Mort du roi d’Abomey Dedjalagni Agoli-Agbo...
Franck ABED : Beaucoup oublient ou ne savent pas que le Bénin fut une colonie française. En effet, Le Bénin a accédé à l'indépendance complète le 1er août 1960, sous la dénomination de République du Dahomey. Les pouvoirs furent transmis au président Hubert Maga par le ministre d'État français Louis Jacquinot. En 1972 l'officier Mathieu Kérékou prend le pouvoir : il adopte en 1974 le marxisme-léninisme comme idéologie officielle du gouvernement et en 1975 rebaptise le pays République populaire du Bénin. Aujourd’hui que reste-t-il de la présence française au Bénin ?
Claude Timmerman : Je crois utile pour mieux comprendre, de retracer rapidement un peu de l’Histoire, qui est riche, de cette fameuse « côte des esclaves »…
Schématiquement, on pourrait dire que des entités politiques organisées existent dès avant le XVIeme siècle dans cette zone dominée par les Yorubas (très présents au sud à l’ouest du Niger encore aujourd’hui dans l’actuel Nigéria) et les Fons proches des Ewes, populations côtières majoritaires au sud au Togo…
L’histoire de l’actuelle république du Bénin se confond avec celle de la confrontation, des alliances et des rivalités de ces deux groupes ethniques, mais l’histoire qui nous intéresse plus directement concerne le sud, c’est celle des Fons dont l’activité économique sera florissante dès le XVIeme siècle grâce à l’arrivée de marranes portugais qui vont enrichir considérablement la zone côtière par le commerce très spécifique de la traite négrière à l’exportation…
Au XVIIeme siècle cette zone compte trois royaumes politiquement organisés, tous issus de tribus de Fons où les occidentaux fondent des comptoirs :
- Danxomé (nom qui sera traduit par les occidentaux en « Dahomey ») au nord de capitale Abomey
- Allada ou Adanwssa (en dialecte Fon) de capitale Savi
- Xweda enclave indépendante côtière du sud-ouest, de capitale homonyme qui sera traduite par les occidentaux en « Ouidah ». Vassal alors du royaume d'Allada, le royaume de Xweda est alors très souvent mentionné dans les récits d'expéditions européens. Il entre dans l'histoire en 1671, quand les Français fondent un comptoir à Savi, sa capitale.
Danxomé attaque et conquiert Allada en 1724, puis Savi (Xweda), déjà vassal d’Allada, en 1727 ; il prend ainsi le contrôle de la principale route commerciale menant à la côte, érige la traite des esclaves en monopole royal et renforce son Etat centralisé à Abomey, la capitale du Royaume.
Sa puissance militaire est le fait d’une troupe d’élite d’amazones - qui ont enflammé l’imaginaire européens au temps de Béhanzin et de la colonisation - dénommées les Agon’djié.
Ce qui signifie en langue fon « Ote-toi de là.. »
C’est à ce royaume fon du Danxomé dit « Dahomey » couvrant alors pratiquement la moitié sud de l’actuel Bénin que va se heurter le colonisateur français à la fin du XIXemesiècle, et singulièrement à Béhanzin qui en sera le dernier empereur régnant…
Ce prince, dénommé Kondo, est couronné roi Béhanzin le 6 janvier 1890 - après la mort de son père le 28 décembre 1889, au terme de près de quarante années de règne - son demi-frère Ahanzo, héritier direct du trône, étant mort mystérieusement (sans toute empoisonné par Kondo lui-même).
Le règne de Kondo, dit Béhanzin, commence rituellement dans le sang des sacrifices humains…
Or, deux ans avant, le 13 mai 1888, le gouvernement impérial brésilien, dernier état esclavagiste des Amériques avait promulgué la Loi d'or qui supprimait l'esclavage, et du même coup le dernier client de la traite atlantique.
La tradition rapporte qu’au-delà des 14 garçons et 14 filles rituellement sacrifiés lors des couronnements à Abomey, des centaines de captifs - destinés à la traite, mais ne trouvant plus alors preneur vers l’Amérique - furent alors égorgés en l’honneur de l’avènement du souverain…
Béhanzin s’opposa violemment à la colonisation française (et est aujourd’hui devenu symbole de la résistance nationale)
Après de nombreux combats, dont certains parfois victorieux, Béhanzin fut finalement vaincu et déporté en Martinique en 1894, il mourra, toujours exilé mais ramené en Algérie, en 1906…
Depuis cette date les rois d’Abomey, par l’entremise des « régents des maisons royales », ont conservé un important statut coutumier et religieux, durant toute la période coloniale…
Ils sont aussi les garants de la religion : le vaudou dont tous les dignitaires font allégeance au roi.
[Rappelons à ce sujet - aussi mystérieuse et angoissante que puisse apparaître cette religion - que le vaudou, religion animiste côtière essentiellement togolaise et béninoise, toujours localement très présente, apportée par les esclaves aux Antilles, n’a pratiquement rien à voir avec la version dégénérée, présentée là-bas aujourd’hui à des touristes naïfs, notamment à Haïti, à travers des cérémonies folkloriques forgées de toutes pièces…]
Sur le plan intellectuel, le Dahomey est certainement la colonie qui a fourni le plus grand nombre d’étudiants et de cadres en Afrique noire, au point que pays fut surnommé « le quartier latin de l’Afrique ».
