Massacres du Congo : Obama et son « holocauste »
Ce qu’on retient d’un Président américain, longtemps dans l’histoire, c’est d’avoir vigoureusement réagi à une situation de graves atteintes aux droits de l’Homme, qu’elle se soit produite sur le sol américain ou quelque part dans le monde. Cela correspond aux valeurs défendues par l’Amérique. Le Président Franklin Roosevelt a réagi et mis fin à la Shoah en menant les Alliés à la victoire contre l’Allemagne nazie. Le Président Abraham Lincoln a mis fin à la tragédie des esclaves noirs en remportant la guerre de Sécession. Bill Clinton a mis fin aux massacres dans les Balkans en mobilisant les forces de l’OTAN contre la Serbie. Barack Obama a le dossier du plus grand massacre des populations en cours, mais il est à craindre qu’il finisse son mandat sans avoir tourné une seule page du « dossier Congo ». Ce serait un énorme gâchis. On n’a jamais causé la mort d’autant de Noirs depuis la Traite négrière et l’époque coloniale. La mort de six millions de Congolais, qui se poursuit, devrait mériter, de toute évidence, l’attention du Président des Etats-Unis.
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En effet, il se déroule sous nos yeux la pire campagne d’extermination des populations jamais connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Six millions d’enfants, de femmes et d’hommes - bilan reconnu par l’ONU - ont péri dans la guerre du Congo qui se poursuit comme en témoigne la récente attaque sur la ville de Goma par une milice soutenue par le Rwanda et l’Ouganda[1]. Une guerre d’agression, de massacre et de pillage de la part de ces deux pays comme il s’en produit depuis 1996. L’ampleur des dégâts humains occasionnés par ces agressions aurait dû interpeller quelqu’un à la Maison Blanche. Pour moins que ça, le Président George Herbert Bush déclencha la Première Guerre du Golfe (1991) pour contraindre l’Irak de Saddam Hussein à se soumettre au droit international garantissant le respect des frontières des Etats.
Le Président Obama est sûrement au courant du véritable holocauste qui se produit à quelques distances du pays de son père kényan.
On comprend qu’il soit, jusqu’à présent, silencieux, comme « tout le monde » qui se tait, entravé par le poids des multinationales impliquées dans le pillage du Congo. En effet, le Congo a beau être l’habitat de son peuple, il est avant tout regardé comme un vaste réservoir des métaux précieux indispensables à la fabrication des téléphones portables et autres appareils électroniques (téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux,…). Se procurer ces métaux en passant par un Etat congolais « normal » reviendrait un peu cher. En passant par l’Ouganda et le Rwanda, les multinationales se procurent les minerais du Congo à bas prix.
Ces deux pays envoient leurs armées au Congo, dissimulées derrière des rebellions congolaises de paille (M23, CNDP, RCD, MLC, AFDL,…). Les minerais sont pillés et exportés vers l’Asie d’où ils nous reviennent sous forme d’appareils électroniques. Sauf que sur leur passage, les armées rwandaises et ougandaises, ainsi que les milices qu’elles instrumentalisent, violent les femmes, massacrent des populations, pillent, comme récemment à Goma (les biens pillés ont été ouvertement acheminés au Rwanda). Les multinationales ont leurs métaux précieux, les dirigeants du Rwanda et de l’Ouganda se sont servis au passage et les consommateurs américains et européens ont leurs téléphones portables. La communauté internationale garantit l’impunité aux agents des deux pays. La boucle est bouclée pendant que les Congolais enterrent leurs enfants massacrés et se séparent de leurs épouses violées et déshonorées.
C’est un système maffieux au vrai sens du terme, sûrement la mafia la plus meurtrière du monde.
La souffrance des Congolais est donc amplifiée par l’exploitation illégale de ses richesses minières, trop juteuses pour que les consciences se libèrent et se traduisent en engagement concret pour y mettre un terme. Difficile de mettre fin à ce système de prédation sans « toucher » aux intérêts de l’industrie et du marché de l’électronique avec des ramifications diverses (les banques, les sous-traitants, les compagnies d’assurances, les financements politiques…). Alors « tout le monde » se donne une raison pour se taire. Comme durant l’Holocauste, il faut considérer que ceux qui se font tuer sont « le mauvais peuple ». On dort la conscience tranquille. Hitler avait ses raisons. Les multinationales ont leurs raisons. Dans un cas comme dans l’autre, d’innocentes personnes meurent par millions parce que tout le monde décide de se taire.
Le malheur des populations congolaises est que les principaux exécutants de cet holocauste sont deux régimes bénéficiant des bonnes grâces des Etats-Unis et de plusieurs pays européens. On se demande bien pourquoi. Car ces deux régimes, nés de campagnes militaires extrêmement meurtrières, se sont longtemps illustrés par des atrocités contre des populations civiles, que ce soit durant la guerre d’Ouganda (1981-1986) ou durant la guerre du Rwanda (1990-1994). En s’appuyant sur de tels régimes, l’Occident et les multinationales savaient ce qu’ils faisaient. Les massacres en cours au Congo sont le résultat d’un choix aux conséquences parfaitement prévisibles. Les armées rwandaises et ougandaises ne peuvent mener que des guerres aussi sales.
Ce choix a été consolidé par une diplomatie manichéenne absolument désastreuse. La seule idée que ces deux régimes soient « amis des Occidentaux » a rendu inaudible, dans les capitales occidentales, les gémissements des populations congolaises martyrisées. Car lorsque votre agresseur est reconnu comme étant un « ami des Occidentaux », quel que soit son comportement, vos populations peuvent subir toutes les formes de cruauté. Dans l’Est du Congo, des bébés de seulement quelques mois sont violés puis tués sans que leurs auteurs risquent la moindre condamnation. En effet, pas un seul agent rwandais ou ougandais n’a été poursuivi devant les juridictions internationales pour les atrocités infligées aux populations du Congo. C’est la logique internationale du « deux poids deux mesures » crument appliquée à un peuple innocent, le peuple congolais.
