Marées noires : en France et ailleurs
Encore une marée noire, dans la quasi-indifférence générale...
La Nouvelle-Zélande vit en ce moment la « plus grave catastrophe maritime écologique » de son histoire, comme l'a précisé Nick Smith, le ministre de l'environnement Néo-Zélandais, avec le naufrage du « Rena » au large de ses côtes le 5 octobre 2011. Or on en parle peu dans les grands médias, car ce naufrage est éclipsé par l'actuelle coupe du monde de Rugby qui se déroule en ce moment dans ce pays. Il est vrai que pour le moment l'ampleur des dégâts est très inférieure à ce qu'on a l'habitude de voir, et « seulement » 300 tonnes de pétrole brut, soit environ 2200 barils, ont été déversées dans l'océan sur une cargaison totale de 2000 tonnes, pour affecter une région riche d'une biodiversité de dauphins, de baleines et de plusieurs dizaines d'espèces volantes. Des centaines de cadavres d'oiseaux et quelques cétacés morts ont déjà été répertoriés et le navire, dont le pompage de la cargaison est rendu difficile par les conditions météorologique, menace de se briser et de décimer les écosystèmes des environs.
Les marées noires sont pourtant habituellement très médiatisées quand elles surviennent, car elles génèrent de l’Audimat. En effet comment ne pas rester fasciné de dégoût et d'indignation devant l'écran de sa télévision devant le défilé pourtant vu et revu tant de fois des images des plages souillées, des oiseaux mazoutés, des pêcheurs en colère et des politiciens promettants. Et puis après on n'en parle plus, l'histoire tombe aux oubliettes jusqu'à la catastrophe suivante qui nous laisse ébahis que rien n'ait été fait de plus efficace pour tenter d'éviter le recommencement. C'est pourtant durant ces périodes que l'on dispose du maximum de temps pour la réflexion, la prévention et également la répression des faits constatés, mais on va voir que selon la nationalité du pollueur et celle de la victime, les actions mises en œuvre semblent bien différentes en terme d'efficacité.
On laissera donc de côté les attentats et les sabotages divers pour ne s'intéresser qu'aux marées noires maritimes d'origine accidentelle les plus graves et pouvoir comparer les réactions européennes et les réactions américaines devant ces catastrophes, pour pouvoir se demander quel est l'exemple que suivra la Nouvelle-Zélande dans la lutte contre la pollution maritime.
Aux États-Unis
Le 3 juin 1979 la plate-forme d'Ixtoc 1 exploitée pour le compte de la société mexicaine Petroleos Mexicanos (Pemex) explose et répand 3,3 millions de barils de pétrole dans le Golfe du Mexique, créant ce qui allait rester la pire marée noire maritime pendant 30 ans. L'impact écologique sur la faune et la flore a été aggravé par l'usage massif de produits dispersants cancérigènes. Aucun bilan n'a été publié, aucun grand procès n'a eu lieu, et seule une estimation du coût global de la catastrophe d'environ 1.5 milliards de dollars est disponible, comme le rappelle le site www.cedre.fr. Les études ultérieures n'ont pas su quantifier d'impact écologique à long terme, mais les experts américains ont préconisé la mise en place de procédures d'urgence et d'études environnementales inexistantes jusqu'alors et notamment « la fixation d'une valeur en dollars à chaque type de dommage environnemental ».
Lorsque le 24 mars 1989 le pétrolier Exxon Valdez s'échoue en répandant 280.000 barils et en polluant 800 km de côtes de l'Alaska ces procédures sont mises en place. Les dégâts qui ne sont payés qu'à moitié aujourd'hui devraient avoisiner les 4 milliards de dollars pour avoir tué 250.000 animaux environ et mobilisé 11.000 personnes. La compagnie Exxon, devant les accusations, se tournera vers ses assureurs et quant à lui après réparation le navire continuera de naviguer jusqu'en 2002. Le Congrès américain adopte de son côté en 1990, soit un an après seulement, une loi sur la pollution pétrolière visant à accélérer l'indemnisation des victimes des marées noires.
Le 20 Avril 2010, un accident sur la plate-forme « Deepwater Horizon » de la société British Petroleum, dans le Golfe du Mexique, allait provoquer la plus importante marée noire maritime jamais répertoriée, déversant dans la mer une quantité de pétrole brut évaluée à près de 5 millions de barils, souillant des centaines de kilomètres de côtes, et déclenchant des dégâts et des opérations d'urgence pour un coût estimé aujourd'hui à plus de 14 milliards de dollars. Les dégâts écologiques sont encore aujourd'hui difficiles à évaluer tant la superficie maritime touchée rend les statistiques incertaines sur le nombre d'animaux morts, et on ignore pour le moment quelles seront les conséquences à long terme de la marée noire comme celles de l'utilisation des dispersants toxiques mis en œuvre durant l'opération. Début Mai 2010, la société BP s'est engagée à payer les dommages causés aux victimes en provisionnant 20 milliards de dollars sur un compte bloqué. On remarquera la rapidité de la société a prendre des mesures d'indemnisation sous la pression des mesures politiques fermes mises en place précédemment, et qui ont permis que l'indemnisation des victimes ait depuis commencé alors qu'à peine 2 ans se sont écoulés. Malgré cet accident le bureau de la sécurité et du respect de l'environnement américain devrait prochainement autoriser BP à exploiter à nouveau des plates-formes pétrolières au large des États-Unis.
Aux États-Unis même si les mesures politiques prises n'empêchent pas les accidents de survenir à nouveau, elles permettent néanmoins la condamnation rapide des coupables et une indemnisation rapide des victimes, ce qui n'est pas forcément le cas en Europe.
