Michel Collon : « Pour régler le problème du Moyen Orient, il faut cesser de soutenir le terrorisme et cesser les ingérences »

Nous sommes allées à la rencontre du journaliste et essayiste belge de renom, Michel Collon, afin d’avoir un éclairage bienvenu sur les derniers développements sécuritaires et politiques survenus au Proche-Orient, ainsi que sur l’incident du bombardier russe abattu par la chasse turque.
- Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, un avion russe a été abattu par un pays membre de l’OTAN, en l’occurrence la Turquie. A votre avis, qu’est ce qui a poussé la Turquie à agir de la sorte ?
La Turquie n’a certainement pas agi sans l’accord de son mentor, Washington. Il faut donc analyser les motivations d’Obama et d’Erdogan. Ce dernier a été poussé au départ par la France d’Alain Juppé dans l’opération américaine de renversement du président syrien, Bachar Al Assad. Pour les grandes puissances, cette opération a consisté très tôt à s’approprier et à soutenir les forces d’oppositions en Syrie. Les Etats-Unis étant incapables d’imposer un « Regime Change » en Syrie, ceux-ci parient donc maintenant sur une guerre d’usure, afin d’affaiblir considérablement les Etats et les forces qui leur résistent encore au Moyen-Orient.
- Doit-on s’attendre à des représailles d’ordres militaires de la Russie à l’encontre de la Turquie ?
Poutine qui a joué comme un joueur d’échec, ne tombera pas dans ce piège. Toutefois, des sanctions commerciales dures sont à attendre, ce qui fera regretter à la Turquie l’aventurisme irréfléchi de son président.
- Un ex-commandant de l’OTAN a récemment déclaré : "J'ai toujours eu l'impression qu'Ankara soutenait l'EI (l’État Islamique). Qu’en est-il réellement sur le terrain ? Est-ce que Erdogan et son gouvernement soutiennent les groupes terroristes en Syrie ? Et quelle est la nature de ce soutien ?
Erdogan a soutenu les différentes forces terroristes actives en Syrie, les unes étant appelées « modérées », quoique elles aussi criminelles, et les autres qui gravitent autour de l’Etat Islamique. La Turquie d’Erdogan les a aidé en laissant et en encourageant tous les jeunes djihadistes venus d’Europe et d’ailleurs commettre des actes terroristes en Syrie. Erdogan a aussi facilité le financement de Daech en lui achetant directement le pétrole volé à la Syrie.
- Erdogan joue-t-il la carte des groupes terroristes islamistes afin de s’imposer aux yeux des populations arabo-musulmanes comme l’unique sultan à la tête d’un empire ottoman ressuscité ?
La Turquie est à la croisée des chemins, elle a deux options qui s’offrent à elle : Premièrement, c’est de prendre en compte que les rapports de force dans le monde ont changé, les Etats-Unis ne sont plus les tout puissants gendarmes du monde, car ils sont sur le déclin malgré leur nocivité frappante. Deuxièmement, le rapprochement entre le Russie et la Chine, ainsi que la montée en puissance des pays du Sud, tels le Brésil, l’Inde ou encore la majorité des pays d’Amérique latine, qui veulent échapper au chantage des multinationales et de la Banque mondiale (FMI), font que la bataille décisive se joue actuellement en Asie. Les Etats-Unis veulent absolument éviter une alliance entre la Russie, la Chine et l’Iran, synonyme de perte totale du marché asiatique pour elle et ses multinationales.
Dans ce contexte, la Turquie, avec sa position stratégique, sa population, ses forces culturelles, pourrait jouer un rôle central dans une alliance des pays de la région contre le monde unipolaire des Etats-Unis. Or, jusqu’à présent, la voie choisit par Erdogan, est celle d’un alignement avec ces derniers, et une alliance avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui sont les pires régimes que l’humanité ait connu.
Erdogan, pour imposer son Empire ottoman, choisit la voie militaire et agressive en Syrie, pour le plus grand malheur de la population syrienne depuis quatre ans.
- Les capacités de nuisances des groupes terroristes takfiristes semblent illimitées. Faut-il craindre de nouvelles vagues de violences en Europe ou en Amérique du Nord ?
