Pologne, homophobie d’État
« L’affirmation de l’homosexualité mènera à la chute de la civilisation » : oui, il s’agit bien de ce qu’on peut entendre au sommet de l’État polonais.

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Dans un précédent article d’analyse sur les élections en Pologne, nous faisions état de la nécessité de recréer ce « lien élites/citoyens essentiel à toute démocratie viable », tout en nous interrogeant sur les négociations entre les deux partis vainqueurs (au coude à coude) quant à un programme commun et à la manière de gouverner à venir. De programme commun, il n’y en aura point, le parti (ultra- ?) conservateur Droit et Justice - dirigé par les frères Kaszynski - ayant intelligemment évincé toute idée d’alliance avec le parti libéral Plate-forme citoyenne, mené par Donald Tusk. Quant au lien élites/citoyens, il prend un bien mauvais tour, puisque qu’il semble plus s’appuyer sur une méthode de communication populiste et discriminatoire, que sur une réelle volonté de dialogue avec toutes les composantes de la société.
Les élites polonaises auraient-elles tendance à oublier le sens du concept de démocratie, au profit de l’idée d’un État dirigiste, appuyant sa stratégie de gouvernement sur les tensions entre les communautés ? On peut se poser la question.
Des manifestations sont interdites, un discours rappelant de mauvais souvenirs se développe. On entend parler de « comportements contre nature », de « contamination », d’ « aberration » quant à l’existence de certaines communautés.
Non : il ne s’agit pas d’une campagne de lutte contre une invasion à grande échelle de moustiques ou de rats ! Il s’agit malheureusement de propos tenus par certains citoyens polonais à l’égard d’autres citoyens polonais, et cela au plus haut niveau.
L’homophobie des frères Kaszynski, dont l’un est président de la République polonaise (ancien maire de Varsovie), et l’autre président du Parti Droit et Justice, n’est pas nouvelle.
En tant que maire de la ville de Varsovie, Lech Kaszynski avait déjà interdit à deux reprises, en 2004 et en 2005, la tenue de la Gay-Pride polonaise, tout en autorisant la contre-manifestation, intitulée « Parade de la Normalité », organisée par les partis d’extrême-droite.
Son frère jumeau, Jarosław, avait, quant à lui, annoncé dans une interview au magasine Ozon : « L’affirmation de l’homosexualité mènera à la chute de la civilisation. Nous ne pouvons pas être en accord avec cela ». En tant que président du parti, il a également affirmé récemment que « les homosexuels ne devraient pas avoir le droit d’enseigner ».
Tout un programme.
Tolérance, Liberté, Egalité, ... : une interprétation douteuse des concepts humanistes
Tolérance n.f. (lat. tolerare), respect de la liberté d’autrui, de ses manières de penser, d’agir, de ses opinions politiques et religieuses,
Tolérant, e adj. Indulgent dans les relations sociales.
- M. Lech Kaczynski, maire de Varsovie - commentaire relatif à l’interdiction de la Parade de l’Egalité de Varsovie en juin dernier :
"Je suis favorable à la tolérance, mais contre les conduites à connotations homosexuelles".
Liberté civile, liberté n.f. (lat. libertas), faculté pour un citoyen de faire tout ce qui n’est pas contraire à la loi et que ne nuit pas à autrui
Liberté naturelle, droit que l’homme a par nature d’employer ses facultés comme il l’entend
Liberté d’opinion, d’expression, de pensée, droit d’exprimer librement ses pensées, ses opinions et de les publier
Libertés publiques, ensemble des libertés reconnues aux personnes et aux groupes face à l’État
"La propagation de l’homosexualité entrave la liberté des autres citoyens (...) Si une personne tente de contaminer les autres avec son homosexualité, l’État doit intervenir contre une telle entrave à la liberté (...) L’homosexualité n’est pas naturelle. Ce qui est naturel, c’est la famille, et l’État se doit de protéger la famille ".
Égalité n.f. (lat. aequalitas), Rapport entre individus, citoyens, égaux en droits et soumis aux même obligations. Égalité civile, politique, sociale.
Atteinte aux droits de l’homme ? Une approche juridique.
Il est ici nécessaire de souligner quelques aspects juridiques relatifs à la situation des droits de l’Homme en Pologne.
Rappelons que la Pologne a ratifié le 19 janvier 1993 la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Dans son quatorzième article, intitulé « Interdiction de discrimination », ce texte dispose :
Lors de la signature du traité de Nice, la Pologne a également reconnu la valeur du contenu de la charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dispose dans l’alinéa 1 de son 21e article, intitulé « Non-discrimination » :
La convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales a une réelle valeur juridique. La charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, quant à elle, n’a pas cette valeur, dans la mesure où le traité constitutionnel n’a pas (encore) été ratifié par tous les pays membres de l’Union européenne. On remarquera que le premier texte, contrairement au second, n’inclut pas spécifiquement l’orientation sexuelle dans les catégories vis-à-vis desquelles la discrimination est juridiquement interdite. Cependant, il paraît évident que la mention « ou toute autre situation » prend en compte cette catégorie.
