Marche des femmes contre la flambée des prix en Côte-d’Ivoire : mourir de faim ou mourir d’une balle dans la tête ?
Plusieurs manifestants dirigés par les femmes ont protesté hier contre l’augmentation sauvage des prix des denrées de première nécessité. L’opération ville morte s’est soldée par un jeune abattu par balle, 23 blessés et 19 arrestations.

Des prix qui grimpent, un pouvoir d’achat qui dépérit
Le début de la semaine a été très mouvementé en Côte-d’Ivoire. Le lundi 1er et le mardi 2 avril 2008, des femmes ont pris d’assaut les grandes artères des quartiers populaires de Yopougon et de Cocody en scandant des « On veut manger, on veut manger, on veut manger ». Le mouvement s’est très vite étendu à d’autres quartiers de la ville d’Abidjan et même dans certaines villes de l’intérieur. Ainsi, les femmes sont également sorties dans les quartiers d’Attécoubé et Port-Bouët et les villes d’Adiaké et de Bassam.
Ces femmes se sont soulevées contre la hausse sauvage des prix des denrées de première nécessité entre février et mars 2008. De 1 200 FCFA, le kilogramme de viande est passé à 1 700, voire 2 200 FCFA. Le litre d’huile qui était à 600 FCFA se vend aujourd’hui à 1 000 FCFA quand le prix du sac de riz oscille entre 12 000 et 20 000 FCFA. Le petit pain de savon de Marseille (BF 4) qui se vendait à 250 FCFA est à 350 FCFA. Le carton de lait est passé de 1 300 CFA à 2 000 FCFA. A cette situation, il faut ajouter le fait que le transport public a augmenté ces prix depuis l’année dernière. La situation est devenue intenable pour les populations dont la plupart ont un pouvoir d’achat très faible.
La violente réaction du pouvoir en place contre la Marche des femmes
La stratégie des femmes pour manifester était toute simple. Le visage badigeonné de kaolin, elles se sont armées de vieilles casseroles pour faire le maximum de bruits dans le but de se faire entendre et, éventuellement, comprendre. Le mot d’ordre est largement suivi puisque qu’il a été largement diffusé par SMS sur le téléphone portable des principales responsables du mouvement. Les femmes ont pris d’assaut les principales artères du district d’Abidjan où ont été érigées des barricades. A Cocody, Riviéra, au II Plateau, à Port- Bouët, Yopougon et d’autres communes, les voies étaient obstruées par des tables-bancs, des blocs en béton ou des pneus enflammés, des troncs d’arbre, des branches, des poubelles vides et/ou pleines.
C’est le quartier de Port Bouët qui a vécu la plus grande violence. Déterminées à bloquer l’axe des villes Abidjan-Bassam, elles se sont heurtées à un important dispositif de forces de l’ordre constituées par les éléments de la police et de la gendarmerie appuyées par des commandos de la gendarmerie et des corps d’élite de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) et du Centre de commandement et de sécurité (CECOS). Pour mesurer l’ampleur de la violence disproportionnée, nous reproduisons le témoignage du frère du jeune homme (la victime se nomme Abel Yao) qui a été abattu par un policier à Adjouffou, un sous-quartier de Port Bouët : « Aux environs de 12 heures, un policier en tenue, à bord d’un véhicule de type Mercedes, s’est présenté au niveau d’un de nos barrages dressés ici (à Adjouffou). Il nous a demandé d’enlever le barrage afin qu’il passe. Ce que nous avons refusé. Il échangeait en des termes durs avec mon grand frère (Abel) lorsque nous avons aperçu, à une centaine de mètres, un cargo des FDS qui fonçait sur nous. La foule s’est aussitôt dispersée. C’est à ce moment que le policier a tenté d’immobiliser mon grand frère sans succès. Abel courait, pendant que le policier ouvrait le feu sur lui. C’est finalement le troisième coup de feu qui atteindra mortellement mon frère au niveau du crâne. Après son forfait et face à la furie de la foule, le policier a été escorté par le cargo des FDS jusqu’à ce qu’il s’éloigne des lieux, en prenant la direction de Grand-Bassam ».
Le corps sans vie d’Abel sera transporté par des jeunes dans plusieurs sites qui symbolisent l’autorité et la puissance de l’Etat pour témoigner aux yeux de tous de la barbarie des forces de l’ordre. Ainsi c’est dans une charrette que le corps sera transporté à la morgue. Non satisfaits des dispositions administratives qui leur sont opposées, ils continuent leur marche funèbre jusqu’au commissariat de police le plus proche où ils exposent le corps de leur camarade.
Les dessous de la violence ou comment le pouvoir instrumentalise l’inflation
La récente Marche des femmes contre la cherté de la vie peut être assimilée à celle des femmes sur Grand Bassam en 1949. Si les femmes de 1949 ont marché pour réclamer la libération des dirigeants de leur parti qui étaient emprisonnés, celles de 2008 ont, en tant que maîtresses de foyers, manifesté pour la réduction des prix des denrées alimentaires sur le marché. Un idéal les rapprochent cependant : l’amélioration des conditions de vie des populations.
Mais, pour comprendre la réaction du pouvoir, il faut la situer dans son contexte. La violence est la résultante d’un complexe de facteurs politiques. En effet, le samedi 29 mars dernier, le président du Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié anime un meeting de mobilisation à Yopougon. Au cours de son intervention, le président du PDCI a dénoncé la mauvaise gestion du pouvoir par le parti du président Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI).
Vingt-quatre heures seulement après le meeting, les manifestations contre la cherté des prix éclatent à Yopougon, lieu où le meeting du PDCI s’est tenu. Du coup, cherchant un bouc émissaire, le régime de Gbagbo accuse le PDCI et ses alliés d’être à la base du soulèvement populaire. Convaincu de la récupération, sinon de l’action invisible du PDCI, le FPI se braque et lance dans la rue les forces de l’ordre préparées à ‘’mater toute rébellion en gestation’’. Depuis le 19 septembre 2002, le régime Gbagbo est devenu méfiant. Il regarde avec circonspection tous les mouvements sociaux qui traversent le pays. Et des vies sont sacrifiées sur l’autel des querelles entre les politiciens qui depuis longtemps ont pris en otage des populations qui sont contrôlées par des formations politiques et les nombreuses organisations de soutien qui gravitent autour d’elles. Au lieu de s’en prendre à des femmes, il serait judicieux, pour les acteurs politiques, notamment ceux du FPI d’appliquer le train de mesures qu’il vient de prendre. Il s’agit de la suspension pendant trois mois des droits de taxes à l’importation pour le riz, l’huile de table, le lait, la farine de blé, le sucre, le poisson, la boîte de conserve de tomates et le ciment. Le gouvernement a aussi annoncé la réduction de la TVA sur ces mêmes produits. Elle passe de 18 à 9 %. Ces mesures seront accompagnées, selon le gouvernement, d’une vigoureuse action de lutte contre le racket. Pour l’heure, la télévision et la radio locale censurent toutes les informations relatives à ces événements. Avait-on besoin de tuer et de blesser des populations aux mains nues, d’arriver à des décisions dont l’application n’est pas sûre vu le laxisme qui mine l’administration ivoirienne ?
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