Une table rocheuse du haut d’une falaise abrupte qui surplombe les eaux d’un fjord avec un à-pic de 604 mètres, sans barrière de protection. Un vide pur à glacer le sang, loin de toute civilisation, et la vue d’un paysage fantastique qu’aucun studio au monde ne pourra reproduire. Il s’agit de Preikestolen, le « rocher de la chaire » ou « pulpit rock », une des merveilles de la nature que l’on peut trouver dans le sud-ouest de la Norvège, à 25 kilomètres de Stavanger, quatrième ville du pays, avec son côté moderne et ses maisons en bois blanches traditionnelles.
Il ne s’agit pas de granite suspendu par les mystères de la nature. Ce sont très probablement les cassures qui ont suivi la dernière période glacière, il y a 10 000 ans, qui ont façonné le rocher de Preikestolen. Vu d’en bas, sur l’un des bateaux de croisière qui remontent le Lysefjord, la formation ressemble effectivement à une chaire. Chaque année, entre le 1er mai et le 31 août, ce sont désormais plus de 100 000 visiteurs qui bravent une longue montée à la marche pour atteindre cet endroit, l’un des plus prisés par les touristes en Norvège, pour avoir cette sensation d’effroi. Certes, ce ne sont pas les quelques millions d’entrées annuelles de la tour Eiffel, à peu près deux fois moins élevée, mais tout de même. Ils viennent de partout. De Scandinavie évidemment, mais aussi du monde entier. Tous sont gagnés par la contemplation, ont le souffle coupé et l’appareil photo saturé.
Se rendre à Preikestolen se fait généralement au départ du port de pêche de Stavanger, en prenant un ferry jusqu’à la petite localité de Tau, au Nord. Ce parcours se fait en une demi-heure. Ensuite, il faut compter une autre demi-heure en bus pour relier l’auberge de Preikestolhytta au pied de la montée. Ce point de chute est l’un des derniers rendez-vous avec les infrastructures humaines avant l’aventure épique. Les automobilistes ne peuvent aller plus loin. Les signes que l’on commence à être coupé du monde ne trompent pas : l’auberge connaît des ratés dans les liaisons internet et portables.
Commence alors l’ascension à pied. Un sentier a pour cela été tracé sur un parcours d’une distance de 3,8 kilomètres avec une montée de 330 mètres à travers roche et végétation sauvage. Pour peu que l’on soit équipé de bonnes chaussures, et malgré les escarpements, cette randonnée d’une durée de deux heures environ ne pose aucun problème. Le chemin borde par ailleurs de petits lacs de montagne qui offrent la possibilité de se baigner en route.
C’est généralement seul, ou accompagné de son propre entourage, que l’on a envie d’arriver à Preikestolen pour s’approprier le rocher de 25 mètres sur 25. Il s’agit d’un privilège de plus en plus rare en plein été. L’astuce consiste à s’y rendre le soir et en dehors des mois de juin, juillet et août. On est alors quasiment assuré de ne pas avoir à côtoyer les (autres) touristes au sommet. De plus, on bénéficie alors du spectacle fantastique des lueurs du soleil couchant. La météo est également un atout : Preikestolen est situé dans une région où il pleut fréquemment. Si l’on ne se laisse pas décourager par une randonnée sous les cordes d’eau l’on peut là aussi espérer être seul au sommet (et par chance y profiter du retour du soleil). A savoir, enfin, que la vue du Lysefjord est plus spectaculaire encore lorsqu’il est enveloppé par la brume.
En redescendant, il est courant de croiser des touristes en chemin qui demandent si Preikestolen est encore loin. En leur répondant pour plaisanter qu’il y en a encore pour trois heures ou qu’il y a une file d’attente sur 50 mètres, on peut s’amuser à voir la réaction sur leur visage.
De nombreux projets entourent régulièrement le site de Preikestolen et la région tout entière de Rogaland, où il se situe. Il y a quelques années les autorités locales avaient débattu de la possibilité de construire un embarcadère au pied de la falaise, dans le Lysefjord, et de le relier au sommet par un ascenseur. Cela aurait attiré des visiteurs supplémentaires, mais la magie du lieu aurait été anéantie. Ce fut un tollé général.
Une réalisation mettant à l’honneur des architectes venus de toute l’Europe sort néanmoins de terre, et c’est cette semaine qu’a lieu son inauguration. Il s’agit d’un chalet de montagne bâti en bois, alliant des matériaux écologiques innovants, et qui a pour vocation de concilier tourisme et environnement. Ce centre, planté au début du périple menant au rocher, vient renforcer les capacités de l’auberge de Preikestolhytta. On doit cette réalisation au projet « Norwegian Wood » qui, dans la foulée des événements qui ont conduit au sacre de Stavanger, Capitale européenne de la culture 2008, s’est fixé comme objectif la réalisation de 14 projets similaires à travers la région. Les concepteurs se sont notamment laissé convaincre par le cabinet d’architectes Helen & Hard dont les techniques de construction en bois sont appréciées jusqu’à Shanghai.
