Pendez-les haut et court !
Règlement de comptes à Bagdad City. Cette semaine recommence le procès de Tarek Aziz, ancien chef de la diplomatie irakienne, accusé de complicité dans l’exécution de 42 civils en 1992. Ce prisonnier encombrant, qui fut le confident privilégié des alliés occidentaux, pourrait bien connaître, dans un pays toujours à feu et à sang, le même sort que Saddam Hussein.
Un vieillard chétif dans un costume marron, le regard aux abois. Ce 29 avril, dans le box des accusés, au sein du Haut Tribunal pénal irakien, l’homme diabétique et souffrant d’hypertension a perdu de sa superbe d’antan. Destin cruel et facétieux pour Tarek Aziz, 73 ans, ancien vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, parvenu jadis à représenter brillamment l’Irak dans le monde avant de terminer sa carrière sous l’objectif des caméras, exhibé comme un délinquant grabataire de droit commun.
L’intellectuel du système Saddam
Né dans une famille de chrétiens chaldéens, sous le nom de Mikhaïl Johanna, il adopta à l’éveil de sa conscience politique, socialiste et panarabiste, le prénom de Tarek, en hommage au conquérant de l’Andalousie, Tarek Ibn Zyad. Ancien journaliste et fondateur de la revue La Révolution, cet intellectuel raffiné, militant du Baas, allait rapidement s’allier au rustre, mais charismatique Saddam Hussein, étoile montante du parti. D’abord ministre de l’Information et de la Culture, l’entregent et la maîtrise parfaite de l’anglais devinrent les atouts de Tarek Aziz pour devenir le diplomate par excellence d’un Irak laïc et prospère grâce à la manne pétrolière et une industrie en pleine expansion. L’homme incarna dès lors le représentant élégant dans les conférences internationales, mais aussi l’éloquent avocat du pays mis sous embargo à la suite de la guerre du Golfe. Gentleman à l’extérieur du pays et conciliant envers les exactions de son mentor à l’intérieur.
Ziggourat pour l’échafaud
2003 : invasion de l’Irak. Alors que les opérations de combat ne sont pas terminées, Tarek Aziz surprend en se livrant spontanément aux occupants américains, en échange de la protection de sa famille. Une figure-clé du régime vient ainsi de tomber : dans le jeu sinistre de 55 cartes illustrées par les visages des dirigeants à capturer, Aziz était le 8 de pique. Une carte majeure est dès lors abattue. Cinq années s’écoulent : Tarek Aziz, détenu à Camp Cropper, près de Bagdad, passe son temps, seul dans sa cellule, à rédiger ses Mémoires, dans l’attente des chefs d’inculpation. Les juristes auront beau déplorer un temps aussi long, cette faute en droit est pourtant banale dans un régime d’exception comme celui de l’Irak sous occupation. Dans le pays qui a inauguré les premières tables de la loi, sous le règne d’Hammourabi, il y a plus de 4 000 ans, cette irrégularité ne sera ni la première ni la dernière dans le théâtre tragi-comique de l’institution judiciaire irakienne. Pour un Etat de droit, les vices de forme entraînent généralement une annulation ou un report du procès. Dans le nouvel Irak, quelques procédures illégales selon les conventions internationales n’empêcheront pas Tarek Aziz d’aboutir au sort qui lui est réservé : la mort, par pendaison.
Le shérif kurde et les sept mercenaires sunnites
Pour quel crime, la peine capitale ? Quelques semaines seulement avant l’ouverture du procès, le 29 avril, Tarek Aziz a eu vent du principal chef d’inculpation retenu contre lui : l’exécution de 42 commerçants irakiens en 1992, soupçonnés d’entente frauduleuse sur le prix des produits alimentaires, et ce au début de l’embargo. « Une accusation fabriquée », proteste son fils Zyad Aziz. Lui comme tant d’autres soutiens de l’ancien diplomate voient dans ce grief un prétexte pour faire condamner Tarek Aziz, en raison de son appartenance au moment des faits, au Conseil du commandement révolutionnaire, organe officiel décisionnaire de la sentence, sous la férule du dictateur Saddam Hussein.
