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Accueil du site > Actualités > International > Maroc : mort de « Mama Assia »

Maroc : mort de « Mama Assia »

Drôle de surnom donné à un juge. Et pourtant c’est ainsi que les délinquants mineurs appellent Assia El Ouadie juge en charge de l’insertion et du suivi des délinquants mineurs. Cela doit compenser certainement chez les jeunes détenus des mères qu’ils n’ont jamais eus car le mot « mama » en dialecte arabe marocain signifie maman. Ces jeunes délinquants souvent abandonnés à eux même et dont les mères biologiques sont ou bien des mères indignes mais surtout empêchés de remplir leur rôle de mère par indigence, pauvreté ou abandon. Souvent ce sont des enfants des rues.
 Pour Assia El Ouadie ils ne sont pas des anges, mais ce ne sont pas des monstres non plus. Ils sont le symptôme ou les failles de notre éducation ! Les plus jeunes parmi eux n'ont même pas quatorze ans. C’est pour cela qu’elle a milité et obtenu  la séparation de ces adolescents des adultes et leur mise dans des centres spécialisés. De ces centres dont elle s’occupe elle dit "Je ne veux pas qu'ils pensent à ce qu'ils ont vécu. Les souvenirs sont mortels. Ils mènent souvent aux tentatives de suicide…Je suis convaincue qu'ils ne sont pas des criminels. Ils ont commis des erreurs, c'est vrai…Mais cela arrive à nous tous…Le plus important c'est de se ressaisir tant qu'il est possible de le faire, et dans leurs cas, c’est possible puisqu’ils ne sont que des enfants". Elle a ainsi participé à créer des ateliers de formation grâce à la fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus des centres de réforme dont elle est le pivot.
 Assia El Ouadie mère de 2 enfants était magistrate au parquet du tribunal de première instance de Casablanca entre 1971 et 1980. Après une formation de perfectionnement à l'Ecole nationale de la Magistrature à Paris (1980-1981), elle avait intégré le barreau de Settat (1981-1984) et rejoint ensuite celui de Casablanca jusqu'à 2000, date à laquelle elle avait réintégré la magistrature au sein de l'Administration pénitentiaire où elle s'occupait des Centres de réforme et rééducation pour jeunes mineurs.

Elle a crée et présidé l'Association Mama Assia des amis des centres de réforme et  était également membre de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus  (présidée par le Roi)et a milité pour la création de centres de formation professionnelles. Bravant souvent le protocole qui organise ces visites elle n’hésitait pas à présenter au Roi des détenus qui ont réussi à des diplômes universitaires ou professionnelles lors de ses visites.
Elle était en outre cofondatrice, en 1999, de l'Observatoire des prisons, membre de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme, du Conseil consultatif des droits de l'Homme, de l'Association du centre d'écoute et d'orientation pour femmes battues. Elle était sur beaucoup de fronts, avec une conviction jamais exempte de chaleur humaine, de compassion et d’engagement sans être jamais grisé par le pouvoir.
 
Dans la lettre de condoléance  adressée à sa famille le Roi « rappelle les qualités humaines de la défunte et sa défense des droits des enfants et des jeunes, et en particulier des droits des pensionnaires des Centres de réforme, de rééducation et de réinsertion, soulignant que la regrettée a consacré sa vie pour servir leurs causes et s'est efforcée de leur assurer soutien et protection, que ce soit en tant que membre de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus ou au sein des différentes organisations de la société civile dans lesquelles elle était un membre actif, ce qui lui a permis de jouir de l'estime de tous. »
 Mais d’où lui venaient donc ce militantisme et ce punch pour être au service des autres accompagné de ce désintérêt du pouvoir. Une première explication est donnée par son frère Salah El Ouadie mais renvoie à une explication plutôt génétique.
 
En effet dans une lettre poétique récente émouvante à l’attention de sa sœur alors qu’elle était hospitalisée dans un état très grave et publiée dans un journal marocain et sur un site internet en arabe le 28/09/2012 ; Assia… ce corps frêle qui aplatit les montagnes. son frère Salah lui rappelle qu’a dix ans elle rentrait à la maison pour chercher des chaussures pour une petite qui grelotait de froid sur le chemin de l’école : qu’a six ans dans un hammam, elle a crié au visage d’une femme qui molestait durement sa « petite bonne »ce qui lui a valu le foudre de cette dame et qu’enfin plus récemment dans une prison elle n’a pas hésité à envoyer balader un élu local lequel est venu en commission et à des fins électorales apporter des effets aux prisonniers et en faisait trop. 
 
