Libye : la « doctrine Obama » mise à jour
Pour Kenneth Weinstein, Barack Obama est guidé par une nouvelle vision de la politique étrangère américaine, qui éclipse les réalités internationales.
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Le Printemps arabe a dévoilé quelques faiblesses de la politique étrangère menée par l’administration Obama. Incapable de comprendre le monde arabe au-delà du conflit israelopalestinien, le Chef des armées a manqué du leadership nécessaire devant des circonstances exceptionnelles ; il n’a pas su expliquer – ou a refusé de voir – les raisons et les impératifs qui se présentaient aux Etats-Unis. Ainsi est-il le premier responsable de la reculade américaine, alors que le peuple libyen se soulevait pour réclamer sa Liberté.
Initiée par Barack Obama, la nouvelle prise de position internationale des Etats-Unis a créé de facto un vide qui ne peut être comblé. Du fait de la retenue américaine, l’intervention aérienne en Libye s’éternise et le renversement de Kadhafi repose désormais sur l’action d’une coalition exsangue. Par exemple, l’Italie a retiré son porte-avions Garibaldi, afin d’économiser 80 millions d’euros. Aussi, les pays européens achètent aux Etats-Unis leurs munitions… mais l’Amérique en assure la logistique.
La doctrine Obama en question
Ces limites pourtant prévisibles apportent une réponse aux discussions entourant l’existence – ou l’absence – d’une « doctrine Obama. » Cette idée même était controversée : certains voient avant tout de la naïveté ou de l’hésitation dans l’action du Président – comment pourrait-elle alors constituer une doctrine ? Cependant, comme l’ont souligné mes collègues Doug Feith et Seth Cropsey dans un essai remarquable pour la revue Commentary, « 44th » développe bien une doctrine nouvelle. Il sait parfaitement où il souhaite aller.
Ils commencent par faire remarquer l’intention première du Président : « depuis sa campagne en 2007 et 2008, Barack Obama a déclaré qu’il souhaitait transformer le rôle de l’Amérique dans les affaires internationales ». Il serait sur le point d’aboutir à une telle transformation, en instaurant les précédents essentiels pour éclipser la témérité et l’indépendance, qui s’avèrent être les caractéristiques de la politique étrangère américaine depuis la seconde guerre mondiale. Les organisations internationales apparaissent, de proche en proche, comme le frein le plus efficace aux impératifs de l’Amérique, notamment l’ONU – bien que cette institution regroupe de nombreux régimes qui ne sont en rien démocrates. Les prémisses de l’intervention libyenne ont témoigné de façon cinglante les revers de ce choix, qui a pour effet premier de ralentir une action qui se devait d’être rapide.
Non sans humour, Feith et Cropsey font remarquer qu’ : « alors que l’approche américaine pour contrer la menace soviétique avait été baptisée « doctrine du containment »[1], la doctrine Obama pourra être connue comme la « doctrine du self-containment (…) ou la doctrine du constrainment [de la contrainte] » !
En effet, c’est exactement ce dont il s’agit, comme en témoigne le récent discours du Président :
« En Libye, nous avons fait exactement ce que j’avais dit que nous ferions. Nous n’avons pas de soldats au sol (…), il n’y a pas eu une seule mort américaine. Il n’y a aucun risque d’escalade supplémentaire. Cette opération est limitée dans le temps et dans ses objectifs ».
L’avenir de Kadhafi
Maintenant, une question plus dramatique encore se pose : et si Kadhafi parvenait à rester au pouvoir ? Il est primordial de s’interroger sur cette éventualité, afin d’en percevoir les implications immédiates pour l’Occident. Notamment, alors que le Président espère avoir évité l’escalade, Gary Schmitt, de l’American Enterprise Institute, relayait récemment les probabilités de liens entre Kadhafi et Al-Qaeda au Maghreb. Le despote de Tripoli pourrait en effet armer des groupes terroristes afin de riposter contre les pays impliqués dans l’intervention libyenne. Kadhafi a d’ailleurs menacé de le faire, devant une foule rassemblée dans le centre de la capitale. Nul doute qu’il n’hésitera pas le moins du monde si l’occasion se présente de nouveau à lui.
Le Président devrait faire preuve de réalisme. Heureusement, il a su, de temps à autres, en faire preuve, par exemple dans les relations difficiles qui nouent les Etats-Unis au Pakistan, par ses frappes de drones ou le raid contre Oussama Ben Laden. Mais il conviendrait de ne pas suivre la pente dangereuse d’un multilatéralisme onusien qui se lie les mains, en oubliant que la force, qui peut être utilisée pour faire le bien, est une composante essentielle de l’échiquier international. Son approche s’apparente bien souvent à une vaine tentative de refaçonner la réalité.
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[1] Ou doctrine de l’endiguement, initiée par Harry Truman, qui fut la doctrine américaine afin de contrer la menace soviétique : « Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d’asservissement (…). Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin (…). Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier. (…) de maintenir la liberté des États du monde et à les protéger de l’avancée communiste. » (Truman au Congrès, en mars 1947)
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*Kenneth R. Weinstein est Président et CEO de l’Hudson Institute. Ses articles ont été publiés dans de nombreuses revues : The New Republic, The Wall Street Journal ou encore Le Figaro ou le Bungei-Shunju (Japon). Francophile, il est Chevalier dans l’ordre des arts et des lettres. Il a été élève d’Allan Bloom à l’Université de Chicago, étudiant à Sciences Po’ (DEA d’études soviétiques) puis diplômé d’un PhD à Harvard, réalisé sur Pierre Bayle, un philosophe français du XVIIème siècle. Il tient un blog, Vue de Washington, pour Le Monde.fr.
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