Martti Ahtisaari, l’homme des paix impossibles
« Tous les conflits peuvent être résolus. Les guerres et les conflits ne sont pas inévitables. Ils sont provoqués par des êtres humains. Il y a toujours des intérêts qui sont favorisés par la guerre. Par conséquent, ceux qui ont du pouvoir et de l’influence peuvent également les arrêter. La paix est une question de volonté. » (Martti Ahtisaari).
Ce lundi 16 octobre 2023, décidément, la paix n'est plus à l'ordre du jour. Des attentats en France (le 13) et en Belgique (le 16), le massacre perpétré par le Hamas et la riposte encore plus meurtrière d'Israël, la guerre en Ukraine (qui continue avec ses atrocités), et j'en oublie encore... et un Prix Nobel de la Paix qui s'est éteint (de la maladie d'Alzheimer qu'il avait depuis deux ans). En effet, le diplomate finlandais Martti Ahtisaari, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2008, est mort lundi à Helsinki, à l'âge de 86 ans (né le 23 juin 1937 en Carélie soviétique).
Son Prix Nobel a été la reconnaissance internationale de plus de trois décennies de médiation sur tous les continents au service de la paix. Il était un peu l'homme des missions impossibles, de la paix improbable, un extincteur de conflit.
À l'origine, il a fait des études pour devenir instituteur, mais polyglotte (finnois, suédois, allemand, français et anglais), il s'est tourné vers la diplomatie en dirigeant une école à Karachi, au Pakistan, entre 1960 et 1963. De retour à Helsinki, il a enseigné dans une université en même temps qu'il s'est consacré à l'aide au développement en multipliant les contacts internationaux.
Dès 1965, Martti Ahtisaari a été recruté au Ministère finlandais des Affaires étrangères pour s'occuper de l'aide au développement. Ses nombreuses relations avec des dirigeants de pays africains l'on conduit à devenir en 1973 ambassadeur de Finlande en Tanzanie, Somalie, Mozambique et Zambie. Pendant quatre ans, il a travaillé pour trouver les conditions de l'indépendance de la Namibie (qui était sous la responsabilité de l'Afrique du Sud).
La fonction diplomatique nationale ne lui suffisait plus et, en 1977, il a été recruté par l'ONU comme commissaire des Nations Unies chargé de la Namibie. Jusqu'en 1990, il a participé aux négociations pour l'indépendance de la Namibie, supervisant l'envoi des 8 000 casques bleus et assurant l'organisation des premières élections libres (en novembre 1989). Il a été aussi sous-secrétaire général des Nations Unies chargé de l'administration et de la gestion entre 1987 et 1991, où il a fait preuve d'un peu trop de mansuétude envers des fonctionnaires qui avaient détourné de l'argent.
Participant aux négociations lors de la Guerre du Golfe, il a échoué pour la succession de Javier Perez de Cuellar au Secrétariat Général de l'ONU en 1991 (Boutros Boutros-Ghali fut élu). Martti Ahtisaari a continué son job de médiateur en s'occupant de la guerre en Bosnie. C'est alors que le parti social-démocrate est venu le chercher pour être son candidat à l'élection présidentielle en Finlande en 1994 à une époque où beaucoup d'hommes politiques étaient discrédités à cause de la crise économique.
Le parti du centre était alors au pouvoir, représenté par l'ancien Ministre des Affaires étrangères Paavo Väyrynen qui n'a obtenu que la troisième place au premier tour du 16 janvier 1994 avec seulement 19,5%. Le parti populaire suédois de Finlande, représenté par Elisabeth Rehn a réussi à rassembler 22,0% des voix (ce qui était énorme), se qualifiant pour le second tour face à Martti Ahtisaari qui a reçu 25,9% au premier tour et qui a été élu au second tour le 6 février 1994 avec 53,9%. Martti Ahtisaari fut ainsi le dixième Président de la République de Finlande du 1er mars 1994 au 1er mars 2000, succédant au social-démocrate Mauno Koivisto, également ancien Premier Ministre.
Il a dû son élection probablement à la division de la coalition au pouvoir qui avait présenté deux candidats, Paavo Väyrynen pour le parti du centre et Raimo Ilaskivi pour le parti de la coalition nationale (qui a eu 15,2%), à eux deux, ils auraient pu être en tête du premier tour (autour de 30%). Le Premier Ministre (du parti du centre) Esko Aho refusait que le Président de la République s'occupât de la diplomatie du pays (considérant que c'était la mission du gouvernement). Les élections législatives qui ont suivi, le 19 mars 1995, ont conduit au retour au pouvoir des sociaux-démocrates sous la direction de Paavo Lipponen.
