Même le bon lobbying peut conduire à la débâcle
En septembre 2011, l’ONG Oxfam accusait dans son rapport New Forests Company et ses plantations en Ouganda, une compagnie britannique, la New Forests Company, d’être responsable de violations des droits humains, à la suite de l’expulsion de 20 000 personnes des réserves forestières ougandaises, pour laisser le champ libre à la reforestation de ces réserves pour laquelle la compagnie avait reçu une concession de 50 ans du gouvernement ougandais. Il faut dire que tout dans le pédigrée de cette entreprise qui se veut exemplaire la destine au rôle de vilain : financée par la Banque Mondiale, HBCS, et Agrivie, avec dans son conseil d’administration les suspects habituels, directeurs de banque etc. bref l’exemple parfait de l’accaparement des terres en Afrique par des vautours.
Des témoignages étaient présentés, « ils » ont brûlé ma maison, abattu mon troupeau etc. Il est reproché à cette compagnie d’avoir participé aux évictions, de ne pas avoir consulté les populations, de ne pas les avoir dédommagées. Ces trois critères sont essentiels pour recevoir la certification du Forest Stewardship Council qui lui-même délègue la responsabilité des enquêtes à des organes de certification (ASI). La FSC n’est pas à l’abri de controverses puisqu’elle a été accusée à plusieurs reprises d’avoir fermé les yeux sur des irrégularités et aussi sur des expulsions forcées et violentes.
Mais la question au cœur de cette affaire est celle du droit de tenure et des droits fonciers des paysans qui se sont installés sur des terres qui sont devenues des réserves forestières protégées en 1992. La constitution du pays adoptée en 1995 offre une protection minime aux droits coutumiers. Tous les paysans qui se sont installés dans ces réserves ou les ont cultivées car certains habitent en bordure avant 1992 auront droit à des indemnisations, les autres non. Aucun procès intenté contre le gouvernement ougandais dans ces conditions depuis l’existence des réserves n’a donné raison aux occupants illégaux.
À la suite de ces allégations, la NFC accepte d’ouvrir une enquête, la FSC se retourne contre la SGS qui a mené l’enquête et porte plainte contre cette société de certification. Alors que ce rapport fait le tour du monde, que les faits sont déformés puisque la NFC en arrive à être accusée du meurtre d’un enfant qui aurait brûlé dans l’incendie de sa maison dans un article du New York Times qui lui aussi fait le tour du monde, la NFC constitue ce qu’on pourrait appeler un solide dossier, réfutant les arguments un par un.
Il y a eu consultation : tous les résidents des forêts ont été inscrits, photographiés, interviewés par la NFC et de nombreuses réunions ont été organisées. La SGS a un dossier de 4 ans pour le prouver. Le chiffre de 20 000 personnes est réfuté : il provient d’une enquête contestée et payée par la NFC, alors que le dernier recensement datant de 2007 comptait environ 7000 occupants illégaux.
Les violences n’ont pas été signalées. La Commission des droits humains ougandaise, la police, les chefs du district, les différents ministères compétents, tous affirment ne pas avoir entendu parler de violences, et relèvent la nature pacifique et volontaire des évictions. Des journaux de l’époque datant du 12 janvier 2010 semblent confirmer cela, précisant que les occupants illégaux avaient été autorisés à revenir dans les réserves forestières pour récupérer leurs possessions et faire leurs récoltes avant qu’elles soient détruites pour laisser la place à la NFC.
La NFC n’a pas participé aux évictions. Ces évictions relèvent uniquement de l’autorité forestière nationale. Ceci est confirmé par un communiqué de presse du gouvernement ougandais qui confirme de surcroît qu’aucune violence n’a été signalée.
La NFC a proposé à plusieurs reprises d’indemniser les paysans, mais en a été empêchée par le gouvernement ougandais qui a plus de 300 000 occupants illégaux dans ces réserves et ne souhaite pas créer de précédents, et qui a par ailleurs l’unique compétence en la matière. Ceci est toujours confirmé par le même communiqué de presse.
