Mugabe : le révélateur de nos hypocrisies
Il ne viendrait à personne l’idée de défendre ce personnage ubuesque et grossier, dont le triste bilan est catastrophique à maints égards. Ne parlons pas du taux d’inflation de 165 000 %, ce chiffre n’a plus aucun sens, mais plutôt du peuple affamé et soumis au caprice de l’ogre.
Depuis des semaines, Mugabe et sa sinistre comédie du pouvoir attirent l’attention des journaux et des télévisions. Certes les réactions outragées de nos vertueuses démocraties justifient cette couverture, mais un tel succès médiatique peut s’expliquer aussi par le fait que Mugabe se rapproche des vieux clichés tenaces sur les dictateurs africains, toujours folkloriques et forcément très cruels. On ne l’a pas encore accusé de cannibalisme, mais cela ne saurait tarder. Ne rions pas, beaucoup ont eu droit à cet aimable vocable ! Il rejoint le club médiatiquement très vendeurs des Bocassa, Mobutu, Amin Dada et autres truculents dictateurs africains. Mais, à l’inverse de ces derniers, lui a décidé de faire bande à part. Et c’est une faute impardonnable aux yeux de la communauté internationale. Pour cela, il ne lui sera rien pardonné.
Osons la question de fond : pourquoi les médias et les gouvernements occidentaux tirent à boulets rouges sur Mugabe ? Parce que ce n’est pas un démocrate ? Parce qu’il affame son peuple ? A cause des 15 000 personnes tuées par la guérilla en sept ans ? Ou bien parce qu’il s’en est pris à la minorité blanche (1 200 tués) qui s’accaparait les richesses du pays ?
Allons donc, la terre africaine est un continent où les dictateurs sont choyés et même reçus en grande pompe dans la patrie des droits de l’homme. Pourquoi ne s’attaque-t-on pas, par exemple, à Sassou Nguesso, Omar Bongo, Paul Biya, Idriss déby pour ne citer que des francophones ? Ils ne brillent pas pour leur sens démocratique ni pour leur bilan économique. Mais poser la question, c’est déjà y répondre : ils font partie du pré carré. Il y a les dictateurs fréquentables, c’est-à-dire ceux qui servent nos intérêts et les autres… Au fond n’est-ce pas plutôt parce que Mugabe ne fait pas semblant, qu’il ne se conforme pas à la pittoresque comédie des urnes et du jeu démocratique qu’il est voué aux gémonies ? Il est de bon ton de jouer le simulacre démocratique en Afrique si l’on veut faire de vieux os comme Omar Bongo. Mais, à l’inverse de ce dernier, Mugabe est un tyran qui s’assume. C’est un fait suffisamment rare pour être souligné.
Il dérange parce que son bras d’honneur nous renvoie à la figure toute l’hypocrisie des pseudo-discours généreux sur l’Afrique. La comédie du G8 ne trompe personne. Pour les multinationales comme Bolloré, Elf, Bouygues pour ne parler que des françaises (mais le sont-elles vraiment ?), l’Afrique doit rester cette zone de non-droit avec des Etats clients où toutes les magouilles sont permises.
C’est peu de dire que le continent est sous tutelle internationale. Hier, nous avions les réseaux Foccart et ses succédanées (Nébuleuse Pasqua, Mitterrand…), cette françafrique dont on peine à signer l’acte de décès (voir la récente éviction de Bocquel sous la pression d’Omar Bongo). Aujourd’hui, le système néocolonial prend d’autres formes plus insidieuses (rôle du FMI, ONG à l’action douteuse, l’UE et maintenant la Chine…). L’Afrique moderne avec ses réussites et ses désastres est un maillon essentiel de la mondialisation. C’est notre « créature » tout autant que celle des Africains qu’on ne peut exonérer de toutes responsabilités. Mais tout est fait pour culpabiliser « l’homme africain » incapable de « rentrer dans l’Histoire », dixit le discours de Dakar. Le désastre annoncé au Zimbabwe est paradoxalement un signe d’espoir. Cet Etat (je n’ose dire « ce peuple » car celui-ci n’a jamais eu droit au chapitre) veut s’affranchir de toute tutelle. Aujourd’hui avec Mugabe, c’est pour le pire. Mais demain ? Sankara, Mounié, Nyobe, Lumumba, Olympio étaient des hommes d’Etats qui avaient le sens du « bien commun », mais nul ne saurait dire ce que leur pays serait advenu sous leur action. Et pour cause, nous les avons assassinés ! Ce sont aux Africains de reprendre le flambeau pour que Mugabe ne soit pas le seul et pitoyable symbole de l’indépendance en Afrique. Mais laisserons-nous faire ces hommes providentiels quand ils apparaîtront ? La juge Eva Joly a montré dans son dernier ouvrage que pour un dollar qui rentre en Afrique, deux en sortent pour alimenter l’économie du monde et les paradis fiscaux. Et l’on s’étonne que les peuples africains soient pauvres ?
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