• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > International > Présidentielle 2023 à Madagascar : Rajoelina officiellement réélu... mais (...)

Présidentielle 2023 à Madagascar : Rajoelina officiellement réélu... mais contesté !

« Je maintiens ma décision de ne pas reconnaître ce résultat. La prochaine étape ? nous verrons. Mais quoi qu'il en soit, je peux vous assurer à 1 million de % que j'incarnerai l'opposition de ce régime. » (Siteny Randrianasoloniaiko, le 1er décembre 2023).

Encore une fois Madagascar est au rendez-vous avec une crise politique. C'est simple, c'est quasiment à chaque issue d'une élection présidentielle, si ce n'est pas à cause d'un putsch. Le peuple malgache est habitué à ces poussées d'adrénaline depuis une trentaine d'années. C'est la rançon d'une tentative démocratique qui a toujours ses soubresauts, ses instabilités, ses mauvais joueurs, ses manipulateurs. Le pays adore les joutes politiciennes, il a d'ailleurs un paysage politique très divisé, éclaté. Quel dommage alors que la Grande Île devrait un pays riche, avec des ressources exceptionnelles, un peuple courageux et travailleur mais qui s'enlise systématiquement dans la vase des politicailleries.

On n'en a pas beaucoup parlé en France. Le jeudi 16 novembre 2023 a eu lieu le premier tour de l'élection présidentielle à Madagascar. Un scrutin de tous les dangers à la fin du mandat de cinq ans du Président sortant Andry Rajoelina (49 ans). La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a proclamé les résultats le 25 novembre 2023 et, après quinze requêtes déposées par les candidats, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) a confirmé définitivement ces résultats ce vendredi 1er décembre 2023 : Andry Rajoelina a été réélu dès le premier tour avec 59,0% des voix.

Officiellement, donc, c'est un grand succès du Président sortant qui, après avoir dominé le premier tour avec 39,2% le 7 novembre 2018, avait été élu au second tour le 19 décembre 2018 avec 55,7% des voix face à son rival de toujours, l'ancien Président qu'il avait lui-même renversé au cours d'un putsch le 17 mars 2009, à savoir Marc Ravalomanana (bientôt 74 ans). Andry Rajoelina a été au pouvoir déjà près de dix ans à Madagascar, du 17 mars 2009 au 25 janvier 2014 et du 18 janvier 2019 au 9 septembre 2023, date à laquelle il a dû démissionner pour pouvoir se représenter (la Constitution interdit de rester en fonction en faisant campagne).

En face de lui, à ce premier tour du 16 novembre 2023, Andry Rajoelina avait ses deux rivaux et prédécesseurs, Marc Ravalomanana, qui n'a eu que 12,1% et Hery Rajaonarimampianina (65 ans) avec 5,2%, mais devant eux, à la deuxième place, il y a eu Siteny Randrianasoloniaiko (51 ans) avec 14,4%, véritable représentant de l'opposition. Député depuis 2013, réélu le 27 mai 2019 avec l'étiquette de soutien à Andry Rajoelina, ancien champion de judo, président de l'Union africaine de judo, vice-président de la Fédération internationale de judo et président du Comité olympique malgache, et considéré comme le candidat de Moscou (Vladimir Poutine est un fana du judo et avait déjà tenté d'influer la présidentielle malgache en 2018). Signalons aussi pour l'anecdote que, arrivé en sixième position, Roland Ratsiraka, neveu de l'ancien Président et dictateur Didier Ratsiraka (57 ans), ancien maire de Tamatave et déjà plusieurs fois candidat à l'élection présidentielle, ancien allié d'Andry Rajoelina, n'a obtenu que 1,9% des voix.

De loin, on pourrait dire que le score d'Andry Rajoelina est une belle performance après cinq ans de pouvoir. Cela pourrait être simple, finalement, mais en fait, rien n'est simple à Madagascar. Ces résultats, malgré leur validation définitive, étaient en effet prévisibles mais sont fortement contestés par l'opposition pour de nombreuses raisons.

La première, c'est qu'officiellement, 53,7% des électeurs inscrits ne sont même pas venus voter. C'est beaucoup. Cette forte abstention (à comparer aux 46,0% en 2018) serait même, selon les observateurs internationaux, beaucoup plus importante que celle proclamée, de l'ordre de 80%.

