-syriennes a été annoncée le 21 mai dernier au terme de plusieurs mois de pourparlers secrets conduits par Ankara. Les deux pays n’avaient pas dialogué depuis l’échec des précédentes négociations en 2000. Le soutien syrien au Hezbollah durant la guerre israélo-libanaise de l’été 2006 n’avait pas encouragé à la détente. Plus récemment, le raid aérien israélien contre des installations syriennes potentiellement nucléaires avait fait craindre un durcissement de l’Iran, visée symboliquement par cette opération.
Étrangement, les commentateurs n’ont pas véritablement cherché à relier l’annonce d’une relance des négociations à l’accord de Doha conclu quelques jours plus tôt entre les forces politiques libanaises. Or, on ne peut concevoir que ces deux événements soient isolés. Deux scénarios sont à mon avis possibles. Dans un premier scénario, la Syrie veut redorer son image en adoptant une posture plus conciliante un peu comme la Libye l’a fait à partir de 2003. Damas pousse alors le Hezbollah à trouver une sortie de crise et accepte de reconnaître officiellement qu’il négocie avec Israël. Ce volontarisme syrien est tout à fait plausible. Dans un second scénario, la Syrie prend acte des évolutions au Liban et fait le choix de se rattacher à ce mouvement de décrispation en rendant public l’existence de pourparlers avec Israël. Dans le même temps, ces annonces lui permettent de voiler les travaux de la commission d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri. Ce choix purement réaliste est tout aussi plausible que le premier.
L’objectif affiché par Israël et la Syrie est d’obtenir un accord global de paix. Or, l’enjeu de la relance des négociations israélo-syriennes est de taille : le retour du plateau du Golan sous souveraineté syrienne, la fin du soutien syrien au Hezbollah et au Hamas et le renoncement à son alliance avec l’Iran. S’y ajoute des questions secondaires, mais qui mobiliseront intensément l’activité diplomatique : la délimitation des frontières, un calendrier de retrait israélien (implantations et forces militaires) et des mesures réciproques de sécurité.
Il est évident qu’Israël n’échangera pas le plateau du Golan si certaines exigences sécuritaires ne sont pas remplies. Ce territoire conquis lors de la guerre des Six-Jours (juin 1967) est d’un intérêt énorme pour l’Etat hébreu. Au niveau stratégique, ses hauteurs permettent de dominer la région : à l’ouest toute la Galilée qui, avant 1967, était sous le feu de l’artillerie syrienne ; à l’est, Damas, qui est a porté des canons israéliens. Au niveau géographique, le Golan est riche en nappes phréatiques et cours d’eau alors que l’enjeu du contrôle de l’or bleu est considéré comme un intérêt vital par Israël. L’enjeu économique de con côté (l’essentiel de l’activité de Golan est tournée vers l’agriculture et le tourisme) reste secondaire. Comme le rappelle l’économiste Jacques Bendelac, "l’importance économique du Golan pour Israël peut se résumer en un chiffre : 0,5 %. C’est la contribution du Golan au PIB israélien, soit un peu moins d’un milliard de dollars par an. Autrement dit, la restitution du Golan à la Syrie dans le cadre d’un traité de paix serait loin d’entraîner des conséquences vitales pour l’économie israélienne".
Plusieurs interrogations demeurent :
La médiation turque est-elle crédible ? Ce qui est sûr, c’est que la Turquie ne se serait pas lancée dans cette médiation sans volonté de parvenir à la paix entre Israël et la Syrie. Ankara ambitionne de devenir une puissance régionale stabilisatrice et ne peut donc conduire sa diplomatie sur des incertitudes. Elle va pouvoir s’appuyer sur l’existence de relations privilégiées aussi bien avec la Syrie qu’avec Israël.
Quelle marge de manœuvre pour la Syrie ? La grande inconnue viendra de l’Iran. Difficile en effet pour Damas de s’extirper de la sorte de la puissance chiite. Une déstabilisation sérieuse du Liban ou une reprise de l’affrontement en Israël et le Hezbollah suffirait très certainement à mettre fin (provisoirement ou non) aux négociations israélo-syriennes.