Enfin, pour sortir d’un contexte juridique international ou européen, il est également intéressant de souligner que dans la constitution de la République polonaise du 17 octobre 1997 est inscrit :
Article 13 : Sont interdits les partis politiques et organisations qui ont recours dans leurs programmes aux méthodes et pratiques totalitaires du nazisme, du fascisme et du communisme, ainsi que ceux dont le programme ou les activités admettent ou autorisent la manifestation de la haine raciale ou ethnique, le recours à la violence en vue de s’emparer du pouvoir ou d’exercer une influence sur la politique nationale ou encore prévoient des structures ou une participation secrètes.
Titre II : Les libertés, les Droits et les Devoirs de l’Homme et du Citoyen
Principes généraux :
Article 30 : La dignité inhérente et inaliénable de l’homme constitue la source des libertés et des droits de l’homme et du citoyen. Elle est inviolable et son respect et sa protection sont le devoir des pouvoirs publics.
Article 32
- Alinéa 1 : Tous sont égaux devant la loi. Tous ont droit à un traitement égal par les pouvoirs publics.
- Alinéa 2 : Nul ne peut être discriminé dans la vie politique, sociale ou économique pour une raison quelconque.
Les libertés et Droits politiques :
Article 57
La liberté d’organiser des réunions pacifiques et d’y participer est garantie à chacun. Elle peut être l’objet de restrictions prévues par la loi.
Pour résumer : les récents développements homophobes d’État sont anti-constitutionnels au niveau national, et vont à l’encontre du principe des droits de l’Homme, protégé par le cadre juridique européen.
Est-ce là l’essentiel ? Peut-être, mais ce n’est pas tout.
Risque de dérive autoritaire et remise en cause des principes démocratiques
Ces éléments sont d’autant plus inquiétants qu’on peut les considérer dans un contexte plus général de remise en cause de la modernisation de l’État et de la société polonaise.
Notons :
- outre la stigmatisation des homosexuels comme minorité contaminante, présentée comme un danger pour la société polonaise
- la réouverture du débat sur l’instauration de la peine de mort qui avait été abolie en 1997 pour se conformer aux exigences des instances européennes
- la disparition d’un réel parti d’opposition (indépendante de la victoire des frères Kaszynski), remettant en cause le principe pluraliste de la démocratie
- l’éviction des perspectives d’alliance avec le second parti vainqueur des dernières élections, la Plate-forme citoyenne, au profit d’un rapprochement avec les partis d’extrême-droite (Ligue des familles polonaises, Autodéfense). Aux oubliettes donc, les 45,53% de Polonais qui ont voté Donald Tusk !
- la mise en place d’une réelle dictature de la majorité
Dès lors, on ne peut plus s’étonner des réactions de la Commission
européenne ou des inquiétudes de nombreux partis européens. Ces
derniers brandissent déjà le spectre d’une interdiction du droit de
vote de la Pologne au sein des instances européennes, au cas où le
nouveau gouvernement polonais continuerait ses attaques contre les
homosexuels, et réhabiliterait la peine de mort.
L’article 6 du
Traité sur l’Union européenne dispose en effet que les États membres de
l’Union se doivent de protéger leurs minorités, et que la peine de mort
est interdite. Si un État enfreint cette règle, l’article 7 du traité
de Nice permet à l’Union européenne de lui retirer son droit de vote.
Il s’agit d’une violation grave par un État membre d’un principe énoncé
à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, protégé par l’article 7
du traité de Nice.
Au-delà de l’aspect juridique, on peut
s’interroger sur le chemin, fort peu encourageant d’un point de vue
démocratique, qu’est en train d’emprunter le gouvernement polonais.
La transition démocratique : un processus abouti en Pologne ? Peut-être,
d’un point de vue procédural. Nous soulignions dans notre dernier
article la tension entre modernité et tradition politique à laquelle
fait face la Pologne. Avec le nouveau gouvernement, il semble que ce
soient les valeurs traditionnelles de l’Église catholique, de la
famille et de la défense de la patrie qui l’emportent.
La
règle de la majorité apparaît comme étant interprétée dans sa forme
puriste. Il suffisait d’intervertir l’approche : en Pologne, dans le
discours homophobe d’État, c’est la majorité qui est présentée comme
incomprise et assiégée par des hordes d’homosexuels, qui mettraient en danger
l’intégrité et la pérennisation de la nation.
Les ultra-catholiques, quant à eux, sont directement relayés par le gouvernement,
et leur « fameuse » station de radio - Radio Marya, (qui dispose d’une
audience de plus de 3 millions d’individus).
Notons qu’ils ont la
même stratégie de présentation de leur situation. Ils se considèrent
comme une « minorité assiégée » par une « Europe anti-catholique ne
respectant pas l’existence des minorités ».
De là à dire qu’on est passé du totalitarisme communiste à celui des conservateurs
nationalistes, il n’y a qu’un pas. À une différence près - les
communistes ne prenaient pas non plus en compte l’avis de la majorité : le mauvais traitement des minorités reste le même.
Auteur : Johan Robberecht, Euros du Village
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