Oxfam prétend également qu’il y a deux procès en cours intentés par les paysans contre la NFC alors qu’un premier a été débouté en février 2010 et que le deuxième est en cours de l’être. Les pièces du dossier légal sont ici avant tous les détails des procès et les photocopies des jugements.
Après une enquête du FSC qui conclut à l’innocence de la NFC ou du moins au fait que la compagnie a satisfait les critères de certification et qui accuse notamment Oxfam d’avoir soudoyé certains occupants illégaux, Oxfam n’abandonne pas et place le débat sur le terrain moral et non plus légal, refusant les conclusions de l’enquête et reprochant à la compagnie d’être moralement responsable des violences commises contre les paysans et de leur perte de moyens de subsistance. Le 10 janvier, la NFC décidait de jeter l’éponge à la suite d’une perte de promesse de financement de 15 millions de dollars, de fermer ses opérations en Ouganda et de licencier ses 500 employés.
À ce jour, la question des violences n’a toujours pas fait l’objet d’une enquête, et n’a donc pas été tranchée. Il est fort possible qu’il y ait des affrontements entre les forces de la police et les occupants illégaux, après tout n’est-ce pas ce qui s’est passé lors de l’expulsion de Dale Farm en Angleterre, mais il semble que la majorité des occupants aient pris les devants et choisi de partir volontairement. Ils ont certainement perdu leurs moyens de subsistance, mais le gouvernement ougandais leur a offert des terres qu’ils ont refusées, sous prétexte que la superficie était trop petite et la solution temporaire.
Mais le fait ici est qu’il s’agit d’une question de souveraineté nationale. L’Ouganda a un cadre légal relativement bien défini, la question foncière est névralgique, comme elle l’est dans le reste de l’Afrique, et demander à une compagnie étrangère d’ignorer les lois d’un pays, et utiliser pour cela des allégations non corroborées ou totalement fausses pour faire pression sur cette compagnie, l’obliger à fermer et à reconstruire une réputation en ruines est totalement irresponsable. Les évictions se produisent quotidiennement en Ouganda pour laisser la place à des entreprises ougandaises. Pourquoi Oxfam n’en a-t-elle pas parlé ? Simplement parce que la cible principale n’était pas la NFC mais un de ses financiers et que la compagnie n’était juste qu’un pion sur l’échiquier qui pouvait être sacrifié avec ses 500 employés. Les entreprises ougandaises qui conduisent à des expulsions n’intéressent pas Oxfam, pas plus que les personnes qu'elles expulsent
Il n’y a pas de bon lobbying à partir du moment où les forces en présence sont inégales, où la machine médiatique peut détruire la réputation de n’importe qui, sans recours possible. Cette compagnie qui a construit plusieurs écoles dans ses zones d’opérations, des dispensaires, formé des apiculteurs, qui a permis à l’Ouganda de ne plus importer du bois en provenance de l’Afrique du Sud pour la construction de pylônes, est l’autre facette du développement, de celui des ONG qui ont échoué à extraire l’Afrique de la pauvreté, mais surtout celle que sont en train de choisir les Ougandais qui veulent développer économiquement leur pays, attirer des investissements, et surtout ne pas recevoir de leçons comme au bon temps colonial sur ce qui est bon ou non pour leur pays (je recommande cet article écrit par un Ougandais qui en a assez de la « charité » et des ONG). Et il ne s’agit pas tant d’émettre un jugement sur le bien-fondé de ces investissements, après tout Oxfam y est favorable, et sur la nature éthique et sur la responsabilité sociale de cette entreprise car on rentrerait ici dans un débat idéologique, mais de ne laisser ni les bons ni les mauvais être jugés par des tribunaux populaires, par les médias (une réaction sur un article de France Inter n’a pas été publiée), ou par des entreprises de lobbying, aussi bien intentionnées soient-elles. La lutte est inégale, et dans le cas présent totalement immorale, puisque tout procès prévoit le temps et l’espace à l’accusation et la défense de présenter leurs arguments.
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