Manifestations de masse en Corée du Sud
Les Coréens donnent une leçon de démocratie à leur président.
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Les Français connaissent peu la Corée. Enfin si, ils entendent régulièrement parler de la Corée du Nord, de son dictateur mégalomane cinéphile fou, de son arsenal nucléaire, de ses famines et de ses réfugiés qui tentent de passer vers le monde libre via la Chine, et ainsi de suite, mais pour ce qui est de la Corée du Sud, c’est une autre histoire, sauf peut-être pendant la Coupe du monde de football… triste souvenir footbalistique, pour nous Français.
C’est dommage. Car elle gagne à être connue.
La preuve ; mardi 10 juin, ont eu lieu les plus grandes manifestations depuis 1987 : 400 000 voire 700 000 personnes selon les organisateurs, 80 000 selon la police (ces estimations me feront toujours rire) - donc si on fait la moyenne : mimimum de 200 000 - rien qu’à Séoul, et environ un million au niveau national.
Mais qu’est-ce qui peut bien motiver les Coréens à sortir manifester en masse de cette manière ?
Tout commença un beau jour de printemps (avril 2008) où Lee Myung-Bak, le président Sud-Coréen fraîchement élu en décembre de l’année dernière, effectua sa première visite de chef d’Etat aux Etats-Unis de George W. Bush, à Camp David s’il vous plaît, afin de renforcer les liens entre les deux pays, de discuter du problème de la Corée du Nord et d’un accord de libre échange en cours de négociations (bien sûr, comme tout le monde le sait, le véritable but de cette visite est d’être pris en photo avec le président étatsunien dans sa jolie petite voiture de golf blanche, comme tant d’autres estimables invités avant lui).
Cette rencontre eut pour résultat de conforter les deux hommes dans leur volonté d’adopter une ligne dure envers la Corée du Nord, et également de lever l’embargo sur l’importation de viande américaine imposée par la Corée en décembre 2003 suite à des soucis concernant des cas de vache folle, la fameuse encéphalopathie spongiforme bovine.
Que les craintes concernant la viande américaine aient été fondées ou non n’est peut-être pas si important, car souvent lorsqu’un embargo sur des produits alimentaires est mis en place les motivations politiques ne sont jamais très loin derrière.
Le gouvernement de l’époque, dont le président Roh Mu-hyun était avocat défenseur des droits de l’homme avant de se lancer dans la politique, avait adopté un ligne plus indépendante de celle des Etats-Unis, essayant d’affirmer une plus grande autonomie et continuant la politique d’ouverture nord-coréenne du « rayon de soleil » (sunshine policy) initiée par son prédecesseur, Kim Dae-jung, au grand dam de Washington, partisan d’une politique dure. Il n’était donc pas si étonnant que cela de le voir prendre des mesures pouvant déplaire au principal partenaire stratégique de son pays.
Cela eut pour conséquence de détériorer les relations entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, les Américains n’appréciant guère les velléités « d’indépendance » coréennes. De ce fait, le premier souci du nouveau président coréen, bien ancré à droite et en phase avec Bush, fut de se rabibocher avec les Etats-Unis. C’est là que rentre en jeu le petit voyage sympa à Camp David. Etant donné le contexte des relations américano-coréennes, le président Coréen se « devait » de faire un geste pour preuve de sa bonne volonté. Et voilà l’embargo levé sur le bétail américain de moins de 30 mois ! A noter quand même qu’avant l’embargo, la Corée était le troisième pays importateur de bœuf américain.
Manque de chance et de vision politique, choisir un produit aussi sensible que la viande, qui plus est potentiellement « folle », comme geste d’ouverture n’était pas une bonne idée.
Pourquoi ça ? Eh bien les Coréens, voyant qu’on les préparait à manger de la viande potentiellement dangereuse (en tout cas au moins symboliquement), commencèrent alors à manifester leur opposition à cette levée d’embargo. Et chose étonnante, ce sont les collégiens et lycéens qui commencèrent, arguant que c’était de leur futur qu’il s’agissait et pas de celui du président, qui pourrait toujours avoir le choix de choisir la viande qu’il consomme (et de toute façon avec son avenir plutôt derrière lui que devant, en comparaison avec des adolescents).
