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Peuples en armes, peuples en larmes


Les évènements de ces dernières semaines ont été riches d’enseignements et de bouleversements dans la sphère géopolitique russe. Deux pays coup sur coup revenant à des dispositions plus amènes à son égard des suites d’évènements tragiques pour les populations concernées.

À Bichkek, ce que le peuple a donné, il a repris

Assimilée aux changements étatiques de couleurs ayant ébranlé le proche étranger de la Russie, la révolution des tulipes fut désignée par la presse internationale d’alors comme une victoire de la démocratie en Asie Centrale. Seulement de même que les responsables du bouleversement de 2005 ne se mobilisèrent pas pour exprimer leur bonheur, les initiateurs du renversement de pouvoir en 2010 manifestèrent leur exaspération devant la hausse du coût de la vie et surtout envers les mesures de plus en plus autoritaires du Président Kurmanbek Bakiev.

En toile de fond de cet évènement politique deux éléments d’importance : les bases militaires étrangères et l’économie sous perfusion. Ces deux éléments faisant la part belle aux pressions influençant gouvernement et opposition.

Le Kirghizstan, pays ayant récemment accédé à l’indépendance lors de l’effondrement de l’Union Soviétique (en décembre 1991), ne se remit jamais intégralement de la rupture de ses circuits logistiques avec les autres républiques soviétiques. Cette dépendance énergétique (sous-sols très pauvres en ressources premières, sauf en gisements aurifères, ce qui est notable à travers l’extraction opérée par la société canado-kirghize Kumtor) et un sol très pauvre (à peine 7% de terres arables) ne laissèrent que peu d’espoir pour cette entité d’échapper à l’appétit de forces anciennes et nouvelles. Pour indicateur de la faiblesse économique endémique du pays, le PIB pour 2008 fut le plus faible de la zone d’Asie Centrale, avec 4,8 milliards de dollars. D’où un Kirghizstan entièrement dépendant d’approvisionnements extérieurs pour la bonne marche de son économie. Et ce faisant, le plaçant dans une position précaire d’une part par rapport aux pays fournisseurs de matières premières (Kazakhstan et Ouzbékistan) et d’autre part quant aux contributeurs économiques (Chine et Russie).

Dans les cadres des opérations anti-terroristes, les Etats-Unis d’Amérique à travers l’OTAN (Organisation de Traité de l’Atlantique Nord) et la Russie à travers l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï), ont rivalisé d’influence et de pressions diplomatiques. La position des autorités kirghizes fut de n’exclure ni l’un ni l’autre : une base russe à Kant (depuis décembre 2002) et une base américaine à Manas (depuis décembre 2001).

L’affaire de la base américaine de Manas (fermeture annoncée en février 2009 puis prolongée d’une année après quelques mois de négociations en augmentant substantiellement le loyer de 17 à 60 millions de dollars) fut en elle-même l’un des épisodes accentuant considérablement le discrédit du régime en place. Renforçant la perception populaire d’avoir laissé les rênes du pays aux mains d’une cohorte de dignitaires avides de fonds étrangers et jouant les équilibristes entre deux superpuissances à leur seul profit.

Élite politique désavouée, difficultés économiques accrues, corruption endémique, pressions extérieures : un cocktail explosif aboutissant à ce que le peuple kirghize prenne comme en mars 2005 les armes pour se débarrasser de ceux qu’il avait placé initialement pour défendre ses intérêts.

L’empressement du Premier Ministre russe Vladimir Poutine à reconnaître Roza Otounbayeva comme chef du gouvernement provisoire contrasta particulièrement avec l’inertie et l’aphonie des responsables américains, et principalement Hillary Clinton, durant les premiers jours de la nouvelle direction du pays. Moscou, avec l’accord tacite chinois, reprenant pied à pied une place de premier choix dans ce qu’elle appelle son proche étranger.

L’exemple kirghizstanais est un élément du puzzle géopolitique de cette zone régionale. L’Asie Centrale étant un immense territoire riche et stratégique qui cherche sa voie tout en étant au centre des appétits chinois, russes, turcs et américains. Une réédition du Grand Jeu de la fin du XIXème siècle en somme…

La Blanche-Nef Polonaise

Novembre 1120, un navire normand cingle vers l’Angleterre. A son bord la crème de l’élite normando-anglaise et surtout l’héritier du trône. Guillaume Adelin, le fils en qui plaçait tous ses espoirs Henri Beauclerc, accompagné de Raoul le Roux, son meilleur chevalier qui s’était notoirement illustré durant les affrontements avec le Roi de France, disparaissent en pleine traversée avec près de deux cents compagnons d’infortune. Cette catastrophe maritime bouleversa radicalement la donne en Europe continentale et dans les Îles Britanniques.

Décapitée par le crash aérien du 10 avril 2010 emportant non seulement le président alors en poste Lech Kaczyński, mais aussi celui qui en assuma la charge lors de l’exil du gouvernement polonais pendant la Seconde Guerre Mondiale, Ryszard Kaczorowski, la Pologne déplora aussi la perte d’une grande partie de son état-major parmi les victimes. Une Blanche-Nef Polonaise volante…

En attendant de connaître les détails exacts de ce crash, le géopolitologue aura été attentif à un événement de grande ampleur qui débuté le 7 avril avec l’hommage rendu en commun par les deux Premiers Ministres russes et polonais, Vladmir Poutine et Donald Tusk, s’est poursuivi dans le sillage de l’émotion née du drame. La visite du Président russe à Cracovie le 18 avril pour les funérailles de son homologue fut l’occasion saisie par ce dernier de rappeler que de cette douloureuse épreuve les deux pays sont invités à en sortir une unité nouvelle.

Le tout-venant polonais comme les plus hautes autorités, tel l’ancien président polonais Aleksander Kwaśniewski (en poste de 1995 à 2005), pourtant atlantiste et européiste convaincu, se félicitèrent notoirement de ce réchauffement des relations polono-russes. La malédiction de Katyn, comme elle est parfois appelée, pourrait bien faire naître un élan nouveau quant à la liaison Varsovie-Moscou, et par là même un bouleversement de cette périphérie est-européenne le plus souvent peu encline à dialoguer avec les hôtes du Kremlin.

Car la tragédie ne doit pas passer outre ce fait têtu : Lech Kaczyński était un adversaire résolu de la Russie et de ses représentants. Ironie de l’Histoire : sa disparition et l’émotion qu’elle a suscité pourrait au contraire sceller l’amitié slave retrouvée entre les deux pays frères. Cyniquement, la grande stratégie de Zbigniew Brzeziński à travers son grand échiquier mondial accuse un nouveau revers après les récentes élections en Ukraine et l’humiliation militaire de la Géorgie avec la disparition d’un soutien zélé à ce plan depuis Varsovie.

En outre, le Premier Ministre Russe, Vladimir Poutine, tout en rendant de concert avec son homologue Donald Tusk hommage aux victimes de Katyn, ne manqua pas de souligner qu’il attendait par échange de réciprocité que toute la lumière soit faite sur la disparition des 32 000 (les chiffres restent l’objet d’âpres débats, une commission conjointe d’historiens des deux pays l’estimant plutôt entre 16 000 et 20 000) soldats soviétiques disparus dans les camps Polonais des suites de la guerre polono-russe de 1920.

En somme, une occasion unique de crever les abcès historiques et de rapprocher les peuples.
 
Article publié sur Alliance GéoStratégique le 21 avril 2010

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