Maroc : les rapaces qui se voilent la face
A qui profite le désordre dans un système censé être cohérent.
A la lumière des réactions qui ont été émises sur mon précédent article publié par Agoravox intitulé « Maroc : la vérité qui dérange », j’aimerais bien rebondir sur le niveau assez élevé des réflexions des intervenants. Pour une fois, je ressens qu’il y a une vraie foire aux questions et aux réflexions où l’intelligence vole effectivement très haut au lieu des souks habituels dans lesquels se déroulent des thérapies collectives. Je vous remercie toutes et tous de vos interventions qui m’ont été d’un apport enrichissant me permettant ainsi à poser les vrais problèmes et leur donnant le vrai qualificatif. Certes, Je mesure le risque du fait de parler de ces sujets qui vont irriter certains qui opèrent dans la clandestinité et certains compatriotes naïfs que j’ai appelés dans mon dernier article, les Marocains qui sont sublimés par eux-mêmes qui se regardent dans un miroir qui leur ment.
Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un sujet dont le fond pose une question pertinente, mais il n’en demeure pas loin que cette question cache d’autres que j’estime intéressant d’aborder les unes après les autres afin de déceler les priorités adéquates. La question est la suivante :
« Faut-il légaliser le cannabis ou non ? Ceci est une question qui a été posée par un magazine marocain. J’avoue que la question est pertinente, mais je doute fort bien que la réponse soit évidente. »
A mon sens, c’est non parce que ce n’est pas le fait de légaliser le cannabis ou non qui va régler le problème, mais comment faire pour contrer la déferlante vague de trafics de tout genre qui secoue la société marocaine depuis quelques années notamment dans la partie Nord du pays. Certes la légalisation du cannabis pourrait être considérée comme une démarche intéressante pour autant que les mesures prises soient accompagnées par des actions qui décapitent les têtes pensantes de ce trafic ainsi que les tops infiltrés au cœur du système policier, judiciaire et politique sinon toute démarche entreprise dans ce sens sera vouée à l’échec. Le bien-fondé de la légalisation du cannabis est multiple, à savoir l’endiguement des consommateurs, les marchands et les producteurs. Il y a des mesures similaires qui traquent les petits dealeurs et les petits consommateurs. Les autorités se sont aperçues que ces mesures n’ont pas stoppé le trafic, mais ont généré des accoutumés des prisons sans perspectives concrètes sauf l’envie de récidiver pour revenir en prison.
Légaliser le cannabis pour endiguer de cannabis et d’autres fléaux dans l’ensemble de la société marocaine, je n’en suis pas convaincu du fait qu’elle n’atteindra jamais les gros rapaces qui opèrent de l’autre côté avec la complicité des hautes personnalités de l’Etat. Evidemment, je parle de ceux qui ont inondé le nord du Maroc de voitures luxueuses dernier cri, de demeures somptueuses dignes des Mille et Une Nuits qui longent les plages interdites au public et j’en passe. Pour reprendre l’expression d’un des intervenants dans ce FAQ, nous n’avons pas besoin d’avoir des jumelles pour voir la réalité. Le mal dont on souffre, avant tout, est structurel c’est-à-dire que nous construisons sur des fondations fragiles et sans encadrement de la couche latérale de société qui souffre du sentiment d’être délaissée. Le jour où nous allons nous rendre compte de cette réalité, Sidi Moumen, l’immense bidonville de la banlieue de Casablanca ne sera plus un tremplin des recruteurs des candidats qui portent en eux des bombes à retardement, les hôtels ne cesseront d’être des bordels de luxe et les jeunes filles arrêteront de courir derrière l’argent facile en se prostituant et d’autres qui galopent derrière un mirage qui s’appelle « El kharij = étranger ».
A qui profitent ces histoires ?
Bien évidemment aux rapaces qui se voilent la face parce qu’ils croient qu’on ne les voit pas et qu’on ne les connaît pas, mais ce qu’ils ignorent que l’abcès qui ne fait que mûrir un jour ou un autre sera crevé. Les rapaces que tout le monde envie sont :
- les nouveaux riches qui roulent dans des voitures à plus 100 000 euros ;
- les nantis mais on ne sait pas comment ils le sont devenus ? ;
- les tout contents d’eux-mêmes ;
- les héros de l’effort récompensé ;
- les faites donc comme moi ;
- les j’estime que ;
- les il est évident que ;
- les sublimateurs ;
- etc.
Ceux-là n’appellent jamais au secours, ils se contentent de chercher des appuis pour leur promotion sociale car, depuis leur tendre enfance, on leur a appris que seule cette dernière était capable d’assurer leur bonheur. Ils n’ont pas le temps d’aimer, trop occupés pour gravir les échelons de leur échelle hiérarchique, mais ils conseillent fortement aux autres l’utilisation de cette valeur dont ils s’affirment d’ailleurs pétris, ce sont toujours les mêmes.
Qui sont les victimes dans cette histoire ?