Les manifestations ont traîné, le gouvernement ne leur accordant pas plus d’importance que ça, tendant plutôt à parler de manipulation, puis elles se sont intensifiées et le gouvernement a alors averti qu’il allait arrêter ces collégiens et lycéens si eux n’arrêtaient pas leur cirque. Ces derniers, prenant peur, se calmèrent, mais voilà le gouvernement venait de mettre le doigt dans l’engrenage de la bêtise gouvernementale, en commettant bourde après bourde, provoquant la furie d’un nombre de plus en plus important de citoyens qui ne se sentaient pas forcément concernés au départ. Mais les menaces du gouvernement aidant, ainsi que les divers commentaites méprisant jetés de-ci de-là aux manifestants (ce sont des gens manipulés, des chômeurs, des extrémistes, etc.) ne firent que jeter de l’huile sur le feu. Le gouvernement était aveugle et ne réalisait pas que le fait que les manifestants comprenaient un public qui ne prend pas souvent part à des manifestations (des mères de famille et leurs enfants par exemple, pour qui la décision d’annuler cet embargo de cette manière était irresponsable) était l’indicateur que quelque chose ne tournait pas rond.
Bref, la situation a continué d’empirer, avec un gouvernement faisant la sourde oreille aux revendications des manifestants (lesquels demandaient l’annulation de la levée de l’embargo) et des veillées à la bougie tous les jours devant l’Hôtel de Ville.
Avec le temps, la situation a changé, il ne s’agit plus uniquement de protester contre l’importation de viande américaine, mais d’une lutte symbolique entre le peuple coréen et le gouvernement. Il s’agit de voir qui va céder le premier.
Le résultat de ce mano a mano sera un très fort indicateur de l’état de la démocratie en Corée. Après dix ans de gouvernements relativement progressistes, les Coréens se sont habitués à une démocratie, à un mode de gouvernance très éloigné des anciens régimes autoritaires, mais paradoxalement le président dernièrement élu l’a été en utilisant le slogan « 10 ans de perdus », en référence aux mandats successifs de Kim Dae-jung et Roh Mu-hyeon, ses deux prédécesseurs, et en se présentant comme le sauveur de l’économie coréenne, perçue par la majorité de la population comme étant mal en point.
Etant donné que Lee a été très largement élu en décembre dernier, il est doublement étonnant de constater que sa popularité a déjà chuté en dessous de la barre des 20% d’opinions favorables. Son manque de compréhension politique (il a dirigé la branche construction du groupe Hyundai avant de devenir maire de Séoul en 2002) et de psychologie, son style rentre dedans, sa volonté de mener à bien de grosses réformes le plus rapidement possible sans tenir compte des avis contraires et sa réticence à négocier peuvent partiellement expliquer cette situation.
Mais, à mon sens, l’élément peut-être le plus important concerne le malentendu qui a conduit à son élection et qui le retrouve avec une popularité en berne à peine 100 jours après son investiture. Lee Myung-Bak a beaucoup fait pour donner l’image de l’homme providentiel pouvant redonner des taux de croissance des années 60 et 70 de la Corée, similaires à ceux de la Chine actuellement. Cette période de l’histoire coréenne est indissociable du régime autoritaire de Park Chung-hee, et même s’il s’agissait bien d’un dictateur, il a encore de nos jours une très bonne image auprès d’un grand nombre de personnes car il est perçu comme celui par qui est arrivé l’envol économique de la Corée. Lee Myung-Bak a tout fait pour associer son image à celle de ce dictateur, pensant à juste titre que les électeurs y seraient sensibles, bénéficiant même du soutien de la fille de ce dernier. Dans le même temps, le président Coréen avait pensé que ce que le peuple souhaitait était un homme fort pour sortir le pays de l’ornière, et qui dit homme fort dit mode de gouvernance « à l’ancienne », plutôt autoritaire. Mais voilà, il s’avère que les Coréens ne veulent pas de ce retour en arrière, et il le disent, et ils le montrent. Ils avaient signé pour le volet économie, pas dictature, et le président ne le savait pas, il n’avait pas compris les réelles attentes du peuple.
Maintenant que le cabinet a soumis sa démission en masse, sera-ce suffisant pour calmer la colère régnante ? Rien n’est moins sûr. D’autant plus que le gouvernement continue d’accumuler les gaffes. Pour preuve, la mise en place par la police, au matin de cette manifestation historique, de barricades formées par des containers en plein centre de la principale avenue de Séoul, afin de leur barrer le passage vers plusieurs bâtiments (voir photo). Pour donner une idée il faut s’imaginer la même chose installée sur les Champs Elysées, devant l’Arc de Triomphe par exemple. Une aberration totale, mais une aberration qui ne choque apparemment pas Lee Myung-Bak, puisqu’il a félicité le chef de la police pour cette initiative originale... c’est dire le niveau.
La Corée vit des jours historiques, et les Coréens en sont conscients, c’est pour ça qu’ils n’abandonneront pas ces manifestations jusqu’à obtenir ce pour quoi ils se battent. Ils veulent faire passer un message capital à leur nouveau président : fini le temps des régimes autoritaires, ils sont morts et enterrés, il va falloir écouter la voix du peuple car la Corée est désormais une démocracie, une vraie, et c’est au peuple et à lui seul que le pouvoir appartient.
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