Le 1er janvier 1995, la Finlande est devenue officiellement membre de l'Union Européenne, avec la Suède et l'Autriche (on parlait alors de l'Europe des Quinze), la conclusion d'un processus qui a démarré avec la chute de l'Union Soviétique.
En tant que Président finlandais, Martti Ahtisaari a négocié avec le Premier Ministre russe Viktor Tchernomyrdine et le Président serbe Slovodan Milosevic pour arrêter la guerre civile au Kosovo, province en principe serbe.
À 62 ans, Martti Ahtisaari ne s'est pas représenté pour un second mandat de six ans, si bien que Tarja Halonen, la candidate du parti social-démocrate, lui a succédé après son élection serrée au second tour le 6 février 2000 (51,6%). Au premier tour du 16 janvier 2000, elle a obtenu 40,0%, face à Esko Aho, candidat du parti du centre, 34,4% (son adversaire du second tour), et Élisabeth Rehn, du parti populaire suédois de Finlande a été reléguée en quatrième place avec 7,8%, l'audience plus "ordinaire" de ce parti représentant la minorité suédoise en Finlande.
Après sa Présidence, Martti Ahtissari a poursuivi son intense activité diplomatique avec une crédibilité plus forte d'ancien chef d'État. Ainsi, en général sous l'égide de l'ONU, il a rempli de nombreuses missions de retour à la paix : en 2000, il a fait partie (avec Cyril Ramaphosa) de l'inspection du désarmement de l'IRA en Irlande du Nord ; en 2003, il a été envoyé spécial du Secrétaire Général de l'ONU Kofi Annan dans la Corne de l'Afrique. Il s'est aussi impliqué en 2005 dans les négociations entre le gouvernement indonésien et les indépendantistes d'Aceh (pointe nord de Sumatra). En novembre 2005, il a été envoyé spécial de Kofi Annan dans les négociations sur le futur statut du Kosovo (mais le processus qu'il avait initié n'a pas abouti en 2007). En 2003, Martti Ahtisaari a soutenu George W. Bush dans son intervention militaire en Irak en l'imaginant (à tort) comme une opération humanitaire.
"Prix-nobélisable" en 2005 (face à Mohamed El-Baradei, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique AIEA) et en 2006 (face à Muhammad Yunus), Martti Ahtisaari a finalement reçu le Prix Nobel de la Paix le 10 octobre 2008, consacrant toute une vie au service des missions impossibles (Namibie, Kosovo, Aceh, etc.).
En 2009, il a intégré l'organisation non gouvernementale The Elder (les aînés) aux côtés de Jimmy Carter, Mary Robinson, Desmond Tutu, etc. En 2011, il s'est préoccupé des deux Corée ; en 2012, du Soudan du Sud, etc. On a parlé de lui aussi pour être envoyé spécial de l'ONU en Syrie en août 2012 (guerre civile) mais il a refusé. Il avait proposé en février 2012 un plan de paix en Syrie qui visait à désarmer l'opposition syrienne (ne plus lui fournir d'armes) et à imaginer une solution élégante du retrait de Bachar El-Assad, mais au moins trois membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU avaient refusé, pensant que Bachar El-Assad serait contraint de démissionner (renversé) au bout de quelques semaines (comme ce fut le cas pour Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Égypte).
Martti Ahtisaari sera enterré le 10 novembre 2023, jour de la Saint-Martin (initialement fêté le 11 novembre), à 13 heures en la cathédrale d'Helsinki au cours de funérailles nationales.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean Sibelius.
Attentat à Turku (18 août 2017).
Les Finlandais selon Forest Trump.
Martti Ahtisaari (2008).
Woodrow Wilson (1919).
Aristide Briand (1926).
Mahatma Gandhi.
Martin Luther King (1964).
René Cassin (1968).
Willy Brandt (1971).
Henry Kissinger (1973).
Andrei Sakharov (1975).
Anouar El-Sadate (1978).
Mère Teresa (1979).
Lech Walesa (1983).
Desmond Tutu (1984).
Élie Wiesel (1988).
Le 14e dalaï-lama (1989).
Mikhaïl Gorbatchev (1990).
Nelson Mandela (1993).
Frederik De Klerk (1993).
Shimon Peres (1994).
Yitzhak Rabin (1994).
Yasser Arafat (1994).
Kofi Annan (2001).
Jimmy Carter (2002).
Al Gore (2007).
Barack Obama (2009).
Irena Sendlerowa.
L’Union Européenne (2012).
Juan Manuel Santos (2016).
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