Si le pays est devenu indépendant sous le nom de « Dahomey », sous la pression des ethnies Yoruba - qui couvrent la moitié nord et est du pays – qui voyaient par-là privilégier les Fons, le nom fut changé en « Bénin », historiquement neutre, par le président Kérékou, espérant trouver là un concensus national.
Mais la tentation marxiste autoritaire - déjà présente au Togo avec Gnassimbé Eyadéma grand admirateur du leader coréen Kim Il Sung, - n’épargna pas le Bénin avec Kérékou !
Natif de Natitingou (Zone de l’Atakora au nord du pays), ex major de l’armée française, il prend le pouvoir en 1972 à la suite d’un coup d’état, et instaure un régime communiste où la nationalisation systématique des outils de production s’accompagne d’une implacable répression et d’un conditionnement des mentalités fondé sur les pratiques maoïstes.
Ainsi, le balayage des rues, deux heures durant le dimanche matin, par l’ensemble de la population devint une pratique civique obligatoire…
[Etant alors à Lomé (Togo) on m’avait prévenu de ne jamais aller à Cotonou le dimanche matin !]
De même que la salutation fut politiquement ritualisée : plus question de dire bêtement « Bonjour ! » ou « Comment cela va ? ». L’échange devait être le suivant :
- Salutation : « Prêt pour la révolution camarade ? »
- Réponse : « La lutte continue ! »
Tout un programme…
Mais dans les années 1980 le pays doit négocier des accords contraignants, notamment avec le FMI qui impose alors un peu partout en Afrique le pluripartisme politique. Mathieu Kérékou accepte de convoquer une "Conférence Nationale" destinée à établir de nouvelles institutions.
Finalement il sera le premier président africain à ouvrir la voie au multipartisme sous la pression des événements, après avoir dirigé le pays pendant trente ans, dont 18 de manière totalement autoritaire.
Son successeur Thomas Boni Yayi (un Yoruba), abandonnant le marxisme, sera à l’origine d’un redressement économique certain, fondé sur le retour au libéralisme, et pour s’attirer la sympathie des Fons, il reconnaîtra l’importance du rôle coutumier, social et religieux, de la dynastie d’Abomey.
Son successeur, l’actuel président Patrice Talon, (Fon, d’Abomey par sa mère et de Ouidah par son père) richissime homme d’affaire - ancien soutien de Boni Yavi avant d’avoir été accusé d’avoir fomenté un coup d’état contre lui en 2012 - poursuit cette politique.
Son appartenance naturelle au peuple du royaume le conduit à tenir le plus grand compte des avis de la dynastie qui est redevenue un acteur incontournable de la vie du pays.
Franck ABED : « Il fait nuit sur le royaume ! », a lancé le premier ministre du royaume d’Abomey (ou Dahomey), dans le sud du Bénin, à quelque 30 000 personnes venues célébrer, samedi 11 et dimanche 12 août, la disparition du souverain local, Dadah Dédjalagni Agoli-Agbo, survenue début juillet. La mort de ce dernier a laissé indifférente notre classe médiatico-politique. Que pourriez-vous nous en dire sur le feu roi ?
« Il fait nuit sur le royaume », est la formule consacrée, lancée le Premier ministre du royaume d'Abomey, pour annoncer la mort du roi. Jamais on ne prononce le mot « mort »…
« Dans la tradition, on dit que la fièvre s'est emparée du royaume tant que la mort du roi n'a pas été officialisée par des cérémonies. Le décès du roi est synonyme d'une nuit qui tombe sur le royaume et le plonge dans l'obscurité. Il n'y a plus de manifestations grandioses ni aucune réjouissance tant que les cérémonies du roi n'ont pas pris fin. »
Ces cérémonies doivent durer au moins six mois.
Après le week-end des 11 et 12 août, elles se dérouleront dans la plus grande intimité.
Dédjalagni Agoli-Agbo était policier. Il était devenu roi d’Abomey en 2010.
Le souverain portait un cache-poussière en argent sur le nez, et se déplaçait dans un hamac avec porteurs pour les cérémonies. Tous les dignitaires vaudou lui avaient fait allégeance. Il était très populaire.
Il avait eu la lourde tâche de restaurer l’autorité morale et religieuse de la monarchie d’Abomey, tant mise à mal au temps de Kérékou, ce qu’il avait pleinement réussi.
C’est également lui qui réussit, fin 2012, à la demande du président Boni Yavi, à mettre un terme à la querelle dynastique qui minait la cohésion du royaume.
Même si la constitution du Bénin « ne reconnait aucune religion », selon la formule consacrée, les hommes politiques considéraient le roi comme « un très grand électeur » pouvant rallier à leur cause les votes fons et ils venaient de ce fait le voir à chaque veille de scrutin.