J’invite les lecteurs arabophones d’Agora à lire cette lettre écrite avec des larmes ; elle est d’une intensité et d’une beauté inouïe. 
 S’agissant du père Mohamed Wadii Al Assafi poéte et grand militant  mort en 2004 à l’âge de 81 ans ; il a connu la prison pendant le protectorat mais aussi après l’indépendance du Maroc. Emprisonné plusieurs fois à cause de sa lutte pour l’indépendance du Maroc et ce en 1944 (Présentation du manifeste de l’Indépendance). Il a été emprisonné de nouveau en 1951 au cours des manifestations organisées après l'assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hachad, 1953 puis en 1953 à l’issu de l’exil forcé du roi Mohammed V.
Après l’indépendance, il créa avec des camarades dont Mehdi Ben Barka, l’UNFP (parti d’opposition) et n’a pas échappé à la répression qui s’est abattu sur ce parti puisqu’il a été enlevé, tenu au secret et torturé en 1973. « Je garderai de lui ce mélange entre une extrême tristesse et cet esprit de l'humour. Je garderai de lui sa poésie. Une poésie qu'était toute sa vie, faite de grandes souffrances, mais aussi d'un grand et éternel espoir ».« Des valeurs qu'il m'a transmises, je garderai celle de la citoyenneté, dan son sens le plus large, et de l'amour de la patrie. Celle de remplir d'abord ses obligations avant de revendiquer un quelconque droit. Celle de l'effort désintéressé ». Le tout avec la transcendance de tout conflit d'ordre personnel. Il défendait des valeurs et non pas des intérêts. « Il était d'un désintéressement qui allait jusqu'à s'approcher du mysticisme. Elle m'a appris l'amour de la vie, de la musique, du partage et du don de soi. Et je sais que je ne suis pas la seule à avoir été son élève ».
 
Il y a aussi la mère de Mama Assia Touria à l’âge de dix-sept ans elle est aux coté de son mari militant pour la liberté et l’indépendance du Maroc. Lequel a été est poursuivi par les autorités coloniales et mis en prison. C’est alors que la lutte de son mari devient la sienne ce qui l’amena au soutien des familles des détenus politiques, manifestations, aide aux cellules secrètes de la résistance.
 
A l’indépendance, elle fera donc partie, tout naturellement de la première délégation des femmes patriotes marocaines reçues par le roi Mohammed V. Après l’indépendance, les années d’espoir et les désillusions l’amèneront encore une fois vers la lutte.
 
En 1973 elle sera témoin la disparition de son mari. Et fera le tour du Maroc pour le retrouver. Le sort n’a pas épargné cette femme par la suite avec l’arrestation de ses trois enfants Asma, Salah et Aziz en novembre 1974. C’est bien elle qui répondit au désarroi de son plus jeune fils (18 ans alors !) au moment d’être conduit par quatre agents des services de répression, vers l’inconnu : “Ce chemin tu l’as voulu et j’en suis fière… sache que seule la mort saura m’empêcher d’être solidaire avec toi jusqu’au bout du chemin…”
C’étaient ce qui était convenu pendant les années de plomb au Maroc. Des militants sont kidnappés torturées Commence alors un énième voyage à travers les centres de torture, les tribunaux et les prisons. La lutte de cette génération de militants à l’intérieur des prisons, contre les conditions qui leur sont faites, sera l’occasion d’une épopée solidaire féminine inégalée dans l’histoire du Maroc. Les mères, les sœurs et les femmes des détenus inventent de nouvelles formes de lutte, affrontent frontalement l’appareil répressif, parviennent à alerter et obtenir la sympathie de l’opinion publique marocaine et étrangère. Les militants ne sont plus isolés dans leur prison ; leurs revendications sont entendues. Pour la première fois au Maroc, le statut de détenu politique est reconnu !
 En dépit de cela cette femme continua à militer au sein de l’USFP, et participa à la création de sa section féminine avant son décès en 1992.

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2 réactions à cet article    


  • TSS 9 novembre 2012 10:08

    Déclaration d’un jeune (16 ans) faisant partie d’un gang de rue à Chicago  :« les USA ,le monde

    ont été construit sur la violence et vous, les adultes, vous nous reprochez ce que vous nous

    apprenez depuis notre naissance ! »

    Tout est dit... !!


    • Yohan Yohan 9 novembre 2012 22:00

      Non rien n’est dit. On n’est pas obligé d’être aussi con que les adultes à cet âge. Et puis, c’est typiquement, le discours des racailles qui légitiment leurs actes en s’appuyant sur le discours des bisounours repentants comme TSS.

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