Mauritanie : la démocratie peut encore être sauvée
Comme l’indique le dernier communiqué de leur organisation, "messieurs Abdoullah Ould El Mounir et Omar Ould Dedde Ould Hammady, deux membres dirigeants de For-Mauritania, arrivent à Nouakchott" ce mercredi par un vol de la compagnie Royal Air Maroc.
Le FNDD [1] et For Mauritania sont deux organisations démocrates mauritaniennes unitaires qui regroupent la majorité des tendances politiques opposées à la menace que fait peser la junte du général Aziz sur l’avenir du pays.
Le coup d’état du 6 août 2008
Le 6 août 2008, un coup d’Etat mené par des militaires renverse le président élu, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Ce putsch met fin à l’exemple démocratique mauritanien [2] porteur d’espoir pour bien des pays d’Afrique pour qui la dictature ou l’instabilité est trop souvent la règle.
Suite à la prise du pouvoir par les militaires, l’ONU, l’Union Africaine, les Etats-Unis, l’Union Européenne, entre autres, condamnent fermement le putsch. L’Union Africaine exclue temporairement la Mauritanie, comme Madagascar, puisqu’elle ne reconnaît pas la légitimité de dirigeants qui violent ainsi la constitution. Elle propose des sanctions nominatives contre les instigateurs du coup d’état, quelle condamne en des termes très clairs [3] :
« (L’Union Africaine)
5- Réitère sa ferme condamnation du coup d’Etat et de toutes les mesures prises par ses auteurs pour consolider la situation née de ce coup d’Etat et réitère la légitimité de l’ordre constitutionnel représenté par les institutions démocratiquement élues lors des élections législatives et présidentielles organisées respectivement en novembre 2006 et mars 2007 ;
6- Exige le retour à l’ordre constitutionnel par le rétablissement inconditionnel de M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Président de la République islamique de Mauritanie, dans ses fonctions, à la date du 6 octobre 2008 au plus tard, et met en garde les auteurs du coup d’Etat et leurs soutiens civils contre les risques de sanctions et d’isolement qu’ils encourent au cas où ils ne répondraient pas positivement à cette exigence ;
7- Déclare nulles et de nul effet toutes les mesures de nature constitutionnelle, institutionnelle et législative prises par les autorités militaires et découlant du coup d’Etat du 6 août 2008 ; »
Le revirement français
La diplomatie française s’aligne dans un premier temps sur le concert de condamnations internationales [4] Ce positionnement s’accompagne alors de la réception de démocrates mauritaniens par les instances de la République.
- Rencontre entre parlementaires français et mauritaniens en novembre 2008
- De gauche à droite : le Député Ba Alioun Ibra, les Présidents Messoud Ould Boulkheir et Bernard Accoyer (4ème à partir de la gauche) et d’autres personnalités du cabinet de l’Assemblée Nationale Française. (source : For Mauritania)
Puis, peu à peu, la position des autorités françaises s’oriente vers une acceptation progressive des putschistes. Cette déclaration du président Sarkozy, le 27 mars 2009, symbolise ce revirement :
« Lorsque le président démocratiquement désigné a été retenu, moi-même j’ai appelé, mais force est de constater qu’il n’y a pas eu un député, un parlementaire (mauritanien) qui a protesté et qu’il n’y a pas eu une manifestation. » [5]
Cette sortie, à moins de considérer que le président souffre d’incompétence grave en n’étant pas informé des relations avec les représentants des instances démocratiques mauritaniennes, ne peut être vue que comme un mensonge [6].