Au-delà de son cas personnel, c’est le 4e procès d’anciens responsables baasistes qui s’ouvre actuellement depuis la chute du régime. Six autres codirigeants seront également jugés, parmi lesquels Watban Ibrahim, ancien ministre de l’Intérieur et demi-frère de Saddam Hussein. Quand la première audition s’est tenue le 29 avril, avec 5 heures de retard, elle fut vite expédiée : 45 minutes pour constater l’absence de l’avocat irakien de Tarek Aziz, Me Badie Aref, réfugié en Jordanie pour « raisons de sécurité », en clair menacé de mort par les milices. De par l’autorité du juge kurde Raouf Abdel Rahman, célèbre pour avoir condamné à mort Saddam Hussein pour l’assassinat de 148 chiites, le procès redémarre ce mardi 20 mai, sous de mauvais augures pour Tarek Aziz. Le principe de la responsabilité collective semble primer pour le Haut Tribunal pénal, au détriment de l’individualisation de l’incrimination.
Aziz au jeu du pendu
« Une mascarade à partir d’une affaire bidon ! », s’exclame l’avocat André Chamy, mandaté depuis l’été dernier par Tarek Aziz pour assurer sa défense. Le juriste franco-libanais, spécialisé dans le droit social et inscrit au Barreau de Mulhouse, prône la « stratégie de rupture », fameuse tactique développée pendant la guerre d’Algérie par son confrère Jacques Vergès, lui-même désireux de s’impliquer également dans le procès à venir. Contestant la légitimité du tribunal, comme il le fit déjà quand il était membre du collectif d’avocats chargés de la défense de Saddam Hussein, André Chamy, officiellement désigné par Aziz au même titre que l’avocat irakien Badie Aref, préconise l’obstruction judiciaire, par son absence physique et celle de ses collègues au procès, afin de faire pression pour obtenir la délocalisation de la procédure judiciaire. « Comme tout justiciable, M. Aziz mérite un procès équitable ; or, il est présumé d’emblée coupable. C’est un procès éminemment politique ».
La France, bouche cousue
Où sont les amis de Tarek Aziz ? Celui qui s’est forgé de solides et durables alliances dans le monde géopolitique durant un quart de siècle n’a pas de quoi se réjouir à ce jour. Silence des uns, profil bas des autres. Mis à part quelques tapageurs, comme l’activiste Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes depuis 1986, ou le parlementaire britannique George Galloway, ils sont peu nombreux à s’indigner publiquement. Un « comité de soutien à Tarek Aziz et aux prisonniers politiques irakiens », constitué en 2003 et récemment réactivé, pourrait occuper la scène médiatique, avec des membres qu’on ne présente plus : Jean-Pierre Chevènement, Jacques Gaillot, Didier Julia, Thierry Mariani et bien d’autres, intellectuels, politiques ou diplomates. Interrogé, Roland Dumas, attentif auparavant au déroulement du procès Hussein, espère quant à lui une procédure légale et équitable. Certains ont songé faire appel à Boutros-Boutros Ghali, ancien secrétaire générale de l’Onu et autre diplomate arabe et chrétien, pour faire pression sur la communauté internationale. En vain. Quant à la Chancellerie, soucieuse de ne pas contrarier l’allié américain, il va sans dire que la fameuse « politique arabe de la France », illustrée jadis dans les rapports chaleureux entretenus avec l’Irak par la médiation de Tarek Aziz, est désormais de l’histoire ancienne appartenant au musée chiraquien. No less no more.
Dans la parodie de justice qui s’annonce, telle qu’elle est mise en scène par les nouveaux maîtres de l’Irak, nul doute que Tarek Aziz emportera, à son tour, bien des secrets dans sa tombe. Et avant son dernier voyage, le diplomate chrétien de l’Irak pourra-t-il peut-être solliciter son légendaire péché mignon : un dernier cigare. Si c’est pour mourir, autant partir dans un écran de fumée.
BONUS :
Video de l’entretien avec l’avocat de Tarek Aziz
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