Mue politique : une comparaison Hamas/IRA
Tandis que la joute politique entre le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le nouveau Premier ministre Ismaël Haniyeh se poursuit, la communauté internationale observe avec une inquiétude teintée d’espoir la mue politique du Hamas s’initier. Quantité de prospectives et d’hypothèses ont été développées quant aux conséquences géopolitiques de l’accession au pouvoir du mouvement islamiste. L’une d’entre elles, publiée le 21 février dans le journal israélien Haaretz, mérite une attention particulière en raison de son originalité. L’auteur, un spécialiste des affaires politiques irlandaises et israéliennes, y confronte en effet les mues politiques de l’IRA et du Hamas, critiquant la vision selon laquelle l’avènement démocratique actuel du groupe terroriste palestinien serait une redondance de l’accession au pouvoir de son homologue irlandais durant les années 1980.
L’auteur y rappelle tout d’abord les arguments des partisans de l’adoption du "modèle irlandais" comme stratégie sur le long terme vis-à-vis du Hamas. Ceux-ci soutiennent que, à l’image de l’implication passée de l’IRA dans le jeu démocratique, l’intégration accrue du mouvement islamiste dans la sphère politique régionale mènera ce dernier à l’abandon de la lutte armée pour la politique pure. C’est par exemple l’avis de Richard Haass, ancien conseilleur pour le Moyen-Orient du président George Bush père et envoyé spécial américain en Irlande du Nord, qui, au lendemain de la victoire électorale du Hamas, avait déclaré que "l’enjeu" pour les Etats-unis et Israël était de "trouver progressivement un moyen d’amener [le groupe islamiste] sous la tente politique" de la même manière que les "Etats-unis, la Grande Bretagne et l’Irlande avaient traité avec succès avec [le Sinn Fein/IRA] et, sur un parcours d’une décennie, étaient parvenus à engager fondamentalement ce groupe dans le processus politique".
Sean Gannon, l’auteur, concède que "il y a bien sûr des parallèles historiques entre les deux situations. Les républicains irlandais avaient initialement boycotté les élections, soutenant qu’une participation impliquerait l’acceptation de la partition de l’Irlande et de facto la reconnaissance de la souveraineté britannique sur le Nord, de la même manière que le Hamas avait affirmé que son engagement dans les élections générales palestiniennes de 1996 impliquait l’acceptation des accords d’Oslo et de facto la reconnaissance d’Israël." Il rappelle également qu’aujourd’hui, le Sinn Fein dispose de plusieurs membres dans les parlements irlandais et britannique et constitue le second parti d’Irlande du Nord. L’ancien ministre suédois et architecte des accords d’Oslo, Terje Roed-Larsen, a d’ailleurs affirmé que le Hamas, à l’image de son homologue irlandais, a "construit son identité en s’opposant aux élections et aux institutions de l’Autorité palestinienne. Maintenant ils sont les maîtres des institutions qu’ils avaient critiquées".
Cependant, M. Gannon souligne que "les avocats du "modèle irlandais" devraient noter que la caractéristique fondamentale du processus de paix en Irlande fut [...] l’établissement d’une douteuse dichotomie complète entre les ailes "politique" et "militaire" du mouvement républicain, le Sinn Fein et l’IRA, qui malgré des structures organisationnelles séparées, comprenaient de doubles adhésions et un commandement fréquemment partagé. Ceci permit au mouvement républicain de progresser dans l’arène politique tout en continuant sa campagne terroriste. En effet, le Sinn Fein/IRA avait dès le début déclaré qu’il poursuivrait vigoureusement une double approche ; prendre le pouvoir en Irlande grâce aux bulletins de vote d’un côté et par les armes de l’autre".
"En conséquence, une grande partie des pires atrocités de l’IRA furent commises pendant les années 1980 et au début des années 1990 tandis que l’étoile politique du Sinn Fein continuait son ascension. Et malgré une tendance - depuis les années qui ont suivi les cessez-le-feu de 1994 et 1997 [...] - à traiter les républicains de la ligne dure comme des éléments instables, le Sinn Fein/IRA a continué ses recrutements et entraînements militaires, sa surveillance de cible et ses activités de renseignement, et a été impliqué par les forces de sécurité dans une dizaine de meurtres [...] En outre, "le mouvement a également continué de "lever des fonds" par le chantage, la contrebande et le braquage de banques [...] Et tandis que l’IRA a officiellement annoncé la fin de ses activités terroristes en juillet 2005 et supposément détruit son arsenal entier deux mois plus tard, la Commission de surveillance indépendante a rapporté aux gouvernements britannique et irlandais que l’IRA est toujours engagée dans des activités criminelles et paramilitaires et dispose certainement encore d’une partie de son arsenal."