Les explications de ce revirement se trouvent probablement dans l’activation des réseaux françafricains qui s’est faite entre-temps. Robert Bourgi, l’homme des coulisses, souvent très près des dictateurs et des services français à la fois, a visiblement usé de son entregent dans cette affaire. Cela fut d’ailleurs confirmé lors d’un colloque à l’Assemblée Nationale organisé le 2 juin 2009 par le collectif Assez de Coups d’Etat. Le député socialiste, François Loncle, y dénonça le rôle trouble de l’Ambassade de France en Mauritanie, des officines, de la barbouzerie (en citant nommément Robert Bourgi) et l’impuissance totale du ministre des affaires étrangères. Il décrivit ensuite la politique africaine en des termes très clairs : seul l’Elysée décide, par le biais de Claude Guéant, sous l’influence des milieux d’affaires (représentés par Patrick Balkany), des officines privées et d’une partie des services secrets. Présent plus tôt, le député UMP, François Grosdidier, n’infirmera rien et parlera de la « campagne d’intoxication » menée par des « services occidentaux et des officines privées » dont le gouvernement légitime est la cible...
- Colloque à l’Assemblée Nationale le 2 juin 2009
- en présence des députés François Loncle et François Grosdidier
La junte, peut-être inquiète des condamnations internationales annonça en janvier 2009 la tenue d’élections le 6 juin. François Loncle rapporta cette question des parlementaires français à Alain Joyandet [7] : « Allez-vous cautionner cette élection bidon ? ». D’après le député, la réponse, embarassée, du Secrétaire d’État, fut positive, dans l’hypothèse du bon déroulement de ces élections. François Grosdidier précisa cette interpellation par une question au gouvernement le 3 juin, dans laquelle il demandait à être assuré que « la France reconnaîtra bien comme nulle et non avenue l’élection prévue le 6 juin, juridiquement anticonstitutionnel le et factuellement truquée ». Aucune réponse satisfaisante n’a encore été officiellement publiée.
Les démocrates mauritaniens contre le putsch
Les élections ont finalement été reportées au 18 juillet 2009, suite aux négociations menées à Dakar. Les organisations démocrates mauritaniennnes, soucieuses de ne pas plonger le pays dans le chaos, ont tout de même accepté d’y participer, tout en dénonçant à la fois l’ingérence française et la mauvaise volonté manifeste des putschistes.
Si on exclue les islamistes, presque l’ensemble de l’opposition mauritanienne s’y présentera donc sous la candidature unique de Messaoud Ould Boukheir. Mais la junte n’a pas encore respecté son engagement sur bien des points des négociations et les élections risquent de plus en plus de se dérouler dans de mauvaises conditions. La fraude de la part des militaires n’est pas exclue : les putschistes ont gagné le droit de s’y présenter et ils tiennent toujours l’administration territoriale.
Alors que les militaires multiplient les candidatures [8] et que le général Aziz était récemment reçu à l’hôtel le Prince de Galle à Paris, où il aurait rencontré Claude Guéant et Erard Corbin de Mangoux [9], les militants démocrates ont donc décidé de concentrer leurs efforts sur la campagne sur le terrain.
Elle s’annonce déjà difficile. L’arrestation, le 18 juin 2009, du responsable du site d’information Taqadoumy témoigne de la tension qui règne déjà autour des élections.
Les militants de For Mauritania, qui s’y rendent aujourd’hui, ont donc besoin de l’attention et du soutien de tous ceux qui sont attachés aux droits humains et à la démocratie.
Pour plus d’information sur la situation actuelle en Mauritanie :
L’émission Paris, Françafrique diffusée sur RFPP le 1er juin 2009
Le site de For Mauritania
[1] Front national pour la défense de la démocratie
[2] http://www.afrik.com/article11462.html
[3] cf le communiqué de l’Union Africaine du 22 septembre 2008
[4] écouter, par exemple, la communication de Romain Nadal, porte-parole adjoint du ministère des affaires étrangères, le 7 aout 2008.
[6] d’autant plus qu’aucune source proche du président légitime ne confirme l’appel téléphonique
[7] Secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie
[8] en particulier, celle de Ely Ould Mohamed Vall, ancien numéro 2 de la junte de 2005, cousin du général putschiste Aziz et très bien intégré dans les milieux français ; il est notamment membre de la Fondation Jacques Chirac
[9] le directeur de la DGSE... cette entrevue est indiquée dans La Lettre du Continent
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