Nouveau terrain de jeu pour les Lords of war ?
C’est une information très courte et assez peu reprise qui est tombée ce mercredi 16 septembre, mais qui pourrait contenir la base des événements futurs. Une réunion des ministres de la Défense des pays d’ Amérique latine, convoquée pour « mettre en place des dispositifs de sécurité régionaux », a royalement capoté, chaque nation sud-américaine jouant cavalier seul et, surtout, ayant considérablement accru leurs dépenses militaires respectives : à l’exception de l’Argentine, leurs dépenses ont crû en moyenne de plus de 30 % sur les 5 dernières années.
L’ Amérique du Sud n’est pas connue pour être un endroit particulièrement agité militairement parlant, même si de nombreux conflits ont eu lieu sur ce sous-continent. Mais l’évolution de la situation actuelle, ainsi que les nombreux conflits potentiels entre les pays de la région, en font un futur point chaud de la planète si les gouvernements ne font pas attention et se laissent entraîner sur la pente savonneuse du nationalisme exacerbé.
Au XIXè siècle, les empires coloniaux espagnols et portugais se sont émancipés de leurs métropoles respectives, mais si l’empire du Brésil a pu maintenir au sein d’un seul Etat le monde lusophone, l’empire espagnol lui s’est fragmenté malgré les efforts de Simon Bolivar, qui rêvait d’indépendance tout autant que d’ une Amérique du Sud unie sous la même bannière.
L’ Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Chili, la Grande Colombie et le Pérou se sont établis sur les ruines impériales. Il ne faudra pas longtemps avant que la Grande Colombie ne perde le Panama et le Vénézuela lors de guerres d’indépendances pour établir les pays actuels, tandis que l’ Equateur se séparait du Pérou. L’ Uruguay lui va naître d’un conflit frontalier entre l’Argentine, qui absorbe la Patagonie, et le Brésil : les deux nations se disputant le territoire, une conférence érige les terres contestées en Etat indépendant. Soyons complet et n’oublions pas de mentionner les trois Guyanes (anglaises et hollandaises, désormais indépendantes sous les noms de Guyana et Surinam, et la Guyane française, ultime vestige de l’empire français antarctique), mais qui se tiennent prudemment à l’écart de toute cette agitation.

Politiquement, une fois les indépendances acquises, les nations sud-américaines ont plus connu des dictatures militaires qu’autre chose. La dernière vague des années 40-80 a mis au pouvoir, avec la bénédiction parfois des américains, des régimes militaires d’extrême-droite extrêmement brutaux et sanguinaires avec les opposants. Dans le contexte de la Guerre Froide, une dictature de droite était préférable aux yeux de la CIA à une dictature ou une démocratie de Gauche : elle seule assurait que les soviétiques ne viendraient pas à un moment ou à un autre y ouvrir des bases militaires, les USA ayant déjà assez à faire avec Cuba.
Les années 90 et la fin de l’Union Soviétique ont permis la démocratisation du continent, les américains lâchant un à un les régimes en place et n’intervenant plus pour empêcher les révolutions démocratiques qui établissent de nouveaux régimes en toute liberté.
La liberté revenue n’est pas pour autant garantie de paix : les vieux contentieux régionaux refont surface assez rapidement malgré les traités signés, aidé en cela par un nationalisme parfois virulent. L’ Equateur dispute en 2001 au Pérou des terrains pétrolifères et n’a pas oublié non plus la perte de territoires tout aussi riches en huile de roche au profit du Brésil et rêve toujours de récupérer ces terres, ce qui doublerait sa superficie actuelle.
Le Pérou dispute au Chili le nord de son territoire, que la Bolivie aimerait bien récupérer pour retrouver sa façade maritime perdue au XIXè siècle. La Bolivie n’a pas non plus oublié ses terres prises par le Paraguay lors de la Guerre du Chaco dans les années 1930. Le Paraguay lui n’oublie pas qu’il a failli disparaître, dépecé par l’Argentine, la Bolivie et le Brésil au XIXè siècle : seule une mésentente entre ces trois nations au sujet du découpage n’a pu permettre au projet d’aboutir.
