Locode, regards sur un autre état des lieux du Monde
Dans un monde désormais informatisé, il existe quantité de normes, de règles officielles propres à cet univers. Parmi celles-ci on trouve une base de données des villes du monde, la base "Locode". Produite par la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Europe (UNECE), un organisme placé sous l’autorité directe de l’ONU, cette base de données n’a pour seul propos que d’attribuer un code informatique à chaque ville qu’elle recense.
Le but poursuivi n’est pas de "coder le Monde", mais seulement d’aider aux échanges d’information entre systèmes informatiques. Que votre programme tourne à Bangkok, Dubaï ou Compiègne, la donnée Locode est une et universelle. Son utilité n’est par conséquent contestée par personne, bien au contraire. Elle est utilisée par nombre d’organismes officiels, comme par exemple l’Office Statistique de l’Union Européenne (EUROSTAT) ou bien l’Union Postale Universelle (UPU), sans compter le monde des entreprises, privées comme publiques. Avec un pareil patronage et une finalité somme toute anodine, tout un chacun pourrait croire qu’il n’y a là rien à redire quant au travail réalisé.
Hélas, nous devons bien constater que les villes du monde ne sont pas égales entre elles, même lorsqu’il s’agit de leur attribuer un banal code informatique. La dernière base de données Locode mise à la disposition du public contient 54 444 lieux. Comme on peut s’y attendre, la répartition par pays est très inégale, puisque 80% des lieux se concentrent dans 10% des pays. 22% des lieux de la base sont des villes situées aux USA, soit autant que dans l’ensemble des 221 pays les moins représentés. Autre conséquence du but dans lequel cette table a été construite, le nombre de villes d’un même pays ayant un "Locode" est souvent le reflet de la richesse dudit pays. Un pays au riche PIB est souvent un pays riche en Locode, et inversement.
Mais cette tendance est elle-même élastique, déviée de sa route théorique par les échanges commerciaux en sortie ou en provenance des USA. Les pays d’Amérique Latine ou Centrale sont dans le haut de ce classement, ainsi que le Canada et l’Australie. On trouve par contre beaucoup moins de Locode en Afrique, qui n’ont ni un PIB conséquent, ni de gros volumes d’échanges commerciaux avec les Etats-Unis. D’ailleurs le pays d’Afrique au plus fort PIB est aussi celui qui a le plus de codes dans cette base. Et comme toute règle ne serait pas vraiment juste sans son exception, la base Locode ne déroge pas à ce principe : on trouve ainsi plus de 400 lieux de codés pour la Papouasie Nouvelle Guinée, dont on peut légitimement se poser la question de savoir pour quel usage. Une construction parfois étrange Voyons maintenant comment sont construits ces codes. Un Locode est une combinaison de 5 lettres : Les deux premières lettres correspondent au code du pays, et les 3 dernières sont constituées à partir du nom de la ville. Ainsi déterminé, le code est attribué selon la règle du "premier arrivé, premier servi". Paris a pour code FRPAR, Londres GBLON, Milan ITMIL...
On remarque tout de suite qu’il est d’usage de voir soit les trois premières lettres de la ville dans le code, soit une combinaison de 3 lettres qui permet de deviner la ville à partir du code. JPTYO est facilement identifiable, de même que PTLIS. Mais LRMLW l’est déjà moins. Comme mathématiquement parlant il y a 17 576 manières d’arranger 3 lettres entres elles, on a du mal à comprendre pourquoi, dans les pays pour lesquels un seul lieu est enregistré, le code attribué n’est pas celui attendu. Il est pourtant possible de codifier plusieurs centaines de villes avant de devoir déroger à la règle de mettre au moins un caractère du nom de la ville dans le code.
Par un étrange hasard, les pays à faible PIB ou ceux réputés "exotiques" - souvent les mêmes par ailleurs - sont les plus touchés par ces entorses à la règle générale. Considérons comme correct tout locode dont au moins une lettre compose le nom de la ville. Si l’on excepte les Etats-Unis dont nous verrons plus loin en quoi c’est un cas particulier, les 40 premiers pays de la base ont en moyenne 90% des codes qui répondent à ce critère. Autrement dit 9 fois sur 10, le code est constitué avec au moins une lettre de la ville dont il est issu. A l’autre bout de la liste, pour les 40 pays ayant le moins de codes, la moyenne tombe à 80%, ce qui est un constat pour le moins surprenant. La palme revient à l’Angola, où l’on dénombre 7 villes de codées sans aucune lettre en commun avec leur nom. En France 10 villes sont dans ce cas, soit 3 de plus. Mais là où l’Angola a 55 villes dans la base, la France en compte 5 405. Voyez aussi la Guinée Bissau - dont le code du pays est GW - et sa capitale Bissau. Vous pensiez trouver un code comme GWBIS ? Détrompez-vous, le code est GWOXB. Ce n’est tout de même pas par manque de lettres disponibles, car il n’y a que 4 villes de Guinée Bissau à être référencées dans cette table. Restons du coté des capitales.