En France et en Europe
En France c'est le naufrage de l'Amocco Cadiz, le 16 mars 1978 qui reste la pire marée noire, ayant déversé 1,6 millions de barils en mer et sur les 400 kilomètres de côtes bretonnes touchées par la pollution, et provoquant la mort d'au moins 4000 oiseaux. La société Shell, a qui appartenait le pétrole en question et dont elle avait confié le transport à la société Amoco, décida d'attaquer en justice les associations qui faisaient pression contre elles et gagna son procès pour « obstruction commerciale ». Il fallut attendre 14 ans pour que la Cour d'Appel des États-Unis condamne la société Amoco et indemnise les victimes pour un montant de 1,26 million de francs (soit 200.000 euros environ), ce qui ne représente que la moitié des préjudices estimés. Des mesures seront prises pour lutter contre les pavillons de complaisance afin que ce genre de catastrophe ne se reproduise, mais sans effet pour autant comme on le verra par la suite.
Le 12 décembre 1999, l' « Erika », naviguant sous pavillon de complaisance maltais, se brise en deux et répand 145.000 barils sur 400 kilomètres de côtes bretonnes en ayant réussi à déjouer tous les contrôles de sécurité sensés détecter son état avancé de délabrement. Le bilan écologique est catastrophique et au moins 150.000 oiseaux meurent dans les semaines qui suivent, tandis que 10 tonnes de produits cancérigènes se répandent dans la mer. Le groupe Total a été condamné le 16 janvier 2008, soit presque dix ans après, à verser 192 millions d'euros sur le milliard initialement estimé, et a fait appel de cette décision. Des mesures de contrôle renforcées ont été mises en place par la commission européenne, rendant également les doubles coques obligatoires pour les navires neufs, mais seulement à partir de juillet 2003 et donc trop tard pour éviter le naufrage du « Prestige ».
Le 13 Novembre 2002, le « Prestige » se brise au large des côtes de Galice, répandant 460.000 barils de pétrole russe et causant pour 2 milliards d'euros de dommages. La pollution arrivera, poussée par les courants, jusque sur les côtes françaises. Le capitaine du navire, emprisonné pendant 83 jours après la catastrophe, portera plainte devant la cour européenne des droits de l'homme avant d'être débouté de sa plainte en janvier 2009. Aucun jugement n'a été rendu à ce jour, presque dix ans après.
On peut noter également que même si des mesures renforcées ont été mises en place par l'Union Européenne, elles ne concernent que les pétroliers faisant escale en Europe et pas les navires de passage qui échappent donc aux contrôles. Les « navires poubelles » continuent donc de naviguer de par le monde au grand bénéfice des compagnies pétrolières, et même au large de nos côtes en laissant planer le spectre de nouvelles catastrophes.
Le bilan comparé
En se restreignant à comparer les catastrophes survenues en Europe et aux États-Unis, on peut constater deux choses :
- D'une part les Etats-Unis, en face d'une catastrophe, sont capables de mettre en place des mesures menaçantes pour les sociétés fautives qui les dissuadent de recommencer les mêmes erreurs. L'indemnisation rapide des victimes est mise en avant comme une priorité.
- D'autre part l'Europe, qui ne reste pas inactive devant les catastrophes survenues, semble comme trop souvent atteinte d'une inertie judiciaire qui courbe l'échine devant les multinationales, et qui n'indemnise souvent les victimes qu'à moitié une dizaine d'années après les drames.
Mais les mesures isolées prises indépendamment par l'Europe et les États-Unis ne semblent pas avoir résolu le problème de l'exploitation et du transport à bas coût du pétrole brut, comme le prouve le naufrage survenu en Nouvelle-Zélande, car les poubelles flottantes si lucratives pour les compagnies pétrolières, emportant un équipage trop souvent exploité et sous-payé, continuent de sillonner le globe et de menacer les écosystèmes de leurs cargaisons nocives afin de permettre un bénéfice maximum au mépris de meilleures conditions de sécurité. Il semblerait que le fait que chacun balaie devant sa porte, qu'elle soit américaine ou française, n'ait finalement pas vraiment d'impact sur le trafic international qui reste dangereux. On se demande si les lois internationales existent et si la morale a encore une place à la tête des entreprises pétrolières.
Parler d'absence de morale n'est pas un vain mot, comme le montrent les analyses faites sur les cargaisons déversées par l'Erika en 1999, qui essaient de prouver que la cargaison du navire était au moins en partie composée non pas de fioul lourd mais de déchets industriels spéciaux dont l'exportation est pourtant interdite (labo-analytica.com). Après des réfutations de cette thèse qui restent aujourd'hui incertaines, il subsiste toujours un doute sur la nature de la cargaison qui s'est déversée sur les côtes bretonnes. Et tant que le doute subsiste, aucune procédure n'est possible pour enclencher le long processus judiciaire qui pourrait éventuellement dissuader les compagnies fautives de recommencer.
Actuellement, le pétrole se déverse sur les côtes néo-zélandaises et l'assureur Swedish P&I Club a assuré que tous les dégâts seraient intégralement indemnisés, tandis que la société suisse MSC a qui appartient le pétrole a elle effectué une donation volontaire d'un montant de un million d'euros.
Il semble que tant que balayer les dégâts coûtera moins cher qu'en faire la prévention, les accidents continueront dans le business si lucratif de l'or noir mondialisé.
(Sources : wikipédia, cetacesetfaunemarine.wordpress.com, sequovia.com, cedre.fr, labo-analytica.com, photos sur tuxboard)
- Marée noire - Nouvelle-Zélande - Rena
- AP Photo / Natacha Pisarenko
- Marée noire - Nouvelle-Zélande - Rena
- AP Photo / Natacha Pisarenko
- Marée noire - Nouvelle-Zélande - Rena
- Reuters / Mike Hutchings
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