L’on comprend donc aisément pourquoi les Etats-unis, "qui avaient joué un rôle majeur dans la légitimation de la division fallacieuse entre le Sinn Fein et l’IRA", insistent désormais lourdement sur le fait que le Hamas ne peut "avoir un pied dans la politique et l’autre dans le terrorisme". En outre, "même si une telle division existe au sein du Hamas entre les ailes politiques et militaires, le danger futur de l’élaboration d’une séparation semi-fictive entre le mouvement "changement et réforme" et les brigades "Iz al-Din al-Qassam" [...] ne peut être ignoré. En fait, c’est précisément ce que le chef du renseignement israélien, le général Ze’evi-Farkash, avait à l’esprit lorsqu’il a affirmé au bureau de la défense et des affaires étrangères de la Knesset en mars 2005 que le Hamas est en train d’examiner les moyens d’adopter le modèle irlandais".
L’auteur n’obère pas pour autant qu’en dépit de quelques questions demeurant en suspens, "il est indéniable que la situation quotidienne en Irlande du nord s’est incommensurablement améliorée". Et que "poussé par son pragmatisme inhérent et son goût pour les méandres du pouvoir politique, le mouvement républicain est aujourd’hui majoritairement encastré dans le processus démocratique. Il n’y aura jamais de retour vers la guerre totale".
Demeure cependant une différence fondamentale entre le Hamas et le mouvement républicain irlandais. Tandis que les demandes du second "étaient par essence compatibles avec une accommodation politique", ce n’est évidemment pas le cas des revendications du mouvement islamiste. En effet, le Sinn Fein/IRA n’a jamais eu pour objectif l’annihilation du Royaume-Uni. En outre, sa persécution des protestants était motivée par l’identification de ceux-ci à la monarchie britannique et non par des raisons religieuses, et bien évidemment pas par leur appartenance ethnique. Au contraire, "la raison d’être du Hamas est "l’oblitération" de l’Etat d’Israël. Sa charte antisémite prône le Jihad contre tous les Juifs tandis que son "pragmatisme" ne réside que dans la délégation de la destruction de l’Etat hébreu aux "futures générations"". La conclusion de l’auteur est donc sans appel : "Israël ne doit pas traiter avec de tels individus".
M. Sean Gannon nous offre donc ici une analyse très pertinente de l’incompatibilité du "modèle irlandais", soutenu par beaucoup, avec la situation politique palestienne actuelle. Malgré des similitudes indéniables entre les deux contextes, les divergences sont suffisamment importantes et fondamentales pour que l’application d’une telle stratégie se révèle désastreuse et inconséquente. L’expérience historique du Sinn Fein/IRA montre en outre qu’une dichotomie fallacieuse entre ailes militaire et politique n’écarte en rien le prolongement d’un cycle de violence meurtrier et dévastateur, bien au contraire.
Plusieurs autres dissymétries, non mentionnées par M. Gannon, viennent s’ajouter aux antagonismes séparant les situations palestinienne et Nord-irlandaise. Le phénomène tragique de déshumanisation qui traverse la société palestinienne - devenue une "fabrique à monstres" - depuis plusieurs années est notamment une constante que l’on ne peut ignorer. L’immense écho de la "cause palestinienne" dans le monde arabo-musulman, la propagande antisémite diffusée continuellement dans la région, le soutien et l’influence de dictatures et théocraties telle l’Iran des ayatollahs et la Syrie baasiste et le relais idéologique que constitue l’ONU sont autant de facteurs déterminants que l’on ne peut obérer dans toute analyse de l’ascension démocratique du Hamas ou comparaison avec la situation présente et passée de l’Ulster.
Enfin, je ne peux rejoindre la conclusion de M. Gannon prônant la coupure complète des échanges diplomatiques et des contacts entre le nouveau gouvernement palestinien et Israël. Même si le Hamas répugne à parlementer avec l’Etat hébreu, ce qui est réciproque, et même si aucune certitude n’est pour le moment établie quant à la crédibilité de ses intentions et au réalisme de ses demandes, il est certain que si le nouveau gouverment palestinien trouve porte close chez son voisin, il se confinera dans un isolement peu souhaitable car fort dangereux. Ceci au plus grand bénéfice de l’Iran et de la Syrie, actuellement en position délicate dans l’arène diplomatique internationale, qui n’hésiteront pas à instrumentaliser la lutte palestinienne afin de servir leurs intérêts et leurs positions idéologiques. Ce qui est d’ailleurs déjà en bonne partie le cas, en témoigne le cas du Jihad islamique dont use allégrement l’axe irano-syrien comme interface et tiers combattant dans le conflit israélo-palestinien.
En conclusion, si l’application du "modèle irlandais" à la nouvelle donne politique palestinienne apparaît comme illusoire et fort périlleuse, l’isolement complet de l’Autorité se révèlerait tout aussi risqué. Et il convient à nouveau de souligner l’opportunité manquée par la communauté internationale en raison de son comportement diplomatique chaotique et de l’opération, sans contrepartie, de transferts financiers vers l’entité politique palestinienne.
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