La région est certes en effervescence. Cette année, encore, un journaliste du Parisien a survolé les alentours de Stavanger en hélicoptère. Il en est rentré émerveillé en France, mais son article, intitulé « Cinq raisons de s’aérer en Norvège » (et qui a suscité des réactions dans le quotidien Stavanger Aftenblad) aurait très bien pu s’intituler « Cinq raisons de s’aérer dans le Rogaland » étant donné le caractère local de ses observations.
Nombreux sont toutefois ceux qui s’inquiètent de l’essor de l’empreinte humaine autour de Preikestolen ces dernières années. Des centrales hydro électriques ont vu le jour, des routes supplémentaires ont été tracées, de nouvelles lignes à haute tension ont été installées et de nouveaux terrains dédiés aux chalets ont été aménagés. Le caractère sauvage de la nature s’en trouve progressivement empiété. Au point que l’Association de protection de l’environnement du Rogaland, par la voix de son responsable Erik Thoring, souhaite classer Preikestolen et ses environs dans le dispositif des parcs nationaux, une mesure qui aurait un effet de conservation.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a jamais eu d’accident à Preikestolen. Inspiré par le paysage, on serait tenté d’en trouver l’explication dans la mythologie norvégienne. Dans ce cas, il faudrait reconnaître que Balder « le bon », fils d’Odin et de Frigg, dieu de la lumière et de la joie, mais dont les désirs peinaient à se réaliser, a pu finalement prendre sa revanche sur Loki, géant du mal malicieux qui prenait plaisir à déclencher des tourbillons de catastrophes.
Moyenne des avis sur cet article :
4.56/5
(18 votes)
Un site extraordinaire ! Mais les falaises de Moher (Irlande) ne sont pas mal non plus dans le genre "promontoire vertigineux" bien qu’elles ne culminent dans leur verticalité qu’à 200 m d’altitude. Mais quel spectacle les jours de tempête lorsque les paquets de mer viennent frapper la roche !
Il y a un autre site en Irlande un peu semblable à celui décrit dans l’article.
Il se situe surl l’ile principale de l’arcipel des iles Aran : Inishmore. C’est le Dun Aengus, un fort préhistorique en bordure d’une falaise surplombant la mer, La vue est impressionnante et le site spectaculaire.
Exact, Radix, le site de Dun Aengus est très impressionnant, bien que les falaises y soient nettement moins élevées (100 à 120 m de schiste dévoré par les tempêtes). Le problème de Dun Aengus est qu’il y a souvent beaucoup de monde. Ce n’est en revanche pas le cas de Dun Ducathair, un autre site fortifié dont une partie a, là aussi, basculé dans les flots. Situé dans un autre secteur de l’île d’Inishmore, il est quasiment vierge de visiteurs, ce qui le rend particulièrement spectaculaire par temps de brume, coincé sur sa falaise entre les innombrables murets et les rouleaux d’une mer écumante. Vraiment très spectaculaire. D’ailleurs, Inishmore est tout entière spectaculaire et hors du temps avec ses milliers de km de murets !
Superbe ! Merci pour cet article fort agréable au milieu de toutes les catastrophes, crises, guerres, etc... qui peuplent Agoravox.
Une remarque sympa ( enfin je trouve ) sur le problème d’arrivée massive des touristes dans un tel site ; Un auteur a sorti il y a deux ou trois ans un très beau livre de randonnées sur le massif de la Chartreuse ( entre Grenoble et Chambéry ), sur la couverture il y a une superbe photo d’une arche naturelle qui est quelque part dans le massif mais nulle part dans le livre ! L’auteur n’a pas voulu indiquer l’endroit où il a découvert cette merveille pour la protéger et à ma connaissance personne n’est arrivée à la trouver pour l’instant ou alors l’idée de l’auteur a été préservée et personne n’a rendu publique la localisation de l’arche.
je connais le coin, et c’est très beau : on est à l’origine du monde, et les norvégiens galoppent sur leur rocher sans aucune barrière, parce que dans ce pays chacun est responsable de son destin
pas possible de transférer en France, où chacun va trouver 100.000excuses dès qu’il lui arrive quelque chose, dès qu’il a foiré ou négligé de faire ce qu’il devait
pas possible parce que les français ne sont pas des scandinaves, ni d’ailleurs des latins, ni des slaves ,ni des germains : les français sont des RMIstes de naissance et de conviction