Absolument, car la radicalisation en Europe et en Amérique se nourrit à la fois des inégalités sociales et du contexte international. Que ce soit aux Etats-Unis, en Belgique, ou en France, une pauvreté terrible se répand. L’écart riches-pauvres explose, énormément de gens n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins, ou à payer l’éducation des enfants. Ici il faut aussi mentionner les discriminations policières et racistes dont sont victimes les enfants d’immigrés, aussi bien dans les écoles, sur le marché de l’emploi ou dans la vie quotidienne. Beaucoup de jeunes se sentent donc rejetés par la société qui prétend les intégrer.
Il ne faut donc pas être surpris lorsque des jeunes sont influencés par des idées extrémistes propagées à coups de milliards de dollars par l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui répandent une vision déformée de l’Islam, qui encourage les jeunes à baigner dans la haine et à devenir de la chair à canon pour ce que j’ai appelé l’ « opération Ben Laden Bis ». Celle-ci mise en place par la CIA, financée par les Etats du Golfe et facilitée par la Turquie, consiste à lobotomiser des jeunes, à les financer, et à les entrainer afin de renverser des gouvernements, comme ce fut le cas dans les années 1980 en Afghanistan, en Yougoslavie dans les années 1990 et actuellement en Syrie. Il ne faut donc pas s’étonner que certains de retour en Europe occidentale fasse du terrorisme chez nous.
- Le premier ministre français Manuel Valls aurait refusé il y’a deux ans une liste de djihadistes français opérant en France et en Syrie. Les attentats de Paris auraient-ils pu être évités. Le salut de l’Europe ne passe-t-il pas par une coopération accrue avec les services de renseignements syriens, libanais ou irakiens, qui combattent le terrorisme en première ligne ?
C’est absolument évident qu’une coopération entre les différents services de renseignements est nécessaire. Malheureusement, Manuel Valls aurait refusé les offres faites par Damas de fournir des renseignements sur des terroristes préparant des attentats en France. Si cela s’avère exacte, Manuel Valls a bien évidemment une responsabilité criminelle dans l’affaire des derniers attentats de Paris, des actes terroristes qui risquent de se reproduire je le crains.
- L’ex Premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon a appelé l’actuel gouvernement à soutenir le Hezbollah, les Kurdes et les armées syriennes, dans la guerre contre Daesh. Le réveil n’est-il pas tardif ?
Nous aurions aimé que M. Fillon n’ait pas fait quand il était Premier ministre le contraire de ce qu’il propose maintenant, mais mieux vaut tard que jamais. Je me réjouis que dans la droite française et européenne, certaines personnalités lucides se rendent compte que nous avons fait fausse route, que la politique de Sarkozy, de Bernard Henri-Levy, de Fabius et de Hollande, est une politique criminelle, que les gouvernements ont alimenté le terrorisme afin que les multinationales prennent le contrôle du Moyen Orient, et enfin, qu’il convient de toute urgence de rompre les liens avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, exiger de la Turquie un changement radical de sa politique et cesser toutes les formes de soutien à Daech. A ce moment-là, le terrorisme ne sera certes pas supprimé totalement, mais sa capacité de nuisance sera largement réduite.
- Après plus d’un an de frappes aériennes sur la Syrie et la Lybie, les résultats semblent bien maigres, au contraire des résultats russes après seulement un mois de frappes. Peut-on considérer que la coalition de l’OTAN fait de la figuration plus qu’elle ne combat le terrorisme ?
Des analyses ont montré que les Etats-Unis et la France avaient opéré des piqures de moustiques par rapport à l’Etat Islamique. Je pense même que l’intervention étrangère en Syrie n’est pas anodine, sous couvert de combattre le terrorisme, les grandes puissances continuent secrètement d’affaiblir l’armée syrienne, afin de concrétiser leur vieux rêve de renverser Bachar Al Assad.
Il est clair qu’une alliance internationale serait nécessaire, mais il ne faut pas se faire d’illusions. Il est impossible de régler un tel problème en bombardant un pays, ou même en engageant des troupes au sol. La solution fondamentale pour régler le problème du Moyen Orient, c’est de cesser de soutenir le terrorisme de toutes les façons, de cesser les ingérences. Pour résumer, il faut mettre fin au colonialisme. Théoriquement celui-ci a disparu, à part Israël, mais dans les faits, Washington, Bruxelles, Londres, Paris, s’imaginent encore que le sort du monde leur appartient.
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