L’ Argentine a toujours en sourdine d’antiques revendications en Terre de Feu contre le Chili. Et peu d’ argentins nationalistes ont fait leur deuil définitif des Falklands, toujours sous administration britannique.
Le Brésil, lui, se contente de ce qu’il a, mais est prêt à ne rien lacher de ses conquêtes du XIXè siècle.
La Colombie, elle, voit l’ Equateur d’un mauvais oeil car son territoire, tout celui du Vénézuela, sert de base arrière aux FARC et aux Narcotrafiquants.
Pour finir, le Vénézuela conteste sa frontière orientale, voulant récupérer des territoires qui selon Chavez sont vénézuéliens car mal délimités ou s’appuyant sur des rivières dont le cours aurait changé au fil des siècles : Caracas envisage ainsi plus ou moins sérieusement l’annexion de plus de la moitié du Guyana actuel... Dans ce petit jeu, seuls le Surinam et la France sont à peu près tranquilles.

Toutes ces revendications sont en théorie réglées par de nombreux traités, mais l’ Histoire nous a montré combien ces morceaux de papiers pouvaient se montrer inutiles en cas de surtension locale, et la signature de l’accord Colombo-américain n’est pas fait pour arranger une situation qui commence à en irriter plus d’un.
Officiellement, la crise militaire actuelle vient d’un accord signé entre la Colombie et les Etats-Unis, accord qui prévoit l’octroi de la concession de six bases en territoire colombien. Le président vénézuélien Hugo Chavez, qui attrape un eczéma à la seule mention des USA, considère que la Colombie viole les accords déjà existant entre les pays de l’UNASUR (l’Union européenne locale, en moins poussé) en signant un traité avec un pays qui n’en est pas membre.
Au départ pourtant, cette signature n’est pour les Etats-Unis qu’un moyen de compenser la perte de leur base en Equateur, ce pays ayant décidé de mettre fin comme il en a le droit à la location de la base de Manta. Les américains se sont donc mis à la recherche d’un autre point de chute et la Colombie a saisi la balle au bond : l’arrivée de troupes américaines ne peut que lui être bénéfique. Sa guerre contre les FARC est pratiquement gagnée, mais son combat contre les narcotrafiquants patine. Le renfort de troupes US ne peut qu’être un plus, d’autant plus que les américains ont aussi un intérêt à combattre le trafic de cocaïne.
Mais cela ne plaît pas au Vénézuela, pour des raisons idéologiques et pour des raisons médiatiques.
Hugo Chavez est connu pour ses positions très anti-américaines, qui frisent parfois le délire, en témoigne une récente interdiction sans justification tangible de la dernière version light d’un célèbre soda américain. Voulant libérer le continent sud-américain de l’influence politique américaine, Chavez s’est naturellement tourné vers la Russie, envers qui elle a souscrit de nombreux contrats d’armements. Petite cerise sur le gateau pour se faire encore bien voir, Chavez fait reconnaître les indépendances de deux régions géorgiennes occupées par les forces russes, qui y gagnent un allié de poids au sein de l’OPEP.
Médiatiquement, Chavez a tout à gagner à faire oublier ses liens prouvés avec les FARC colombiennes : en 2008, la Colombie est intervenue sur le territoire équatorien et par un raid audacieux a éliminé le numéro deux des FARC. En prime, d’importants documents sont saisis à l’occasion, qui incriminent le numéro un vénézuelien : un des principaux financiers des FARC serait Chavez et son gouvernement. Hugo hurle à la manipulation et à la falsification de documents qu’ Interpol déclare pourtant authentiques. Il est de notoriété publique que les FARC ont soutenu financièrement Chavez quand en 1992 ce dernier tenta à deux reprises de prendre le pouvoir au Venezuela par la force, Chavez étant un haut-gradé à ce moment là. Son double échec se traduisit par deux ans de prison avant que l’ancien président ne tienne une promesse électorale et le fasse libérer. On comprends dès lors mieux sa réaction en 2008 quand il n’ hésite pas, suite au raid colombien, à faire les gros yeux et à envoyer ses chars à la frontière, manoeuvre qu’il ne pourra plus réitérer une fois les américains sur place. Car vouloir impressionner les colombiens en les menaçants et vouloir le faire sur les américains, ce ne sont pas les mêmes risques que l’on court, Obama président ou pas. Chavez rappellera même son ambassadeur à Bogota mais sous l’impulsion du président lui-même, le jeu se calmera vite : Chavez n’est pas idiot. Il sait qu’en envoyant ses chars en Colombie, il passera pour l’agresseur, position très peu enviée dans le monde de la diplomatie. De plus, le Vénézuela dépend grandement de la Colombie pour ses importations de biens matériels.
