Pour un livre noir des Nations unies
Après le communisme, la psychanalyse et la révolution française, la mode est aux « livres noirs ». Ils prétendent apporter un regard critique sur une idéologie, une pensée, un événement qui ont marqué la conscience collective et proposent une analyse faite de l’autre côté du miroir.
La Charte des Nations unies fêtera bientôt ses 63 ans. Un livre noir sur l’ONU serait le bienvenu. Il apparaîtrait comme le bilan de la vie d’un homme ou d’une femme sexagénaire, sage et humaniste. Et surtout encore en vie. Ce bilan ne serait pas l’accumulation de souvenirs chronologiques, mais plutôt un regard sans concession posé sur des décennies de maintien de la paix. Ce serait aussi une manière tout à fait singulière de participer aux réformes en cours aux Nations unies ainsi qu’une occasion de dépasser les poncifs bienveillants des admirateurs du « machin ».
Certes, l’ONU est devenue indispensable. Elle a réussi à se faire accepter comme le seul pouvoir légitime reconnu par la Communauté internationale et ses 192 Etats membres. Elle éclaire également par son unique présence les recoins oubliés de la planète. Elle est enfin l’ultime recours pour sauver la face des diplomates et enrayer les logiques guerrières.
Certes, l’ONU est aussi moquée pour ses travers de Tour de Babel : la cacophonie et le manque d’efficacité, les milliers d’agents de son Siège à New York et la profusion des statuts différents, la condamnation verbale plutôt que les résultats concrets. Et si l’ONU a tout de même des victoires à son actif, elles sont toujours le fruit du long terme.
Dans ce livre noir, il serait certainement utile de rappeler que l’ONU gère 100. 000 agents sur le terrain, dont 80 000 militaires et policiers, des effectifs aujourd’hui quatre fois plus nombreux que dans les années 1990. Les Nations unies, c’est bien connu, n’ont pas d’armée propre et louent les services de ses Etats membres. Ainsi, près de la moitié des contingents proviennent d’Inde, du Bangladesh et du Pakistan et le reste, pour l’essentiel, des pays du Sud. Les nations riches payent en dollars et les autres en gouttes de sang et de sueur, mais, aussi, en mois d’attente, les yeux rivés sur le désert des Tartares.
Que fait l’ONU de cette deuxième armée du monde, juste après celle des Américains ? La réponse est également connue, l’Organisation maintient la paix dans une vingtaine de pays en crise et condamne les violences là où elle ne peut pas intervenir. Elle maintient la paix, mais ne l’impose pas. Lui demanderait-on qu’elle serait incapable de le faire. Les troupes ne lui appartiennent pas. Le commandement et l’expertise militaire lui font cruellement défaut. La réactivité nécessaire à la conduite des opérations s’aligne systématiquement sur le calendrier politique où les compromis et les tergiversations priment. Enfin, grâce à l’ONU, les pays du Sud se payent ou modernisent leurs propres forces armées nationales, une manière comme une autre de lutter contre la pauvreté et le chômage.
Les opérations de maintien de la paix sont aussi un business. Une manne financière que ces opérations de maintien de la paix qui s’éternisent sur le terrain pendant cinq ans, dix ans et même un demi-siècle pour certaines d’entre elles. Une manne financière pour les pays du Sud, car l’ONU rembourse l’emploi des hommes en uniforme. Une manne financière pour les entreprises privées de mercenaires qui, par exemple, au Liberia forment l’armée nationale. Une manne financière pour les entreprises du bâtiment et de reconstruction des infrastructures. Une aubaine pour certaines organisations non gouvernementales pour lesquelles la vocation humanitaire n’est qu’une carte de visite, mais qui, dans le sillage des combattants de la paix, apportent la parole de leurs extrémismes religieux, impactant ainsi sur les coutumes locales. Une manne financière aussi pour les populations locales : elle est positive quand la présence de l’ONU favorise les contrats et les échanges avec les habitants des pays en crise et crée un climat propice au développement économique ; elle devient déjà plus nuancée quand elle entraîne l’inflation des prix des produits alimentaires de base et des loyers ; elle est enfin particulièrement terrifiante quand elle répond à l’offre et à la demande des commerces interlopes, de la prostitution à la contrebande.
L’ONU est exemplaire et les vertus qu’elle défend sont honorables. Elle joue un rôle de stabilisation incontournable là où elle déploie son drapeau bleu et blanc. Une partie du personnel des Nations unies ne voit toutefois pas aussi haut et la vertu la dépasse. Selon une source de l’ONU, 469 « incidents » mettant en cause des agents des opérations de paix ont été répertoriés en 2007.
Ces « incidents » sont définis comme des atteintes à la mission et à la réputation de l’ONU et la violation des règles de conduite fondamentales. Un seul soupçon, même infondé, suffit pour nuire à l’image et à la crédibilité d’une mission des Nations unies. Les faits sont graves, viols, pédophilie, agressions ou exploitations sexuelles, contrebande, corruption, détournements de fonds et manque de transparence dans la gestion financière... Ils font l’objet d’enquêtes menées par le Bureau des services du contrôle interne des Nations unies, parfois conjointement avec les autorités des pays d’origine des contrevenants, parfois malgré elles qui peuvent faire obstacle. Des recommandations sont faites pour que les fautifs soient jugés dans leur pays d’origine ou en application de la loi du pays dans lequel les « incidents » ont été réalisés. En réalité, combien de suspects sont-ils effectivement jugés et condamnés ? Combien sont-ils oubliés en même temps que l’affaire est classée ? Existe-t-il enfin une impunité tacite pour l’agent qui transgresse les droits de l’homme dans un pays en crise, aux lois abolies, sous prétexte qu’il s’y est engagé pour faire le « bien » au nom d’un idéal de paix ? Le pays dont le contrevenant est originaire voudra enterrer l’affaire, éviter le scandale à tout prix quitte à menacer de retirer le reste de ses hommes déployés sous casques bleus. Un viol commis par un agent des Nations unies au Liberia ne peut pas passer inaperçu même si quinze autres sont déclarés chaque semaine dans ce pays. Au contraire, il est bien plus voyant. Des cas d’exploitations sexuelles de femmes et d’enfants en Côte-d’Ivoire, au Burundi, en Haïti, ont parfois été excusés, par un encadrement hiérarchique laxiste ou bien complice, parce que les victimes ont été payées en retour. Payées avec des pacotilles. Les conclusions de ces enquêtes mériteraient d’être mieux connues.
L’ONU est indispensable au monde. Une étude approfondie, critique et impartiale, serait la bienvenue. Un livre noir aussi.
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