Bien sûr, ce sont ceux qui n’ont personne pour les défendre et les soutenir avant de passer à l’acte. Ce sont les malheureux que le bouche-à-bouche ne vient jamais assister parce qu’il n’est pas là par hasard. Ce sont ceux qui sont livrés à eux-mêmes. Ils sont tout simplement les autres.
- les destinés à la criminalité et les récidivistes ;
- les chômeurs du berceau à la mort ;
- les jeunes qui se noient chaque jour au large de la Méditerranée ;
- les « émigrés choisis » qui éventrent le pays sa précieuse richesse représentée par ses hommes ;
- les jeunes filles qui traînent dans les boîtes de nuits et qui ne savent pas jusqu’à quand ;
- les candidates pour les cabarets européens qui travaillent sous contrats d’artiste ;
- etc.
Ceux-là n’appellent jamais à l’aide, ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas, mais c’est parce qu’ils n’en ont pas le droit. Leur seul droit, c’est d’accepter leur destin comme ça se présente, essayer d’aimer, si possible se marier tout de suite et faire des enfants pour perpétuer l’espèce, ainsi la liste des malheureux s’allonge. Je cite cette phrase d’Adam Smith :
« Tout pour les mêmes et rien pour les autres. »
Personnellement, j’estime que chacun a sa drogue, à nous de la maîtriser pour ne pas succomber dans les tentacules de la dépendance. La légalisation du cannabis est un des plus anciens combats et une des idéologies de certains responsables politiques. Je ne considère pas que fumer est anodin et sans risques, mais que le cannabis est une drogue parmi d’autres, dont la consommation doit être régulée et maîtrisée par la personne elle-même, pour lutter contre la criminalisation des consommateurs.
Légaliser le cannabis, c’est démanteler une économie parallèle
qui prospère dans la clandestinité.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui profitent du statut illégal du cannabis pour en faire du business. Le consommateur de la drogue quel qu’il soit dépend complètement de son dealeur, des prix qu’il pratique et de la qualité des produits qu’il propose. En donnant un statut légal au cannabis, il deviendra possible de démanteler ce monde parallèle de ceux qui s’enrichissent au détriment de la santé publique. Je pense qu’il faut donner aux fumeurs de cannabis un réel cadre légal dans lequel il faut instaurer des règles de jeu lui permettant de s’en sortir s’il le souhaite.
La prostitution est une forme de mise en location d’un corps. Quant à la corruption, c’est la mise en vente d’une conscience ou l’abus d’un pouvoir confié à un agent public. Tous ces maux de notre société font état d’un gain personnel d’un groupe auquel on doit allégeance. Cette approche est la mieux adaptée à l’appréhension du phénomène car elle est à la fois plus flexible que celle qu’opère habituellement la jurisprudence qui applique le concept à certains actes malhonnêtes, tels que le sens originaire qui définit la corruption comme toute altération d’un état premier considéré comme pur et idéal. Je sais que la corruption, la prostitution et j’en passe existent depuis la nuit du temps. Je sais aussi qu’ils existent pratiquement dans tous les pays quel que soit leur niveau de développement économique et social. Aucun régime politique ne peut y opposer une résistance. c’est un phénomène permanent qui tient à la nature des choses car toute société qui fonctionne par la confrontation entre le pouvoir et l’argent génère des faits de corruption.
Pourquoi ces fléaux nichent confortablement dans notre tissu social malgré le fait que le Maroc est un pays de droit dans lequel ses sujets jouissent des droits et des devoirs ? Il s’agit, en fait, d’une forte concentration des pouvoirs entre les mains de certaines personnes qui savent esquiver les règles du système et savent où se trouvent ses failles et ses ombres. Ce sont en général les leaders de tous les appareils du pouvoir public qui jouissent d’une personnalisation excessive du processus décisionnel qui dérive de cette concentration des pouvoirs ou d’une substitution de modes de décision contractuels à ceux traditionnels qualifiés d’unilatéraux ou finalement une carence qui s’opère des contrôles et de la transformation des valeurs dans la société. C’est effectivement le mal dont souffre notre pays, il y a des règles dans le système qui ne sont pas respectées hélas par ceux ou celles qui les représentent.
Par mes mots, j’essaie tout simplement de crever cet abcès et dénoncer cet état de fait qui profite à une minorité malgré le fait qu’il existe un paradoxe apparent entre l’indignation de plus en plus grandissante contre les profiteurs de la corruption et l’existence même de celle-ci qui continue à être perçue de façon consciente comme inévitable par ceux-là mêmes qui en souffrent ou la condamnent. Dès lors, il s’est développé un type de sentiment selon lequel la corruption relève de l’ordre social et toute tentative pour l’éliminer ou l‘éradiquer est une utopie voire une diversion isolée et sans lendemain. A cette croyance, s’ajoute par ailleurs, un milieu économique favorable à la corruption.
Conclusion
Avant de clore mon article, j’aimerais bien citer une phrase d’un journaliste algérien qui est mort assassiné. Il a écrit avant sa mort :
Si tu parles, tu meurs et si tu ne parles pas tu meurs, alors parles et meurs
Karim El Idrissi
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