De son coté, l’ Equateur n’a pas du tout apprécié l’intrusion colombienne sur son territoire, ce qui a encouragé le petit pays à renforcer sa défense, et donc à augmenter ses dépenses militaires.
La Colombie argue donc de la lutte contre le narco-trafic pour justifier de l’ accueil sur son sol de militaires américains. Le président Uribe fait aussi remarquer que son voisin n’a pas attendu cette signature pour faire refaire à neuf son armée. L’augmentation de l’armement sud-américain est de plus facilité par les pays vendeurs : le Venezuela a ainsi acheté pour deux milliards de dollars d’armement à la Russie, grâce à un prêt de 2 milliards effectué par... les russes. Ajoutons-y le renforcement de l’armée brésilienne, qui veut s’équiper d’un sous-marin à propulsion nucléaire, et surtout, d’une série de trente avions de chasse, l’objectif avoué étant de renforcer la frontière amazonienne, la frontière sud n’inspirant plus d’inquiétude.

Il est clair que l’ Amérique du sud connaît actuellement un emballement militaire qui pourrait avoir de graves conséquences dans la décennie à venir si tous les pays concernés ne font pas un effort dans le bon sens.
La probabilité actuelle d’un embrasement de la région est encore faible, d’autant plus que le Brésil veut assumer son rôle de puissance régionale en poussant les deux frères ennemis à faire preuve de raison plutôt que de passion.
Las, le renforcement de l’armée brésilienne fait aussi chagriner certains esprits de l’ UNASUR, voyant cette initiative comme étant de mauvaise augure. Le président Lula est très loin d’être un dictateur en puissance, mais le passé brésilien en matière de tentative d’acquisition d’armement et de technologie nucléaire fait surgir de mauvais souvenirs, malgré toutes les déclarations rassurantes du gouvernement de Brasilia à ce sujet.
Dans les années 70, le gouvernement militaire de l’époque prit des contacts avec un pays nucléarisé indéterminé et développa un programme pour la mise au point d’un engin nucléaire. Le projet fut officiellement abandonné en 1985, bien que des rumeurs prétendent que le véritable coup d’arrêt fut porté en 1990, quand la présidence brésilienne découvrit que les militaires avaient poursuivi le projet en secret (http://acdn.france.free.fr/spip/article.php3?id_article=84). Depuis, le Brésil se consacre officiellement au dévelopement du nucléaire civil, mais l’acquisition de la technologie pour la construction d’un sous-marin à propulsion nucléaire donne des sueurs froides à ceux qui pensent que Brasilia à d’autres idées derrière la tête. Et en politique comme en diplomatie, il est bien connu que les paranoïaques ne doivent pas être ignorés car qu’ils aient raison ou non, leur influence peut faire pencher la balance d’un coté comme de l’autre.
Il est d’autant plus dommage de voir ces pays se livrer à une nouvelle course aux armements que leurs populations respectives pourraient tirer de plus gros bénéfices si tout l’argent dépensé en armes l’était en infrastructures, en services éducatifs et sociaux : la population sud-américaine voit son sort s’améliorer quelque peu, mais le taux de pauvreté y est toujours très élevé, y compris au Brésil et en Argentine.
Si les dirigeants, dans un avenir proche, perdaient quelque peu leur tête et se lançaient dans des aventures militaires inconsidérées, les sud-américains n’auraient plus que le choix de suivre le mouvement, ou de tenter de résister.
Pourront-ils, voudront-ils faire dès lors le bon choix ?
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