L’actuel président Patrice Talon et l’ancien président Boni Yayi lui avaient encore rendu visite très récemment. Il est décédé à 87 ans.
Franck ABED : Un successeur devrait être connu et révélé au public. Nombreux sont les personnes qui craignent que la succession soit troublées par des intrigues fratricides, comme cela a souvent été le cas. Effectivement, il faut que toutes les communautés du royaume se mettent d’accord pour désigner leur nouveau souverain. Aujourd’hui, il y a deux banches dynastiques rivales qui sont en compétition et revendiquent le titre de « roi d’Abomey ». Cela semble faire écho à la situation politique monarchiste en France. Qu’en pensez-vous ? Concernant le Bénin qui sera le futur roi selon vous ?
Claude TIMMERMAN : Il faut bien se replacer sans le contexte historique précédemment évoqué qui explique la complexité du problème : la dualité entre leroyaume d’Abomey et l’empire du Danxomé.
L’empire, s’il regroupait les trois royaumes précédemment évoqués, y comptait un certain nombre de rois locaux vassaux des maîtres de ces trois royaumes, chefs coutumiers toujours très respectés aujourd’hui…
Par ailleurs, on compte aujourd’hui onze (ou douze ?) dynasties royales, issues des souverains successifs du Danxomé siégeant au titre de l’ex-empire, à Abomey, et l’on s’accorde localement sur l’idée étonnante à nos yeux d’un concept de monarchie de partage.
Enfin la notion dynastique, au sens où nous l’entendons, est singulièrement compliquée du fait de la polygamie des souverains et de leur grand nombre d’enfants.
La désignation d’un roi tient plus d’un « consensus électoral impérial » que de la succession patriarcale dynastique…
Enfin la désignation par le roi régnant d’un successeur a toujours eu force de loi.
A cela s’ajoute enfin le poids de la religion : sans la manifestation favorable de l’oracle vaudou rendu à cette occasion, le « Fa », pas de nomination possible !
C’est dans ce contexte, quelque peu chaotique pour un royaliste européen que se place la question essentielle de la filiation de Béhanzin et de sa déposition par le colonisateur français.
Béhanzin destitué et exilé, c’est son frère, Agoli-Agbo, qui prend sa place sur le trône. Mais son règne s'achève en 1900. Le roi Dedjalini Agoli Agbo était son descendant direct, celui donc du frère cadet de Béhanzin.
Il partageait les titres de la royauté avec Houédogni Béhanzin un descendant direct de la branche aînée Behanzin, ancien médecin colonel de l’armée, mais frappé de « déchéance due à son indisponibilité de poursuivre les fonctions du trône ».
Un usurpateur, Kpannan Adoukonou Agonglo, est venu en 2008 brouiller les cartes, provoquant au passage une levée de bouclier des deux rois contre lui…
https://koaci.com/suite-putsch-royal-abomey-dedjalagni-recuse-houedogni-menace-3225.html
Finalement, à la demande expresse du président de la république du Bénin, Les rois Agoli-Agbo et Houédogni Béhanzin d’Abomey ont scellé leur réconciliation le dimanche 30 décembre 2012 au palais central d’Abomey, en présence des régents et représentants des onze dynasties, des chefs canton et des membres de la cour royale : une guerre dynastique de plus de 20 ans venait de trouver son terme.
La proclamation du palais souligne :
« Dah Allogbozin Béhanzin, régent de la collectivité Béhanzin, préoccupé par la crise latente qui divise la collectivité Béhanzin et le tissu royal d’Abomey, a pourvu au trône du roi Béhanzin en désignant conformément aux lois et aux principes du royaume de Danxomè, Dada Fignakoun Béhanzin pour succéder à Dada Houédogni Béhanzin.
« Pour valider ce choix, Dah Allogbozin, a officiellement présenté Dada Fignakoun Béhanzin à sa majesté le roi Dédjalagni Agoli-Agbo à Wéhondji. Ce dernier a entériné la désignation de son frère, Fignakoun Béhanzin, et le reconnait désormais successeur légitime de Houédogni Béhanzin. Une décision qui vient non seulement mettre fin à la guerre de succession et de leadership qui se menait à Djimè, mais vient aussi rétablir et consolider les liens entre les douze dynasties de Danxomè. »
Autrement dit, le roi Agoli-Agbo avait reconnu en ce frère, descendant de la branche aînée, un roi légitime d’Abomey : la branche aînée s’en est remise aux conseils de la branche cadette…
Houédogni Béhanzin est décédé en juin 2013.
L’avenir nous dira si l’accord fera toujours concensus et si un successeur de la « monarchie partagée » sera donné à Dédjalagni Agoli-Agbo….
Certains, à l’esprit taquin, ne manqueront pas de voir là une certaine analogie avec les sempiternelles querelles dynastiques françaises : au Bénin, dans la dynastie régnante du Danxomé, il semble que cela soit tranché et que la branche cadette semble avoir imposé ses vues à la branche aînée…
Nous n’en sommes pas là dans le monde des Orléans !
Propos recueillis diffusés par Franck ABED le 2 septembre 2018
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