Pour un internet africain ouvert à tous
Dans l’introduction du rapport annuel de l’Association pour le progrès des communications (APC), la directrice Anriette Esterhuysen fait un constat navrant : très peu d’initiatives internationales en matière de TIC en Afrique portent systématiquement sur le manque d’infrastructure de communication. Puis elle ajoute que « dans les secteurs du développement et du financement du développement, on reste sceptique quant à la valeur des TIC pour le développement. » Voilà qui a de quoi étonner ! Les télécommunications sont une composante essentielle, que dis-je incontournable, du développement. L’Inde, la Chine et les autres pays émergents l’ont compris. Pourquoi alors ce scepticisme en ce qui concerne l’Afrique ? Mystère.
Par la voix de sa directrice, le rapport de l’APC tente visiblement de convaincre les donateurs et les prêteurs du contraire, en expliquant en quoi il est si fondamental de consacrer des ressources financières à doter l’Afrique des infrastructures de télécommunication qui lui font cruellement défaut. Le point de vue développé est intéressant.
Anriette Esterhuysen voit plusieurs niveaux d’importance des infrastructures :
- physique (par exemple la dorsale internet, le spectre radio, les ordinateurs) ;
- protocoles ou logique (par exemple des normes ouvertes pour que tous les secteurs de l’internet puissent se « parler ») ;
- contenu et applications.
Il y a aussi un autre niveau, tout aussi essentiel, concerné par le manque d’infrastructure : celui des processus sociaux, un niveau « interactionnel » ou « relationnel ». C’est à ce niveau que se situent « la mondialisation, la diversité, l’inclusion et l’exclusion. »
Certes il y a l’internet commercial, celui qui offre de nouveaux services presque quotidiennement, pourvu que l’on ait une carte de crédit et un compte bancaire. Mais il y a aussi l’autre internet, où « les gens, individuellement et collectivement, s’approprient l’infrastructure et revendiquent l’espace pour protester, s’exprimer, partager et apprendre. » Là se situent les blogs, la baladodiffusion, les réseaux sociaux, le partage de photos, de vidéos, le journalisme citoyen, bref tout ce qui permet aux groupes et individus d’accéder à l’information, d’échanger, de s’organiser.
« Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas d’accès ? », se demande l’APC. Est-ce qu’on ne devrait pas considérer l’infrastructure mondiale des communications comme un bien public accessible à tous ?
Pour Esterhuysen, la réponse va de soi :
Ceux qui vivent dans la pauvreté, qui sont marginalisés socialement, économiquement et politiquement, devraient pouvoir accéder aux moyens qui leur permettent de parler, de se faire entendre, d’utiliser les services en ligne et de participer aux décisions qui touchent leur vie.Mais il y a en plus toute la dimension de la participation publique, de la justice sociale pouvant favoriser la transparence et la responsabilisation, des politiques dont la mise en oeuvre se fait dans la participation citoyenne, la possibilité de mobilisation, se solidarité, de capacité de faire entendre sa voix.
Certes cette dimension ne dépend pas d’internet, mais du fait que « les gens, les communautés et les organisations utilisent internet pour organiser et/ou obtenir l’information dont ils ont besoin pour améliorer leur vie. »
Pour que cela soit possible, il faut d’abord une infrastructure qui le permette. Après viendront les applications, les contenus, les usages, notamment la participation au processus décisionnel public auxquels les citoyens et les communautés africaines ont droit.
Or il y a un danger, avertit la directrice d’APC : « à moins que les défenseurs d’un meilleur accès en soient conscients, les initiatives commerciales de développement de l’infrastructure pourraient prendre la forme d’offres globales intégrant des limites à l’ouverture. »
C’est une possibilité qui ne concerne pas que l’Afrique, comme l’avait si magistralement exposé Bill Moyers, lors de la National Conference for Media Reform 2007.
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