Les puissances d’argent qui imposent une telle omerta sur les massacres du Congo, un seul homme a assez de pouvoir, d’autorité morale et de responsabilité dans l’histoire pour leur faire face : le Président de la première puissance, présenté comme l’homme le plus puissant du monde[2]. Seul l’engagement personnel du Président Obama sur ce qu’il convient d’appeler l’holocauste congolais peut apporter un début d’amélioration de la situation.
On est légitimement tenté de croire que la mort de six millions d’enfants, de femmes et d’homme mérite une attention particulière du Président des Etats-Unis, hier comme aujourd’hui et demain. Avoir été Président de la Première puissance du monde et avoir laissé se perpétrer des actes aussi abominable que ceux qui se produisent au Congo serait un choix assez étonnant.
Reste que l’implication du Président américain, s’il décide de s’impliquer, va devoir se heurter à au moins trois difficultés, et non les moindres.
La première difficulté est qu’il va falloir affronter directement ou indirectement les multinationales, leurs lobies et les filières impliquées dans le trafic des minerais de sang en provenance du Congo, en passant par le Rwanda et l'Ouganda.
La deuxième difficulté est qu’il va falloir mettre fin aux trois régimes qui endeuillent le Congo depuis maintenant trop longtemps : le régime rwandais de Paul Kagamé, le régime ougandais de Yoweri Museveni et le régime de leur protégé à Kinshasa, Joseph Kabila. Les trois Présidents font partie d’un même système, sont amis personnels et mènent, à l'égard du Congo, une même politique de prédation, désastreuse pour les populations mais concertée au sommet des trois Etats. Il est impossible d’arrêter les massacres au Congo en laissant ces trois Chefs d'Etat en place.
Les Présidents rwandais et ougandais ont la particularité d'avoir un penchant assez inquiétant pour la violence armée. Ils ont provoqué plus de guerres que n’importe quel autre chef d’Etat en exercice en Afrique[3], et causé plusieurs centaines de milliers de morts, notemment au Congo. Peu importent les raisons, mais en provoquant autant de conflits armés, on devient un personnage inquiétant. Ils représentent, de ce fait, une menace permanente pour la paix. Les laisser au pouvoir fait craindre des guerres effroyables dans un avenir prévisible. D’autant plus qu'ils font du pillage du Congo une source de revenu comme une autre, comme à l’époque de la conquête de l'Amérique par les rois d’Europe ou des razzias arabes menés contre les populations de l’Afrique noire.
Cependant, ces régimes (Ouganda et Rwanda) étant des alliés des Etats-Unis, le Président américain peut, dans un premier temps, arrêter de les financer et de les équiper militairement. On ne peut pas admettre que le contribuable américain paie ses impôts pour financer des armées qui commettent autant d’atrocités et de pillages. Il faudra par la suite les inciter à quitter le pouvoir, et ils ne peuvent nullement résister à l'ordre de Washington. Ils ont, tous les trois, causé trop de souffrance aux populations de la région, et surtout trop longtemps (Museveni, 26 ans ; Kagamé, 18 ans ; Kabila, 11 ans).
Dans tous les cas, les trois régimes n’étant pas destinés à durer éternellement, il n’y a pas de tabou à ce qu’on envisage de les accompagner vers la sortie.
La troisième difficulté sera de s’assurer que le départ des trois dictateurs se déroule avec le moins de dégâts possibles et que leurs successeurs œuvrent pour la paix dans la région.
Barack Obama peut aussi décider de ne rien faire. Il sera dès lors difficile pour les Africains et les Noirs en général, d’accuser les dirigeants occidentaux d’inaction. On dit souvent que les Occidentaux n’agissent pas parce que ce sont des Noirs qui se font massacrer. La réplique sera immédiate : « au moment où six millions de Noirs se faisaient massacrer au Congo, un Président noir était resté indifférent à la Maison Blanche ». Même l’Amérique se demandera si, après être passé à côté d’un holocauste comme celui-là, à quelques distances du pays de son père, Barack Obama mérite vraiment de figurer aux côtés de ses illustres prédécesseurs (Roosevelt, Lincoln, Clinton,…).
Boniface MUSAVULI
[1] Les experts de l’ONU ont signalé l’entrée à Goma de plus de mille soldats de l’armée nationale rwandaise (http://www.rfi.fr/afrique/20121203-rdc-le-rwanda-aurait-facilite-prise-goma-le-m23-selon-experts-onu).
[2] http://www.boursier.com/actualites/economie/obama-reste-l-homme-le-plus-puissant-du-monde-aux-yeux-de-forbes-17728.html?sitemap
[3] Guerre d’Ouganda (1981-1986 : Museveni Commandant, Kagamé un des officiers maquisards), guerre du Rwanda (1990-1994 : Kagamé avec l’appui de Museveni), Première Guerre du Congo (1996-1997 : guerre d’agression déclenchée par les Présidents Kagamé et Museveni), deuxième Guerre du Congo (1998-2003 : guerre d’agression déclenché par les mêmes Présidents), guerre du CNDP/guerre du Kivu (2003-2009 : provoqué par le général Laurent Nkunda soutenu et aujourd’hui protégé par le Rwanda), guerre du M23 (2012 : milice créée, soutenue militairement et parrainée par les régimes de Museveni et de Kagamé, selon les rapports de l’ONU). Aucun autre Président en Afrique n’a provoqué autant de guerres.
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