Dans la "vieille Europe", les codes sont tels que nous pourrions les imaginer : ESMAD, DEBER, BEBRU, ... Voyons l’Afrique Noire maintenant : Au Togo, Lomé a pour code TGLFW ; au Bénin Cotonou a pour code BJCOO ; Dakar s’est vu attribué SNDKR comme Locode, et Kinshasa CDFIH. D’autres parties de l’Afrique ne sont pas dans ce cas - notamment les pays du Maghreb - mais cela reste l’exception. En proportion du nombre total de villes qui ont un Locode en Afrique, on ne peut qu’être dubitatif sur les raisons qui ont conduit l’ONU à donner de tels codes. L’exception américaine Les Etats-Unis ne sont pas le pays du monde le plus important en terme de nombre de villes. Il est donc surprenant au premier abord de le trouver en tête de cette liste. On s’attendrait plutôt à voir l’Inde, la Chine, ou même la France, elle qui possède plus de communes que l’ensemble du reste de l’Europe. L’explication est que cette table Locode est principalement utilisée par les entreprises américaines. Il n’y a là-dessous rien de blâmable ou de répréhensible. Mais victime de son succès, l’ONU est maintenant aux prises avec des difficultés d’ordre mathématique. Il y a dans la liste 2006-2, 11 890 lieux pour les USA. Comme il n’y a que 17 576 permutations possibles des 3 dernières lettres du code, on approche de la fin de toute combinaison possible.
Mais plus encore, il faut maintenant attribuer de manière quasi systématique un code dont les lettres n’ont plus rien à voir avec la ville à codifier. L’ONU a donc décidé de recourir aux nombres pour les 646 dernières créations de villes américaines. Si d’un point de vue uniquement technique cela ne pose pas de problèmes, il y en a tout de même d’ordre déontologique, pour ne pas dire idéologique. Si l’ONU s’autorise à donner des codes qui n’ont rien à voir avec les noms des villes alors que rien d’inéluctable ne l’y pousse, pourquoi ne continue t-elle pas d’attribuer les codes encore restants aux villes des Etats-Unis qu’elle ajoute à la table ? Cette question est d’autant plus pertinente que dans son manuel, l’ONU précise bien que l’utilisation de chiffres ne se fera qu’après épuisement de toutes les combinaisons possibles. La réponse est vite trouvée : Le Locode américain retrouve subitement de sa dignité, avec au passage au moins un caractère rappelant celui de la ville. Informatique ou géopolitique ? Faut-il en déduire pour autant que la création d’un locode est plus ou moins contrôlée par les Etats-Unis ? En Iran - un pays de "l’axe du Mal" selon l’expression de George W. Bush - 94 lieux sont dans la base de données. Le taux de lieux "correctement" codés est de 73%, alors que la moyenne pour les pays ayant entre 80 et 120 lieux de codés est de 88%. L’Islande qui est dans ce groupe voit même tous ses lieux sans exception codés avec au moins un caractère du nom de sa ville. Coïncidence ou pas, les deux autres pays à être comme l’Iran inférieurs à la moyenne attendue sont le Pakistan et le Vénézuéla. Sans pour autant imaginer une hypothétique théorie du complot, on peut se demander parfois si le code n’est pas écorché par pure représailles : Tripoli a pour code LBKYE, et Pyongyang, KPFNJ.
Ajoutons encore qu’aucune capitale d’un pays réputé "ami" des Etats-Unis ne peut se prévaloir d’un pareil traitement. Intéressant aussi est le cas de Jérusalem : cette ville n’a tout simplement pas de code. En effet, en donner un serait décider du même coup du pays auquel elle appartient. La ville sainte est plus qu’apatride, elle est inexistante. Des changements à géographie variable On lit l’Histoire en parcourant la longue litanie des lieux recensés par l’ONU. La dernière version tient déjà compte de la récente sécession de la Serbie et du Monténégro, ce qui démontre - s’il en était besoin - que l’actualité géopolitique est bien suivie par les personnes en charge de la mise à jour de la base de données. Vous vous souvenez aussi sans doute qu’en 1997, le Zaïre est devenu la République Démocratique du Congo. Le code de ce pays est alors passé de ZR à CD. La même année, Hong-Kong a été rétrocédé à la Chine. Mais contrairement à ce qui s’est passé en Afrique, le code du pays est resté HK. Faut-il y voir un moyen subtil de contester cette rétrocession ? La tendance générale serait pourtant au conservatisme, du moins lorsque seul le nom de la ville change : Au Viet-Nam, Ho Chi Minh ville - anciennement Saïgon - a conservé le code VNSGN, Saint-Pétersbourg le code RULED donné initialement à Léningrad, et Mumbaï INBOM, comme du temps où la ville s’appelait Bombay. Que penser alors, en voyant ce qui s’apparente à des incohérences au mieux, des partis-pris au pire ?
De toutes les organisations qui régulent notre Monde, l’ONU est l’un des plus importants, et plus encore, se présente aux yeux de tous comme le garant des principes fondamentaux de notre civilisation. Mais pour cette table Locode - dont nous rappelons ici que l’ONU en possède le plein contrôle - aucune règle d’égalité entre les pays ne semble exister. Un peu comme si quelque invisible lobby distinguait ceux qui ont droit à un code dans les règles de l’art, et les autres. Chaque ville devrait pourtant être traitée à l’identique, quelle que soit sa position sur le globe. Le fait qu’il s’agisse au final d’une simple combinaison de lettres ne doit rien retirer à ce principe.
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