Israël veut-il une solution négociée ? Là aussi, les incertitudes sont fortes. D’un côté, les responsables politiques et militaires israéliens savent très bien qu’une décrispation globale est une nécessité pour renforcer la sécurité d’Israël dans l’optique d’un traité de paix. Mais de l’autre, l’intérêt stratégique, mais aussi et surtout politique (en Israël, l’opinion publique peut défaire un gouvernement) du plateau du Golan font que beaucoup d’Israéliens préfèrent se résigner à une situation de « ni paix ni guerre », pour reprendre une expression de Frédéric Encel et François Thual (Géopolitique d’Israël, 2004).
La seule chose que l’on peut souhaiter, c’est qu’Israël et l’Égypte aient le courage de Menahem Begin et Anouar el-Sadate, qui firent la paix en 1979 dans le cadre des Accords de Camp David (1978). Depuis, Israël et l’Egypte ne se sont plus fait la guerre. Exemple à suivre.
La trêve dans la bande de Gaza mis à mal
Avec les tirs de roquettes palestiniennes du mardi 24 juin, l’actualité récente chamboule quelque peu nos espoirs. Après plusieurs mois de violence basée sur le couple tirs de roquettes / blocus et ripostes israéliennes, la médiation égyptienne est parvenue la semaine dernière à faire cesser les hostilités dans la bande de Gaza. La trêve a donc débuté jeudi 19 au matin... mais pour une courte durée : malgré la réouverture des points de passage dimanche 22 juin, trois roquettes ont été tirées dans la soirée du mardi 24 juin.
Revendiqués par le Djihad islamique, ces tirs ont touché le territoire israélien et fait deux blessés légers. En réaction, Israël a décidé de fermer les points de passage avec la bande de Gaza. Le Djihad islamique présente ces tirs comme une riposte après la mort de deux membres des Brigades Al-Qods, la branche armée du mouvement, le même jour au cours d’un accrochage avec Tsahal à Naplouse. La situation née de ces tirs est complexe puisque c’est le Djihad islamique basé à Gaza qui les revendique et non le Hamas. Dès lors, peut-on vraiment considérer qu’il y a violation de la trêve ? Clairement oui, simplement parce que le Djihad islamique a signé la trêve au même titre que le Hamas. Au regard des engagements, il y a donc bien violation de la trêve, même si le Hamas a réaffirmé son engagement de la respecter.
Voilà pour les faits. Si l’on considère que la trêve va se réimposer dans les jours à venir, tout reste encore à faire. Du côté d’Israël, l’objectif semble être la libération du soldat Guilad Shalid, détenu depuis juin 2006, et l’arrêt définitif des tirs de roquettes sur les localités israéliennes proches de la bande de Gaza. Du côté du Hamas, c’est l’ouverture de la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza au point de passage de Rafah et la fin d’un blocus qui n’a fait qu’aggraver les conditions économiques et sociales du territoire palestinien.
La trêve a-t-elle une chance de déboucher sur un processus politique ?
On peut être pessimiste. Si une trêve ne peut tenir au moins une semaine, elle aura beaucoup de difficultés à tenir six mois. Encore faudrait-il que s’engage dans le même temps une négociation politique. Or, rien de tel pour le moment.
Du côté d’Israël, le choix de la trêve est surtout une solution conjoncturelle transitoire qui est la conséquence de l’échec des stratégies de lutte contre le Hamas : lutte par la consécration du Fatah d’abord, mis à mal par la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en juin 2007 et son renforcement progressif ; lutte par l’étouffement économique du territoire ensuite, qui a eu l’effet contraire de mobiliser la population autour du Hamas.
Au niveau du Hamas, l’actualité récente montre que le mouvement a bien du mal à contrôler la bande de Gaza, laissant la voie ouverte aux provocations désastreuses d’autres organisations telles que le Djihad. Prenons la situation où, à terme, le Hamas irait vers un processus de reconnaissance d’Israël. Un officier français bien au fait du conflit israélo-palestinien me confiait récemment la crainte au sein de Tsahal que le Djihad islamique prenne le rôle qu’avait le Hamas lorsque l’OLP a reconnu Israël en 1993. Ce renouvellement de l’opposition palestinienne à l’Etat d’Israël constitue selon moi un des plus gros obstacles à la paix.
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