Menaces sur l’Asie : un avis officiel, mais sans suite !
Selon le directeur général de la BDA (Banque de développement asiatique), Rajat Nag, l’Asie est menacée par les disparités économiques croissantes qui génèrent des tensions sociales et d’autres menaçantes. Et d’alerter les dirigeants politiques et les responsables des milieux d’affaires sur la gravité de la situation afin qu’ils réagissent tout de suite...
C’est un avis officiel émanant d’une bouche plus qu’autorisée qui annonce au monde que l’Asie est de facto coupée en deux sur le plan du développement et que l’accroissement constant des inégalités sociales criantes au sein des pays du continent menace la stabilité de l’ensemble de ce dernier. Et cela dans un cadre où les données chiffrées auraient pu sembler plutôt porter à l’optimisme.
La voix de la BDA et les réalités profondes de l’Asie
Les récentes déclarations publiques du directeur général de la BDA, banque qui est censée coordonner les efforts communs de développement en Asie, méritent d’être largement diffusées car leur contenu contraste singulièrement avec de nombreuses analyses données depuis plusieurs années sur la situation concrète du continent.
Ces déclarations publiques ont éte faites à Singapour, devant les participants du Forum économique mondial en Asie orientale le 24 juin et elles ont été reprises par de nombreux médias asiatiques. Nul doute qu’elles puissent aussi intéresser l’opinion française et européenne puisque nous vivons, il est vrai, sur la même planète à l’heure de la mondialisation de l’économie et des problèmes internationaux liés les uns aux autres.
Il convient donc de s’intéresser à un vrai cri d’alarme, émanant d’une source officielle, et d’examiner avec minutie les éléments qui fondent et justifient l’appel angoissé et pressant de M. Nag.
L’accroissement des richesses et des inégalités sociales : la grande menace
Les médias et agences de presse asiatiques ont retenu quelques données de l’exposé fait à ce forum par le dirigeant de la BDA. En voici les principales :
- l’accroissement de la richesse globale du continent a été très important- M. Nag utilise même l’adjectif "énorme", mais il a été accompagné par un approfondissement non moins spectaculaire des disparités sociales entre riches et pauvres ;
- bien que l’Asie comme continent soit devenu plus riche globalement, plusieurs indicateurs sociaux y soulignent des situations humanitaires pires qu’en Afrique sub-saharienne ;
- selon la BDA, 1,9 milliard de personnes en Asie subsistent avec moins de 2 dollars US par jour tandis que plus de 2 milliards n’ont soit aucun accès aux soins médicaux et à l’eau potable, soit un accès insuffisant par rapport aux besoins.
Citons directement quelques déclarations de M. Nga, reprises par un quotidien anglophone, le Taipei Times, en date du 25 juin :
"Nous croyons que les disparités croissantes qui font qu’une Asie se développe très bien tandis qu’une autre lutte pour sa survie derrière, concentre en elles-mêmes les racines de très graves tensions sociales et politiques qui peuvent, aujourd’hui, menacer l’entière prospérité de la région. Les responsables politiques, comme les milieux d’affaires, doivent s’occuper de ces inégalités montantes. Il est nécessaire de faire le choix de politiques publiques qui encouragent la croissance économique, mais qui y incluent tout le monde."
Un échange actif a eu lieu sur ces questions au sein de ce forum économique, dont il peut paraître intéressant de noter quelques points forts.
Conscience politique et moyens politiques : enjeu et contradictions
A l’évidence, le discours et le rapport du directeur général de la BDA ont nourri les discussions du forum et ont permis de montrer que nombre de responsables politiques du continent en étaient conscients, mais aussi les limites actuelles de leur action.
Les participants, qui représentent largement les milieux d’affaires internationaux, ont fait un état des lieux instructif, de leur point de vue propre : ils ont surtout pointé les concentrations urbaines excessives avec leur cortège de problèmes criants (crimes, violences, insécurité), le manque d’instruction générale des populations et des infrastructures matérielles inadéquates ou insuffisantes par rapport aux besoins de la croissance économique rapide du continent.
Le ministre des Affaires étrangères de Singapour, George Yeo, a précisé de son côté que l’urbanisation accélérée sur le continent avait généré des problèmes politiques et économiques ainsi que des tensions ethniques et/ou religieuses. Il a appelé à fixer une direction claire à la politique d’urbanisation afin d’assurer l’avenir de l’Asie. Il a indiqué : "Près de 3 milliards de personnes, notamment en Chine et en Inde, sont en voie de rejoindre le marché mondial et ce sera dans les concentrations urbaines que tous les problèmes vont se concentrer. Ces mégalopoles peuvent, soit devenir des foyers brillants de l’économie mondialisée, soit se transformer en des terrains fertiles pour la violence, la criminalité, l’extrémisme et le malheur".
La présidente des Philippines, Gloria Arroyo, après avoir envisagé une Asie séparée ainsi en deux pour les 40 prochaines années, a indiqué à la presse lors d’un point questions-réponses que, selon elle, "le XX1e siècle est en train de nous apporter les vrais problèmes mondiaux. Pas seulement l’intégration au marché économique mondial, mais aussi des dégradations environnementales, des poches de pauvreté et la menace permanente du terrorisme, et tout cela nécessite des solutions mondiales et une direction politique continentale, et pas seulement une direction nationale".
Sur ces questions d’urbanisation excessive et incontrôlée, le rapport de la BDA publié en décembre 2006 annonçait que la population urbaine en Asie va augmenter de 70 % dans les 25 prochaines années et passer à 2,6 milliards de personnes. Elle indique que cela conduirait à des problèmes de circulation quasi ingérables ("congestion de la circulation"), à une pollution aggravée, à une qualité de vie diminuée et à une pauvreté accrue.
Il s’agit-là bien d’un rapport officiel public.
Réalités sociales, analyses et impuissance politique
L’intérêt de ce rapport de la BDA et du discours public du dirigeant de cette banque continentale est que la vérité sur les menaces directes et indirectes qui planent sur l’Asie y est dite clairement et que les causes profondes en sont publiquement identifiées.
Il manque cependant à ce rapport et aux déclarations du représentant de la BDA un élément essentiel : les remèdes aux maux énoncés et les moyens politiques, donc aussi financiers, pour les appliquer.
Il peut apparaître regrettable - voire irréaliste -, en tout cas contraire au pragmatisme tant vanté dans les cercles politiques continentaux comme la vertu principale, que de si officielles autorités soient aussi précises sur les dangers qui pèsent sur l’Asie et aussi silencieuses sur les voies permettant de parer à ces mêmes dangers urgents.
On pourrait voir dans cette absence de solutions proposées un aveu d’impuissance implicite.
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