Pourquoi une telle abstention ? Parce que le collectif de onze candidats de l'opposition à l'élection présidentielle de 2023, pour protester contre les conditions du processus électoral, a décidé de boycotter l'élection. Parmi ces dix candidats, il y avait Marc Ravalomanana, Hery Rajaonarimampianina, Roland Ratsiraka. Ces onze candidats ont cessé de faire campagne et ont boycotté l'élection pour protester contre la validation par la HCC de la candidature d'Andry Rajoelina.

Reprenons la polémique sur Andry Rajoelina.

Pour être candidat, il faut avoir la nationalité malgache. Le code de la nationalité malgache impose la perte de la nationalité malgache dans le cas d'sun adulte qui a acquis une autre nationalité après une demande volontaire (article 42). Or, Andry Rajoelina et sa famille ont acquis la nationalité française en 2014 après son départ du pouvoir. La révélation de cette obtention de la nationalité française a provoqué, en avril 2023, une double polémique, politique et juridique : politique et même morale car Andry Rajoelina a mené une politique nationaliste en revendiquant les îles Éparses actuellement territoire français, et cette naturalisation française fait office d'une certaine "désertion" sinon "trahison" ; juridique aussi car s'il avait fait une demande pour obtenir la nationalité française, alors il perdrait sa nationalité malgache et sa candidature à l'élection présidentielle de 2018 (et son élection) serait invalidée.

Le 24 août 2023, la HCC a rejeté un recours d'invalidation de l'élection de 2018 par un collectif de citoyens, le jugeant irrecevable car le recours ne s'est pas fait dans les délais prévus. En outre, il a été établi qu'Andry Rajoelina n'a pas tenté de cacher le décret français de sa naturalisation française, qu'il a expliquée provenant de la filiation d'un grand-parent (donc, de droit et sans demande).

De plus, la déchéance de nationalité malgache n'est pas de la compétence de la HCC mais du gouvernement (favorable à Andry Rajoelina). Cette décision cruciale de la HCC a permis à Andry Rajoelina de solliciter le 6 septembre 2023 un nouveau mandat présidentiel (et la décision a aussi confirmé son élection de 2018). Sa candidature a été confirmée par la publication de la liste officielle des treize candidatures validées par la HCC le 9 septembre 2023 (vingt-huit avaient déposé un dossier). Jouissant d'une certaine popularité et d'une force de frappe de mobilisation, le Président sortant a pu rassembler 40 000 sympathisants lors de son dernier grand meeting le 12 novembre 2023.

_yartiPresidentielleMalgache2023A04

C'est pour protester contre cette décision constitutionnelle du 24 août 2023 que onze des treize candidats validées par la HCC ont protesté par des manifestations dans la rue. Un des candidats Andry Raobelina a été blessé le 2 octobre 2023 par un éclat de grenade lacrymogène lors d'une manifestation de l'opposition, ce qui a fait reporter le premier tour du 9 au 16 novembre 2023. Le collectif des onze candidats opposants a demandé de reporter l'élection pour attendre le retour au calme et l'éviction de la candidature d'Andry Rajoelina, ainsi que garantir la sincérité du processus électoral.

En effet, un de ces candidats, l'ancien ministre Hajo Andrianainarivelo (56 ans), ancien allié d'Andry Rajoelina, qui a finalement obtenu 1,9% (à cause de son boycott), avait fait l'un des quatre recours pour contester la candidature d'Andry Rajoelina et il a été consterné par la validation de celle-ci le 9 septembre 2023 : « C’est un problème au niveau légal, mais aussi éthique et moral. Jamais dans l’histoire d’un pays, un chef de l’État en exercice n’a demandé la nationalité de l’ancienne puissance colonisatrice ! J’espère qu’Andry Rajoelina en tirera les conséquences. Quoi qu’il advienne, on ne laissera pas tomber cette histoire. Parce qu’il faut la fermer une bonne fois pour toutes. ».

Face à ces mouvements de protestation, la Présidente de l'Assemblée Nationale (et ancienne Ministre de la Justice) Christine Razanamahasoa a demandé le 9 novembre 2023 la suspension du processus électoral, refusée par le gouvernement, la HCC et la CENI. Le 13 novembre 2023, le collectif des onze candidats a alors appelé au boycott de l'élection, d'où la très grande abstention et le fait que Siteny Randrianasoloniaiko soit devenu le principal candidat face à Andry Rajoelina.

