Neuf jeunes homosexuels quittent l’enfer d’une prison camerounaise : le film de leur libération le 12 juin dernier
17h 45, lundi 12 juin, quartier Kodengui. Une Mercedes vert-de-gris a pilé depuis de bien longues minutes en face de la prison centrale du quartier, et à regarder la mine de ses occupants qui s’ennuient à écouter de la musique américaine sur un PDA, on peut lire la lassitude et l’impatience. Le chauffeur, à l’extérieur, prend l’air, et en face, sous le porche de la prison, une demi-douzaine de gardiens se font servir du pain et des pâtes alimentaires par un vendeur ambulant visiblement bien connu d’eux. On peut encore apercevoir, sur la route, les feux de détresse des rares taxis vides encore en grève.

L’enfer des fers : pas d’arc-en-ciel à Kodengui, la prison centrale de Yaoundé.
La voiture a à son bord Tony Smith, le project manager de l’Adefho, association créée en 2003 pour la défense des intérêts des homosexuels du Cameroun, ainsi que son assistante, Pauliane Boum, tous deux venus spécialement de Douala. Maître Alice Nkom, l’avocate des neuf jeunes homosexuels à libérer de la prison ce 12 juin, vient de disparaître derrière la porte métallique, grise, noircie de crasse, à l’entrée de la prison, depuis une trentaine de minutes déjà. Quelques minutes auparavant, elle a passé un coup de fil au régisseur de la prison.
C’est finalement à 19h45, deux heures plus tard, que le premier détenu homosexuel sortira de l’immense bâtiment, deux sacoches au bout des bras. Il s’appelle Angoula Christian, il est plutôt bien portant, un peu trop efféminé, et victime de viols dans sa cellule en prison. Il fait partie des sept prévenus condamnés plus tôt dans la matinée à 10 mois de prison par le Tribunal de grande instance de Yaoundé, pour homosexualité, mais libérés pour avoir déjà passé plus de 12 mois d’incarcération, pendant l’instruction de l’affaire. Quelques minutes plus tard, il sera rejoint par un autre de ses congénères d’infortune, puis par cinq autres, tous portant des tee-shirts de l’Adefho. Mais il y a un qui aura de la peine à traverser les quelques centimètres de goudron le séparant de la captivité de Kodengui de la liberté. Sous le regard presque narquois et sarcastique des gardiens de prison en faction, Ayissi François, hâve, le regard vague, le corps décharné sous un boubou d’un bleu douteux sous l’éclairage terne des spots lumineux des postes de surveillance, va s’appuyer sur deux personnes pour traverser la rue. Il ne dit rien, et en fait, il ne peut rien dire. Déjà à l’audience,du sang lui sortait du nez, de la bouche, et d’autres orifices encore... Il a été victime d’agressions et de viols répétitifs au quartier « Kosovo » de Kondengui, et est à présent à l’article de la mort, malade du Sida. Il ne sait même pas où il passera sa première nuit de liberté, au foyer de la prison, ou chez un introuvable et improbable membre de sa famille. Angoula, lui, n’arrête pas de s’agiter, déçu déjà par le manque de solidarité de ceux qui, il y a quelques heures encore, étaient liés par le même quotidien carcéral... A l’écart, drapé dans un impeccable boubou bleu, Atangana Obama Pascal, marié et père de cinq enfants, qui aurait reconnu à l’enquête des gendarmes de la Brigade de Nlonkack qu’il a pratiqué l’homosexualité depuis son jeune âge, au collège Stol d’Akono, s’éloigne dans la nuit noire, un sac « Mbandjock » à bout de bras, comme abattu par ses 12 mois de détention... Difficile de faire parler en tout cas les sept jeunes hommes, « c’est très difficile, c’est très très difficile !!! » n’arrêtera pas de répéter le jeune Angoula, âgé seulement de 17 ans. Un moment, il sort d’une de ses sacoches, son téléphone portable récupéré à la sortie : il constate avec étonnement qu’il y a encore quelques barres de batterie, et n’arrête pas cependant de faire la moue, en se déhanchant... Après quelques échanges vifs, sur le prix des chambres de l’hôpital central, sur ce qu’il faut faire pour Ayissi effondré dans un coin, un rictus crispé sur les lèvres. Quelques minutes plus tard, Me Alice Nkom va repartir avec sa petite troupe de membres de l’Adefho, vers un hôtel sur les collines de Yaoundé...
Aller simple Ntaba-« Kossovo » à Kodengui.
Le cauchemar de ces jeunes gens a commencé au mois de mai 2005 avec l’arrestation de 35 personnes dans les quartiers Ntaba Nlonkack et Mimboman à Yaoundé. Auparavant, le chef de quartier Djoungolo, Mbassi Etoundi Gabriel, saisissait le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1er d’un rapport sur la banditisme dans le quartier « Ntaba Nlongkak », dans lequel il dénonçait la perversité de certains habitants, lesquels se livraient aux agressions, aux jeux de hasard et à l’homosexualité. D’ailleurs, le rapport indique que ces individus fréquentent toutes les salles de jeux du quartier Nlongkak, lieu de prédilection de leurs exactions, insistant sur le fait que, s’agissant notamment de l’homosexualité, il existe des logements dans lesquels ces individus se livrent à des activités libidineuses, contribuant de ce fait à la recrudescence du nombre de mineurs en danger moral. Les gendarmes de Nlongkak se saisissent alors de Mbassi Tsimi Raymond, Angoula Christian et Ayissi François à leur domicile, lieux présumés de rencontres homosexuelles. D’autres interpellations se feront au bar dénommé « Victoire Bar » sur la nouvelle route Mimboman. Sur la quarantaine, puis les douze personnes gardées, seules neuf seront traînées en Justice, « les plus pauvres », remarque Me Nkom. Au cours de l’audience du 12 juin, deux seront relaxées pour faits non établis, et les sept autres condamnées à 10 mois d’emprisonnement et aux dépens. Les condamnés seront donc libérés pour avoir déjà purgé leur peine... Pour autant, Me Alice Nkom ne compte pas s’arrêter là, elle veut « porter l’affaire jusqu’à la Cour suprême, pour établir toutes les responsabilités sur les abominations subies par les jeunes hommes incarcérés, et faire constater l’anticonstitutionnalité de l’article 347 bis de l’ordonnance du 28 septembre 1972 qui a introduit le délit d’homosexualité dans le Code pénal camerounais. » Or, poursuit l’avocate, « seule la loi votée par le Parlement détermine les infractions pénales et leurs sanctions ». Elle note au passage l’entêtement du procureur de la République de Yaoundé, contre les décisions du président du tribunal.
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