Le premier mandat d'Andry Rajoelina (2019-2023) ne s'est pas caractérisé par la prospérité à Madagascar, bien au contraire, sécheresse, crise économique et sociale due à la crise du covid-19 et à la guerre en Ukraine, sécheresse et famine ont marqué cette Présidence. À la différence de la période 2009-2014, Andry Rajoelina a toutefois maintenu la confiance des institutions internationales, en particulier financières.

Après la proclamation des résultats définitifs, il pourra encore jouir de ce soutien international, même si c'est un soutien de courtoisie avec le minimum syndical (sans félicitation au vainqueur), grâce à un communiqué commun de l'Union Européenne, la France, l'Allemagne, la Suisse, la Corée du Sud, du Japon, Royaume-Uni, des États-Unis et de l'Organisation internationale de la Francophonie qui simplement « prennent acte de la publication par la Haute Cour Constitutionnelle des résultats définitifs de l’élection du 16 novembre proclamant vainqueur M. Andry Rajoelina [et] réaffirment leur engagement à travailler avec le Président élu (…) sur la voie d’un développement durable et inclusif ». Le communiqué diplomatique poursuit : « Compte tenu des tensions et des incidents ayant émaillé le processus électoral et du contexte politique tendu, il appartient désormais au chef de l’État nouvellement élu (…) de prendre les mesures à même de restaurer un climat de confiance propice au dialogue, dans la perspective des élections législatives et communales à venir. ».

Lors de l'annonce des résultats non définitifs par la CENI le 25 novembre 2023, Andry Rajoelina a déclaré non sans une certaine joie : « Le peuple malgache a choisi la voie de la continuité, de la sérénité et de la stabilité. ».

Seul présent des treize candidats à la proclamation des résultats définitifs par la HCC le 1er décembre 2023, Andry Rajoelina a seulement affirmé, comme s'il n'était pas le Président sortant : « Je serai le Président de tous les Malgaches et j’assumerai mes fonctions avec dignité (…). Mes premières mesures seront de m’occuper du peuple. C’est ma mission principale : être au chevet des plus démunis, accélérer l’industrialisation de Madagascar et prendre des mesures incitatives pour que les industries puissent s’implanter à Madagascar. Je vais ménager beaucoup d’efforts pour atteindre le développement tant attendu par le peuple. ». Sur RFI, il a confié qu'un nouveau gouvernement serait nommé, mais que les ministres qui avaient réussi dans leurs missions seraient reconduits.

Cependant, sur le plan intérieur, la crise est loin d'être terminée. Parlant au nom du collectif des onze candidats, Hajo Andrianainarivelo n'a pas reconnu les résultats et même a déclaré : « Nous considérons qu’aucune élection n’a eu lieu à Madagascar le 16 novembre. ». Il a réclamé la tenue d'une élection présidentielle en juin 2024 avec des garanties de transparence et d'équité, et, entre-temps, un pouvoir dirigé par la Présidente de l'Assemblée Nationale en charge de faciliter le dialogue entre les formations politiques et de définir les conditions d'organisation de l'élection.

Le pays risque de se retrouver dans la situation chaotique de 2001-2002 qui pourrait vite dégénérer dans la violence. Les forces armées ont annoncé qu'elles respecteraient les résultats officiels. À Andry Rajoelina de faire preuve d'ouverture avec l'opposition pour permettre d'organiser en 2024 des élections législatives qui ne soient contestées par aucun camp.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er décembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Présidentielle 2023 à Madagascar : Rajoelina officiellement réélu... mais contesté !
Didier Ratsiraka.
Madagascar : la potion amère du docteur Andry Rajoelina contre le covid-19.
Madagascar : Andry Rajoelina, dix ans plus tard.
Hery Rajaonarimampianina a 60 ans.
Didier Ratsiraka a 82 ans.
Andry Rajoelina a 45 ans.
Résultats définitifs officiels du second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018 (communiqué de la HCC).
Madagascar : Andry Rajoelina, élu peu contestable.
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiPresidentielleMalgache2023A02
 


Moyenne des avis sur cet article :  1.17/5   (23 votes)




Réagissez à l'article

12 réactions à cet article    

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité